Au fond du couloir

Au bout du couloir, une porte qui reste close, une pièce qu’on ne fera pas visiter, aux amis qui arrivent, aux parents qui visitent, pas de tour du propriétaire dans cet espace confiné, le bois reste muet et la serrure fermée. Je sais ce qu’elle renferme, un couffin, une table à langer, une armoire décorée, des dessins pastels et des oursons rieurs, la poussière s’étire paresseuse sur les bouchons des lotions sans alcool, des lingettes de change. Les volets mécaniques sont baissés, il ne filtre que la moitié du soleil, en plumetis agaçants. La chambre du bébé est vide, depuis toujours, pas de morts nés, pas d’histoires dramatiques à raconter. Juste l’absence. Le vide. Le désir d’enfant.

Dans la cuisine, sur le plan de travail, l’attirail de la mère en devenir, les vitamines pré-natales, l’herboristerie conseillée par le médecin fraîchement consulté, des boîtes de test d’ovulation qui s’entassent le long de la crédence, un thermomètre, un verre vide sur lequel persiste les traces blanches d’une effervescence. La bataille est devenue guerre, elle s’enlise, elle n’en finit pas de faire des victimes, on cherche sans cesse de nouvelles armes, de nouveaux plans, un miracle qui viendrait, des prières, des bons sentiments, du repos surtout, du calme et de l’acharnement. Il n’y a rien de biologique, rien de physique qui les empêche de concevoir. Leur stérilité est mystérieuse, d’origine inconnue. C’est dans la tête, dit la belle-mère, lassée par les annonces successives qui finissent toujours dans les larmes, les quelques jours où elle y croit, où le test est positif, avant l’arrivée du sang, des tâches, et de l’amère sensation d’avoir échoué, encore. Pas pour cette fois, lâche-t-elle à son mari, qui n’y croyait pas vraiment, mais qui fait semblant. Pour elle. Pour qu’elle continue à avoir envie de lui, d’eux, de la vie.

Je ne sais jamais quoi dire. Je tombe enceinte en éternuant, c’est ma gynécologue qui le dit. Pourtant je suis obèse, je fume, je bois, je ne prends ni vitamine, ni traitement, je ne compte pas les jours et je n’observe pas ma glaire. Elle pense que je le fais exprès. Elle pense que je la nargue, avec mes histoires de contraception, de stérilet. Alors je ne dis plus rien, ni de ma vie amoureuse, ni du reste. Tout nous ramène toujours à l’embryon, à l’absent, au manque et à son sentiment d’être vide, de ne servir à rien, de n’être pas capable, d’être une malade imaginaire, puisque tout est en ordre, puisque tout fonctionne bien. Je la laisse me parler, j’écoute, je me réjouis avec elle, d’un nouvel article, d’une molécule qui arrive sur le marché, je fais semblant de croire qu’elle va y arriver.