Grossophobie, same shit, different day

Je me réveille, en retard. Je monte sur mon scooter. A chaque fois, une pensée pour cette image utilisée contre moi quand j’ai eu le malheur de demander à mes proches un coup de pouce financier pour l’acheter, cette femme en obésité monstrueuse sur un scooter médical, je n’arrive pas à l’oublier, est ce donc cette image que je renvoie aux autres ? Au premier feu, un mec en moto me parle, je dois soulever mon casque pour l’entendre m’insulter « tu feras mieux de prendre tes pieds », il se marre avant de démarrer. J’arrive au boulot, passage à la cafétéria, tous les jours le même allongé, « tu devrais passer à l’aspartame, c’est quand même meilleur pour ce que tu as’, merci collègue, j’avais failli oublier mon obésité, merci pour tes conseils, je garde mon demi sucre, merci. Boulot, passage sur les réseaux sociaux, la grosse Daria, Daria imbaisable, Daria inviolable à cause de ses bourrelets, même merde chaque jour déversée par les trolls, je bloque je passe, je ne fais presque plus attention. Midi, cantine, je ne choisis que des légumes, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec un régime, ca n’empêche pas l’invective « oh mais si tu manges que des crudités à midi, tu dois surement te goinfrer le soir, tu ferais mieux de bien manger maintenant, tu sais ce qu’on dit, le matin comme un roi, le midi comme un prince, le soir comme un pauvre si tu veux maigrir hein! », je ne connais pas la personne qui me parle, mais elle est à priori autorisée à me dispenser ses conseils diététiques. Parce que je suis grosse, et que l’humanité doit me sauver. Ou parce que ca la rassure de penser qu’elle n’est pas comme moi, qu’elle est mieux que moi. Je ne sais pas.

Boulot, pause, je prends l’ascenseur, deux hommes sont déjà là, conversation légère, « oh tu sais moi les thons c’est surtout les grosses, une mince, même moche, ca peut passer ». Fin du travail, retour sur mon scooter, pensée pour cette femme que je suis peut-être, en fait. Passage chez Monoprix, je voudrais des collants, la taille 6 dans les boîtes jaunes, je ne les trouve pas, je demande à l’employée « oh ici on a arrêté de les stocker, on a pas trop de clients comme vous dans le quartier ». Je shoppe donc dans un quartier sans gros, je ne me sens pas du tout stigmatisée. Respire, sors, tu trouveras pas de collants, c’est pas grave, remets ton legging troué et commande sur un site allemand les mêmes mais plus cher, parce que t’es grosse mais en plus t’es grande, pas de bol, fallait naître rentière. Sur le chemin, un petit con en vélo me traite de grosse pute, on échange quelques plaisanteries, il finira par lâcher un très joli ‘moi les grosses je les encule », fin de partie. Je rentre chez moi, une voisine est en train d’emménager, il y a une chiée de cartons dans le hall d’entrée, son mec me demande de l’aider à porter un meuble lourd, parce que sa copine « elle a pas les os aussi solides que vous, ca se voit tout de suite ». Si je refuse je suis une grosse enculée, j’accepte donc, je suis déja difforme, il ne manquerait plus que je ne sois pas aimable, si t’es pas jolie, sois au moins polie. Je me cale dans le canapé, la vidéo du casting des mannequins du défilé Victoria Secret’s tourne, on plaint ces filles superbes qui subissent le jugement des casteurs, s’ils savaient … Le téléphone sonne, une copine désespérée de faire un 40, je comprends, j’ai pas de souci avec la dysmorphie des autres, chacun sa merde, seulement parfois c’est un peu trop à supporter, la plainte de la nana normale qui m’explique qu’elle souffre affreusement de ne plus pouvoir se fringuer, de ne plus être désirable, de se sentir diminuée par 3kg en trop, « oui mais toi c’est pas pareil, tu le portes si bien », mon cul, c’est pas pareil parce que c’est pire, mais ca t’emmerde d’y penser.

Je prends un bain. Je regarde mon corps que je ne peux pas m’empêcher d’aimer. Mais il y a des soirs plus difficiles que d’autres, de ceux où tu t’attardes sur le moindre centimètre, où ton enveloppe te semble juste bonne à foutre en l’air, puisque tout le monde te le dit, puisqu’en ce qui te concerne, tout est permis, on peut tout te dire, tout te faire subir, puisque tu es grosse, et que tu ne mérites pas le respect élémentaire. On peut te donner des conseils sur ta présumée maladie, on peut te dire comment t’habiller, on peut contrôler ce que tu as dans ton assiette ou dans ton panier, on peut te conseiller de maigrir avant de soigner ton angine, on peut te dire que tu es imbaisable, que tu finiras seule, que tu ne pourras pas avoir d’enfants juste en te regardant, on peut te rabaisser sans cesse. Et ne me parlez pas d’incidents isolés, il n’y a pas une seule journée où je ne suis pas confrontée aux remarques intrusives, aux regards mal placés, est ce que vos vies sont à ce point vides et tristes pour que vous ayez le besoin de vous rassurer en crachant sur la grosse qui passe, est ce qu’il n’y a pas un espace secure où je pourrais évoluer ? Non, ni Internet, ni la rue, ni le travail, ni les relations intimes, ni ce que je pense, ni ce que j’écris, ne semble échapper à une lecture pondérale, tout est lu et analysé dans le prisme de mon obésité. Tu dis ca parce que t’es grosse. Tu penses ca parce que t’es grosse. Tu t’habillerais pas comme ca si t’étais maigre. Merde.

