Parti Pirate, Twitter, secoue ta bite.

L’autre jour, une utilisatrice de Twitter rencontre un exhibitionniste dans un arrêt de bus, dans une rue mal éclairée. Elle a peur, et confie cette peur à Twitter, comme elle aurait confié qu’elle venait d’uriner ou de rempoter son ficus. Naturellement. Sans penser qu’on puisse lui faire le procès de cette rencontre pénible avec un pénis lâché dans la nature. Car non contente d’avoir à supporter la vision de ce membre gluant secoué dans l’espace public, elle doit maintenant se justifier. Pourquoi le raconter sur Twitter ? Pourquoi continuer à vivre normalement (elle partait à Rome dans les minutes qui suivaient) alors qu’elle aurait du s’atteler à faire le deuil de son innocence, porter plainte dans la minute, ou s’écrouler comme un petit tas de poussière. Les victimes d’agressions sexuelles sont souvent culpabilisées, d’être actrice de leur destin en s’habillant trop court, de traîner aux mauvais endroits, d’encourager leurs agresseurs en se permettant de boire, et autres sornettes machistes destinées à colorier de mauvaise foi ces rencontres ignobles. Rien de nouveau sous le soleil, malheureusement, donc. La nouveauté, c’est qu’un représentant du Parti Pirate fait partie des attaquants. Il répond que les femmes aussi se masturbent. Et que donc, bon, c’est quand même pas tout à fait grave. Pas tout à fait une agression quoi. Pas très classe. Pas très camarade de la part d’un homme se prétendant porter les idéaux d’un parti novateur devant les urnes. S’en suit évidemment une prise de bec sur Twitter, où ce fier Pirate se sent pousser des ailles sous les bourses, et s’entête à démontrer que la réaction de l’agressée n’est pas normale, qu’elle frôle l’exagération, et que d’ailleurs tout va bien puisqu’elle peut continuer à vivre normalement, et que de touts façons, en parler sur Twitter, c’est vraiment nul.

Bien bien bien. Je me demande à quoi servent les différentes campagnes relayées sur Twitter destinées à libérer la parole des femmes agressées. A quoi ont servis nos mots, nos témoignages, les hashtags #jenaipasporteplainte, #ididnotreport, ou #jesuislunedelles, ? Partout sur ce réseau, des femmes ont évoqué pour la première fois leurs agressions sexuelles, sans doute protégées par un relatif anonymat, et portées par un mouvement collectif libérateur. J’ai vu des femmes effacer leurs messages quelques minutes après les avoir postés, ne supportant pas de laisser là, en public, la trace de leur statut de victime. J’ai vu des femmes s’ouvrir, raconter, ne plus avoir peur, se reconnaître dans les témoignages des autres, trouver une force incroyable dans le groupe de femmes qui se formait alors. J’ai vu des hommes effarés, prenant conscience du nombre démentiel de leurs proches victimes de violences sexuelles. Des hommes qui prenaient enfin en compte la réalité des violences quotidiennes faites aux femmes grâce à #harcelementderue. Des hommes qui ont remis en cause leur manière de s’adresser aux femmes, de les aborder ou de les traiter. Nous avons vécu des moments virtuels d’une intensité incroyable. Et si il n’y a pas eu d’assemblée générale des femmes violées de France dans un bel amphithéâtre, nous nous sommes reconnues comme victimes, mais surtout comme survivantes. Nous avons prouvé à celles qui doutaient qu’il était possible de survivre à une agression sexuelle. Qu’il était possible de continuer à vivre normalement. Une petite révolution a soufflé, ces temps là, sur notre petit bout d’Internet. Mais comme toutes les bonnes choses, cela n’a pas duré. Et il suffit de ce récent exemple pour s’en rendre compte.

