Salut la vieille !

En ce moment, y’a pas un putain de jour qui passe sans que je me fasse une réfléxion du genre « ils sont cons ces jeunes », « encore un truc de jeune qui connaît rien », « chiale tu pisseras moins, tu verras quand t’auras dix ans de plus ». Je suis relativement jeune, j’ai trente ans, tu sais, cet âge merveilleux que les magazines féminins essaient de faire passer comme un remake de l’adolescence, parce que selon Conde Nast, à trente berges aujourd’hui, t’as plus besoin d’être mariée et d’avoir une tripotée de mômes, non non non, au contraire même, tu dois être presque célibataire mais pas trop, assumer ton t-shirt Mickey et ton perfecto en skaï tout en menant de front une carrière professionelle d’enculée, sortir jusqu’à 4h du mat’ dès le mercredi soir tout en gardant un teint parfait. A croire que les nanas de trente ans de ma génération ont toutes eu des adolescences brimées par des parents gendarmes, et qu’elles ont besoin de s’éclater comme des néo-poufiasses de 21 ans, même avec 10 ans de plus dans le nez. Quand t’as 20 ans, tu te crois très très chic quand tu commandes un verre de vin rouge, genre t’es trop une artiste, quand t’as 30 ans maintenant, tu te mets la tête à la vodka en mode binge drinking, parce que la fête est plus folle sans tes complexes et tes inhibitions, sans le stress du bureau et ta timidité, et puis surtout parce que rien à taper, on est jeunes, on est beaux, on est bourrés. Attention hein, je m’en fous des gens qui se mettent des mines, des punks à chiens et des alcooliques, c’est juste que j’aime bien les choses cohérentes, ceux qui vivent à font leur déchéance, ceux qui font pas semblant, ceux qui assument les cernes et qui ne se tartinent pas d’anti-cerne pour faire croire qu’elles passent leur soirée à écouter Vivaldi en tricotant des mitaines pour l’Afrique.

Le truc vraiment marrant, c’est que ceux qui étaient les plus acharnés en étant jeunes, ceux qui ont testé toutes les substances, tous les shots de la carte, toutes les soirées, ceux qui ont vomi et chié en même temps entre deux voitures un soir de honte, ceux là, quand ils arrivent autour de trente ans, ils sont généralement bien calmés. Ils ont un genre de philosophie zen de la fête, une bonne bouteille, un petit pet, les potes, un EP d’un truc des années 60 qui tourne en fond sur la chaîne défoncée, ils ont atteint le climax de l’énervement festif, ils ont compris, maintenant ils regardent les autres tomber. Et ca mérite le respect, parce qu’ils connaissent leurs limites, et qu’ils ne sont plus dans un concours de teub permanent avec leurs neurones perdues. J’avoue avoir  un genre de mépris pour vous, les trentenaires qui continuent à se mettre à l’amende comme des jeunes provinciaux sur le parking du Macumba avant d’y rentrer, je vois pas la motivation du truc, vous avez le temps maintenant, toute la vie pour vous alcooliser sans avoir à faire semblant d’être sobre en rentrant, c’est peut-être parce que je ne bois plus du tout, je fais un syndrome de l’ancien fumeur, je présente mes excuses à toute la communauté des amis de la gueule de bois du lundi matin, quand t’arrive en réunion avec la bouche tellement pâteuse que le café refuse de passer, et que tu te vois déjà tout dégueuler sur la jolie table en verre, au milieu des dossiers bien rangés. Je vois pas ce qu’il y a de cool à se miner la gueule à chaque occasion, surtout quand t’es adulte et que tout est plus ou moins permis, t’as des tunes en poche et le droit de sortir, y’a plus rien à transgresser à part la salubrité de tes intestins, et l’intégrité des textos que tu envoies. C’est surtout les nanas en fait, que j’ai envie d’insulter vaguement, tu sais, ces meufs qui se cachent derrière l’alcool pour se permettre les audaces qu’elles s’empêchent de vivre à 0 degrés. J’ai couché avec un connard, mais j’étais bourrée, j’ai emballé ton mec, mais j’avais bu, je suis bisexuelle après deux bières, c’est pas pour de vrai, c’est juste pour me lâcher.