Au moment où je poste ce billet sur Twitter, voilà ce qui passe dans ma TL.

73 réflexions sur « Grossophobie, same shit, different day »

  1. @Olala
    Tu as peut-être du mal à le croire, mais c’est vrai (comme te l’a réaffirmé Daria, et je confirme par exemple).
    Et encore une fois, obésité n’est pas synonyme de mauvaise santé systématique. Et surtout, traiter différemment une personne à cause de son surpoids, ça ressemble furieusement à du fat shaming et ça, ça n’aide pas du tout la personne à perdre du poids (si ton but est bien entendu de la sauver de ses mauvaises habitudes, parce que t’occuper de l’état de santé des autres, c’est ta grande passion).
    http://www.nbcnews.com/health/fat-shaming-actually-increases-risk-becoming-or-staying-obese-new-8C10751491

  2. @Jean
    Je ne comprends absolument pas ton raisonnement.
    Déjà, perdre du poids quand on est obèse, ce n’est pas « j’enfile mes baskets et je vais courir ». Je te conseille, si je peux me permettre, de te documenter sur le sujet. Je l’ai fait et ça m’a permis d’éviter ce genre de raccourcis de pensée. Valérie l’explique bien dans son message plus bas.
    En outre, tu me pardonnes mais je ne vois pas pourquoi il faudrait se prendre des remarques voire des insultes dès qu’on sort de la norme. Déjà, la norme, j’y crois moyennement (c’est un concept avec lequel j’ai du mal). Et surtout: même si toi tu te mets à PERCEVOIR la personne différemment, pourquoi vas-tu la TRAITER différemment? Quand je vois un mec aux cheveux verts dans le métro, je me dis « ah c’est marrant » (ou « c’est moche » si tu préfères) et puis je passe à autre chose. Je ne me verrai pas aller lui parler de ses cheveux, vu que ça ne me regarde absolument pas. Non?

  3. A tous les yaka faukon, aller vous faire mettre le plus gentiment possible.

    A Daria, give me five 😮

  4. la majorité des gros et surtout des grosses que je croise m’apparaissent être bien dans leur peau (c’est le cas de le dire) et souvent assument leur poids et leur volume comme une force, un symbole d’énergie
    si Daria ne l’assume pas, qu’elle y réfléchisse, avant de se plaindre de tout le monde.
    Oui le monde est plein de cons et on est obligé de vivre avec (et réciproquement).
    un peu de régime pour perdre une ou deux tailles et il y aura toujours quelqu’un pour le faire remarquer.
    un petit tour aux restos du coeur ou chez une assoc qui aide les gamins malades, elle verra la vraie souffrance et y rencontrera des gens super qui ne font pas attention à ton poids ni à la couleur de ta peau, qui donnent d’eux même sans attendre rien.
    pas très compliqué, non?

  5. @Nombre Premier

    C’est drôle de te lire ; tu écris comme si nous faisions partie de ceux qui insultent les grosses et les gros à longueur de journée. J’ai l’esprit tranquille, tu sais, je n’ai jamais insulté personne sur son physique depuis l’âge de 11 ans, ni donné de leçon à qui que ce soit. Un vrai gentleman ! 😉

    Mais bon, puisque tu considères qu’être gros, c’est la même chose qu’être fumeur (même pas plus dangereux !) : pourquoi être davantage touché par quelqu’un qui te traite de gros (ce que tu es) que par quelqu’un qui te dit que tu devrais arrêter de fumer ? Si on suit ta logique, c’est moins grave non ?

  6. Ahah Nombre Premier, on est visiblement bien différents, usant d’ironie pour nous répondre par claviers interposés, faut bien le dire.
    Mais je te trouve sympathique. Sans ironie cette fois.

    Au plaisir de te recroiser sur un prochain sujet, en étant, j’espère, de ton coté la prochaine fois.

  7. Hello, poulette!
    Bravo pour ton talent d ecriture et de relation!
    Les commentaires sont du meme niveau que ceux des personnes que tu croises dans la journee, pas vrai?
    Bavards, hagards, voire…zonards ?!
    En tout cas, sur la photo, enrobee, grosse, obese ou autre, tu as un tres joli visage!
    Pour ma part, 48 balais, yoyo accordeon depuis des decennies, oscillant entre le 42 et le 52…
    Pour les fringues et les chaussures ( eh ouais, un, enrobee et bien proportionnee de partout=pieds et mollets en rapport),et la lingerie sexy,c’est le gymkhana , le parcours du combattant,..
    Vive Evans ( U.K.), Simply Be ( cher mais top!), New Look, C&A, Auchan ( pour les collants!)…haro sur Monoprix ( l’image, ma chere, l’image, c ‘est primordial!) et sur la connerie …!
    Avec les Ziva en velo? Un grand sourire: » ben alors, p’tite bite, on a un coup d’mou?! » ( si ton scooter demarre plus vite que sa Torpedo, of course!)