Pourquoi les femmes sont elles seules à parler de viol et d’agression sexuelle ? On aimerait entendre plus d’hommes en parler, agir contre tout cela. On aimerait d’autant plus que le Parti Pirate, qui porte haut les couleurs d’un changement politique, qui connaît les codes d’Internet, et la rapidité avec laquelle tournent les informations et les réactions, en parle, et prenne partie, justement. Il fera d’abord des excuses à l’agressée, par le biais d’un mail confidentiel. Et promet d’évoquer la situation lors d’une réunion. On espérait alors. On se disait qu’ils allaient condamner, inviter les femmes à les rejoindre, faire un geste fort. Mais non. Ce qui ressort de cette réunion, du « cas Twitter vs les femmes » c’est que le Parti Pirate demande à son membre de reconnaître publiquement l’erreur de jugement sur l’état psychologique de la personne qu’il a agressé. Pas d’avoir réagi comme une merde publiquement aux propos d’une femme en souffrance. Non non. Juste d’avoir mal jugé le timing de sa réaction. Parce que les blagues sur le viol ou les agressions sont bienvenues, mais après, sans doute. Voilà l’étendue de la réfléxion de ce merveilleux parti sur la question. Parce qu’il faut préserver la liberté d’expression, voyez vous. Parce qu’ils ne veulent pas museler leurs membres, les petits chatons. Alors c’est un peu de la faute de la femme. Celle qui sait mal recevoir une bonne boutade. Celle qui ne comprend rien à l’humour.

 

Cher Parti Pirate, je te demande de faire des excuses publiques. Je te demande également de condamner les violences faites aux femmes, de quelque nature qu’elles soient. Je te demande de prendre conscience qu’on ne fait pas de la politique sans s’intéresser à la société dans son ensemble, pas seulement à ce qui intéresse le bout de sa lorgnette. Je te demande de ne plus parler de la psychologie de la femme victime. Je te demande de te taire quand tu ne sais pas. Et de reconnaître tes erreurs. Et si tu demandes la même chose au Parti Pirate, tu peux laisser un petit mot en dessous. Parce que personne ne doit chier dans la bouche d’une victime. Et surtout pas ceux qui prétendent vouloir la liberté.

106 réflexions sur « Parti Pirate, Twitter, secoue ta bite. »

  1. La réaction du Parti Pirate dans cette affaire me laisse l’impression qu’il a balayé le sujet d’un revers de manche. Un telle négligence est très regrettable de leur part, d’autant que le problème est grave, contrairement à ce que l’accusé essaie, avec une mauvaise foi propre à donner la nausée, de faire croire.

  2. Cher Parti Pirate, je te demande de faire des excuses publiques. Je te demande également de condamner les violences faites aux femmes, de quelque nature qu’elles soient. Je te demande de prendre conscience qu’on ne fait pas de la politique sans s’intéresser à la société dans son ensemble, pas seulement à ce qui intéresse le bout de sa lorgnette. Je te demande de ne plus parler de la psychologie de la femme victime. Je te demande de te taire quand tu ne sais pas. Et de reconnaître tes erreurs.

  3. Bonsoir,
    J’ai lu quelques petites choses autour de cette affaire, et j’essaye de me faire une idée. Je ne suis pas membre du PP, je n’en suis même pas proche, même si certains chez eux se réclament de certaines de mes prises de position sur les sujets touchant au réseau ou au numérique.
    D’une part, je tiens à signaler que je trouve le ton de ton papier très juste. Et que je le trouve instructif. Du coup, merci. En tant que mec-cis, ayant beaucoup de réflexes et de modes de pensée sexistes, ça m’aide à comprendre.
    Ce que je trouve le plus effarant dans tout ça, c’est la négation. Je ne suis pas un grand fan de la notion de chatiement, qui est en général plutôt inutile. Mais ce qui me laisse fort triste, c’est ce refus en bloc de comprendre que quelque chose cloche, et qu’il faut améliorer ça. Une exclusion aurait fabriqué un martyr, ce qui ne me semble rien apporter d’intéressant. Mais je suis triste de constater qu’un groupe de geek confronté à cette question ne réfléchit pas, et a finalement une réflexion corporatiste, au lieu de chercher ce qu’on peut patcher pour corriger au mieux le problème… J’ai pas dit que j’avais le patch.
    J’ai pas dit que j’étais de bon conseil sur ce genre de sujet-là. Mais merde, quand on te signale un bug, quand on te dit que ton comportement fait souffrir, au minimum, tu t’arrêtes 5 minutes et tu réfléchis. En commençant par écouter.
    Bref, merci pour ton papier. Il m’aide à réfléchir. Même si malheureusement une trop grosse partie des autres geeks ne réfléchissent pas.

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