Fake it ’till you make it

J’ai mis ma tête sur pause pendant quelques jours, au point d’oublier que je devais me laver ou me brosser les cheveux, à sortir dans la rue avec une grande trace de mascara qui dégouline jusqu’au menton, les croutes blanches collées au ras des cils, le cheveu gras et l’air ahuri, l’impression d’être décérébrée, d’oublier jusqu’au son de ma voix, me parler seule dans l’acoustique parfaite de mes toilettes pour m’en souvenir. J’ai passé trois jours seule, sans parler à personne d’autre qu’à moi même. Je ne me suis pas trouvée de très bonne compagnie. Je ne peux même pas dire que j’ai profité de ce moment pour faire le point sur ma vie, pour tirer de grandes leçons, ou pour être productive. J’ai usé toute mon énergie à continuer à respirer et à ne pas me rouler par terre. C’est stupide, c’est irrationnel. Je le sais. C’est comme ca. Si j’avais eu accés au téléphone, à une connexion Internet, à la télévision, j’aurai sans doute pu me distraire, faire passer en tâche de fond mon angoisse, ma folie des heures qui passent. Au lieu de ça, je me suis incrustée dans mon canapé avec une pile de bouquins que j’ai fait semblant de lire. J’ai regardé les poils blancs du chat former des moutons transgenres sur le parquet. J’ai ouvert la fenêtre, pour écouter les voisins discuter sur le balcon. Je me suis sentie idiote. Je me suis sentie petite. Je me suis sentie folle. J’ai repris mon livre. J’ai mangé. J’ai dormi à l’envers, comme pour fuir les journées. J’ai attendu qu’il se passe quelque chose. J’ai attendu qu’on vienne me chercher. Je me suis moquée de moi. Je me suis emportée. J’ai pleuré. Je me suis mise en colère. J’ai dit plus jamais. J’ai pensé à des trucs que je devais écrire. Je n’ai pas réussi à trouver la moindre idée, à former le moindre paragraphe imaginaire, à tracer le moindre mot. J’ai pensé aux impôts, au syndic, à la gardienne. A ma mère. A mon père. Entre deux sommeils, j’ai pensé à Caroline, à Emilie, aux amies que j’avais eu, que j’avais perdu, ou pas, ou peut-être. Je me suis trouvée inadéquate. C’est le bon mot je crois. En inadéquation totale avec tout ce que je voudrais être, avec ce que j’attends de moi, avec ce que les autres voudraient voir, avec ce qu’ils attendent. Ce n’était pas un bon moment.

Y’a un truc qui a sauvé ces trois jours. Un slogan bien lourd, à l’américaine, avec des frites et du ketchup. « FAKE IT ‘TILL YOU MAKE IT ». C’est un truc des alcooliques anonymes en fait. Si tu n’y arrives pas, si c’est trop dur maintenant, fais semblant. Et ca va venir. Donne le change. Pas aux autres, pas en mettant un masque. Juste pour toi. Fais semblant d’aller bien pour le quart d’heure qui arrive, on verra ce qui se passe après. Alors j’ai fait semblant de super bien gérer ma solitude. De n’en vouloir à personne. D’être un ermite baba-cool super class’. One fucking day at a time. Chaque jour, chaque heure compte. Et j’y suis arrivée. Ma tête a arrêté de tourner. Pas tout de suite. Quart d’heure par quart d’heure. Demie heure par demie heure. Heure par heure. Nuit par nuit. J’y suis arrivée. I made it.