Et puis y’a aussi tous les doutes, les questions que tu te poses, quand tu fais encore des études, quand tu commences à travailler, quand tu commences à comprendre que les mecs sont généralement des connards, que les meufs sont des morues, que rien n’est vraiment comme on te l’avait promis. Oui, je sais, tu sais pas bien ce que tu vas faire, si t’as fait les bonnes études, si t’habite le bon quartier et si ton mec est vraiment the fucking one, tu passes des heures à te faires les ongles en chialant que personne ne t’aime et que ton téléphone ne sonne jamais, t’es juste comme tout le monde, ca va, ca vient, ca passe, t’es juste trop prise dans ta crise de début de vie pour voir plus loin que le bout de ton nez poudré. Et honnêtement, y’a rien de plus chiant que de vous entendre chouiner sur vos interrogations existentielles, répéter des heures entières que oui, la vie est injuste, que la vie est dure, que c’est compliqué, que tu vas y arriver, tous les trucs que tu as appris à la force de tes propres échecs et de tes propres conneries. C’est peut-être à cause de mon énorme poitrine, mais ras-le-cul d’assumer le rôle maternant de la copine bienveillante, sortez vous les doigts, bande de nains, je sais que j’ai sans doute servi les mêmes platitudes à mon époque à mes amis plus âgés, mais j’ai l’impression que ma génération (OHOH) avait les pieds dans la merde de manière bien plus directe que celle qui arrive maintenant, je généralise comme PPDA sous acide, je sais, mais j’ai le droit, je suis vieille, vous me devez le respect.

Ca fait quelques années que je savais que j’étais vieille. On m’appelle Madame depuis au moins cinq ans, dans les commerces. Il m’arrive d’avoir des bouffées de féminisme délirant pendant lesquelles je fais systématiquement une scène à celui ou celle qui me catégorise directement dans la case des mariées, mais je m’en bats la race, honnêtement. Et puis je vis de manière remarquablement chiante, je pense qu’une retraitée abonnée à Notre Temps est soumise à plus de stress que moi, rapport au niveau de complétion des mots croisés du mois. Le truc qui m’emmerde, c’est de penser qu’en ce moment même, mes copines quarantenaires sont en train de me juger et de me tailler, moi aussi, alors que je fais tout pour leur ressembler, j’ai même arrêter de m’épiler, je bois des tisanes et je contrôle mon sommeil. La différence majeure entre la jeunesse et la vieillesse, c’est le rapport au temps : tu commences par le bruler, par l’utiliser n’importe comment, parce que tu as l’impression d’être increvable, invincible, tu dors pas, c’est pas grave, tu manges pas, c’est pas grave, l’important c’est l’instant, c’est le maintenant. Et puis, d’un coup, tu te rends compte que le temps s’écoule à l’envers, que tout tend plutôt vers la fin, et t’essaie de te préserver, de pas trop t’abimer, de profiter vraiment, comme une vieille hippie, tu conduis moins vite, en espérant que l’impact final sera moins violent.

5 réflexions sur « Salut la vieille ! »

  1. J’ai ri tellement je me reconnais.
    Ma dernière mine remonte à l’enterrement de vie de jeune fille de ma meilleure amie en 2009… La dernière fois que j’ai bu (sans me miner lol) je suis (enfin) tombé enceinte après deux ans d’essais infructueux mais oh combien agréable !

    Depuis je ne bois plus ou presque, je ne fume plus (même pas un petit joint de temps en temps)
    J’ai vécu ce que j’avais à vivre, maintenant place à ma vie de (vieille) maman mais putain qu’est ce que ça me fait chier quand on me vouvoie et qu’on m’appelle Madame !!!!

  2. Ping : Je veux te voir
  3. Madame, c’est pas parce que c’est « vieux », c’est parce que « mademoiselle », c’est un reste du fait que les femmes au début du siècle dernier, même adultes, étaient mineures, et n’avaient pas le droit de signer leur chèque… c’est plutôt une marque de respect finalement « Madame ».

  4. C’est relativement rare, mais pour une fois je suis point dans l’accord à 100%

    J’ai le même âge que toi et je suis de celles qui se mettent la race.
    Avec une nuance cela dit.

    Je suis aussi une maman célibataire, (j’en ai pas une chiée,j’en ai chié qu’une) et j’assume vraiment énormément, quand je sors (le pathétique un vendredi sur deux) d’avoir envie de me bourrer la gueule, mais alors d’une force !

    Parce que ouais c’est plus facile de faire des trucs à la con, de ne pas penser dans la soirée « mais putain de quoi j’ai l’air? », ou encore « est-ce que ma fille va bien ? » « Mais au fait y’a plus de lait ».

    Faut pas être spécialement parent pour ce genre de choses, mais les responsabilités H24 j’en ai ma claque, et ce manquement tous les 15 jours, ce coup de bourre je le raterai pour rien au Monde.
    Parce que j’ai vieilli, j’ai mûri, qu’obviously je suis beaucoup plus classe et intéressante quand j’ai pas bu et je le sais, mais je régresse, je rigole à des blagues nulles, je ne réfléchis pas et c’est bon !

    Tout cela est assumé, même si parfois je me pose des questions sur l’intêret fondamental de l’alcool, je me fais rire quand je suis bourrée, j’aime assez l’idée de ne pas avoir une seconde pour penser à autre chose qu’à la fête pendant ce temps la.
    Dans mon bar de province, j’ai l’alcool joyeux.

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