    Les gens te font des reflexions par stupidite, mediocrite, bassesse, petitesse.
    Les regards, c’est kif kif 😉
    Moi, j’adore lorsque Cheri-Cheri, qui a 8 ans de moins que moi, un rapport taille poids normal et une paire de fesses a poupougnes d’enfer , me sussure qu’il me trouve belle avec beaucoup ou peu de kilos en trop, et qu’en plus, il est dingue de mon cerveau!
    Alors les autres, apres…il suffit de rentrer dans la gueule de la vendeuse en lui demandant si elle a un probleme, et fort, et si elle est payee a emettre un avis discriminant sur quiconque.
    Si c’est le cas, (!), marre toi: cours exiger sa fiche de poste aupres de sa Direction!!!
    ( Si elle existe, vite un courrier a la Halde, hein?!)

    Ca soulage 😀
    Meme si ca ne servira a rien sur le fond, mais tu n es pas non plus responsable de sa non education.

    Les gros boeufs dans les ascenseurs???
    Faut eprouver de l ’empathie pour les bovins, ma grande, et leur dire clairement que toi, tu es selective, a ces pseudos consommateurs peu regardants!
    Aime toi ou ne t’aime pas, comme tout le monde, ca depend des jours, mais en tout cas, respecte toi!
    On survit bien aux chiures de mouches, alors carre les epaules, les pieds bien a plat, et profites de ta vie, eclate toi!
    Bon courage!
    Ps: je dis ca parce que le Con Minable est partout, proteiforme, et, comble de l’horreur, tellement NORMAL qu’il en est pathetique

    ^^

  8. C’est trop marrant : Daria commente nos commentaires sur Twitter, sans nous répondre à nous directement.

    En clair, à chaque fois qu’un « câlin » ne lui est pas adressé, elle considère ça comme une sorte de « point Godwin » atteint à chaque fois (le post de Paul est un point Somalie, le mien sous-entendait que l’on pouvait se moquer de quelqu’un sous chimiothérapie sans problème).

    Continue Daria, c’est un plaisir ! 😀

  9. @Olala et Elek:
    C’est drôle, j’ai l’impression de m’être fait plein de nouveaux copains 🙂

    Toutes mes excuses si je vous ai assimilés à ceux qui se permettent ce genre de remarques; ce sont vos commentaires qui m’ont conduit à le penser.

    Ah non, je n’ai jamais dit qu’être gros, c’était comme être fumeur, car être gros n’est pas nécessairement un signe de mauvaise santé (contrairement à la cigarette qui abîme forcément tes poumons, tu peux être gros avec un coeur qui va très bien, zéro cholestérol ou diabète, etc etc).

    Cela dit, si quelqu’un me traite de gros, c’est comme si quelqu’un me dit d’arrêter de fumer: selon moi, ça ne le regarde pas, donc il n’a pas à me faire la remarque.

    Jean, je ne sais pas trop pourquoi tu me trouves au final sympathique. Je ne sais pas en dire autant sur toi à travers nos échanges. Mais avec plaisir pour un débat virtuel sur un prochain sujet, en espérant une vraie conclusion cette fois-ci (là j’en déduis que nous « agree to disagree »).

    Daria, désolée d’avoir squatté ton fil de commentaires!

  10. @Nombre Premier, tu as raison, médisons dans notre coin plutôt que d’ouvrir le dialogue.

    On traite les personnes différemment en fonction de comment on les perçoit.

    Si tu n’es pas d’accord, je peux te demander si tu proposes à un sportif de 28 ans de l’aider à traverser la rue ? Ou si tu caresses le ventre de ton patron le matin et lui faisant des guilis, comme tu le ferais avec un bébé ?

    Si tu es religieuse, tu peux penser que ça n’est pas normal. Mais ça l’est.

  11. je te rassure, je ne comptais pas arrêter 🙂 et « Elle » fait ce qu’elle veut, parce qu' »Elle » est chez ‘Elle’ sur son fil twitter comme sur son blog <3 et je n'ai pas parlé de point Godwin mais de point Somalie <3

  12. @Jean
    Mais là tu parles de gestes positifs (quoique, je ne me permets jamais de toucher le ventre d’une femme enceinte si elle ne me l’a pas proposée) ou de gestes d’aide envers les gens. Daria, elle parle de remarques négatives, voire d’insultes. Quel rapport?

  13. Aux gens qui pensent que c’est normal d’insulter les gros-ses parce qu’ils gros-ses, vous ne verrez donc pas d’objection à ce que je vous traite de con-nes…

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