Ex machina

Et le silence. Quand tu te rhabilles. Quand tu cherches autour du lit tes chaussettes et ta ceinture. Tu n’es pas le seul à te taire. Je n’ai rien d’autre à dire. Et le poids de ton corps marqué dans le matelas trop mince. Et ce creux à l’intérieur de moi qui ne se comble pas. Et l’énergie qu’il me faut pour me retourner, pour poser les pieds sur le parquet et pour me relever. C’est fini. Le moment est terminé. Chaque chose à sa place. Chaque place a sa chose. Et ta chose c’est moi. Quelques minutes par jour seulement. Tes pas dans l’escalier, ta clé dans la porte d’entrée, tes bras enfin. Et puis plus rien. Je t’attends. Tu m’attends. Nous nous croisons sans nous voir. Sans oser nous parler. Sans oser hurler. Nous nous gavons de silence, des bruits seulement de nos respirations et de nos baisers. Un joli couple de taiseux. Un joli couple de peureux. Oiseaux exotiques pour cage triste.

Tu es mon lien. Tu es ma télévision, ma radio, mon journal et ma famille. Sans toi, je ne parle pas. Ma bouche peut rester closer des journées entières, sèche. J’oublie même de chanter dans la salle de bain. J’enfonce dans mes tympans les voix des autres, je n’ai jamais aimé le silence, c’est étrange. Tu es ma conversation. Celle qui m’empêche de dévorer ma langue en cannibale hystérique, découper en lanière ce morceau de viande inutile. Je suis fatiguée d’avoir oublié. Je suis fatiguée de ne pas y arriver. Je suis fatiguée d’essayer. Pourtant demain encore, en fermant derrière moi la porte de l’appartement, je tairai mon coeur qui me lance et mes yeux qui piquent. Je ferai un effort. Un autre. Pour quoi faire ? Je n’en sais rien. J’ai oublié. J’en crève pourtant. Du dehors. Des autres. De ne plus avoir peur. De regagner les vivants. J’en crève pour toi, autant que pour moi.