Donne moi

Donne moi la patience, donne moi les nerfs, donne moi l’envie. D’expliquer trente fois, de revenir dix, de redire et de remettre, de panser ce qui a déjà été abîmé, de remettre à demain ce qui a été combattu aujourd’hui. Donne moi la force de me foutre à poil, de crier, de hurler, donne moi le fer pour ma lance et pour mon armure, du même métal transpercer et protéger, des mêmes idées faire son idéal de vie et son combat. Donne moi l’humilité de reconnaître mes manquements, mes erreurs, donne moi cents lignes dans le grand cahier pour que je comprenne, pour que ça rentre, pour ne pas répéter encore ce qui ne fonctionne pas, pour échapper à l’insanité. Donne moi du silence, de l’obscurité, du désert, donne moi le vide qu’on ne peut remplir, donne moi la contemplation et l’émerveillement, donne moi les nuits sourdes remplies de musique, donne moi le fond de la piscine et le carrelage cassé, donne moi le dur et le difficile pour que j’apprenne à respirer. Tanne ma peau, mais laisse la souple, poreuse, prête à s’enduire de nouvelles couleurs, prête à marquer les coups et à porter les cicatrices, ni rigide, ni momifiée, si vivante qu’elle se moque bien des autres, si fière qu’elle supporte toutes les années. Donne moi l’honnêteté, celle de dire ce que je pense, sans peur de perdre ou de manquer, sans négocier les virages de l’ego des autres ou de mes peurs, donne moi une langue qui me pousse au ravin, jouer l’équilibriste sur le sentier. Donne moi la force, donne moi l’assurance de n’être bien qu’assise en moi, yogi posé dans son temple, yeux fermés et paumes ouvertes vers l’immensité.

Trouve en moi le courage qui me manque, trouve en moi les failles et remplis les d’amour, de rires, de moments sincères, de regards qu’on croise, de mots lus, d’enchaînements parfaits de phrases volées à d’autres, de la couleur des rues quand il pleut, de l’odeur du cou de ma mère, de bras qui se serrent autour de moi, entasse les sentiments les uns sur les autres, les meilleurs, les bienveillants, les bien-pensants, construisons un barrage, une digue, un abri. Des sacs de sables contre la boue, contre la haine, contre les journées trop longues et trop vides, des sacs de joli pour faire peur au vilain, pour que seul le soleil passe au travers, pour que les torrents s’apaisent. Donne moi des centaines de doigts pour masser mes synapses, donne moi des yeux qui ne se brouillent jamais, donne moi un cerveau sur modulateur, impavide aux changements électriques, le bip-bip régulier des ondes pour le bercer, un cerveau mou, peu prompt à l’excitation ou à l’angoisse, un cerveau placide, bon chien, sans surprises, toujours heureux de te voir rentrer à heure fixe. Donne moi des réserves de bras, pour que je puisse les ouvrir, sans relâche, sans penser à ce qu’il faudrait compter ou ce qu’il faudrait retenir, donne moi l’amnésie, l’oubli, le pardon, donne moi le silence encore, celui des autres mais surtout le mien, donne moi un arrêt d’urgence, une bande de secours, donne moi le courage de sauter du train avant d’y foutre le feu, donne moi du tulle gras et des réserves de codéine, parce que tout ira mal, un jour, et qu’il faudra y aller, parce que j’aurai oublié de réfléchir et de penser au désert, parce qu’il y aura trop de bruits à faire taire.

Donne du son à mes pas, qu’on me regarde, qu’on se souvienne de moi, donne de la musique à ma voix, qu’on m’entende sans crier, qu’on m’écoute sans hurler. Donne des pics à ma langue, des insultes et des jurons, donne des tics à ma bouche, des tocs à mes doigts, des habitudes et des idiomes rien qu’à moi, donne moi le plaisir de chuchoter, ordonne moi de me taire. Rends moi toute petite, minuscule, transparente, efface moi devant les autres, empêche moi de prendre de la place, de déborder, d’en faire trop, de vouloir marquer l’espace à tout prix, de peur qu’on ne m’oublie. Donne moi le contentement, le centre, le milieu, celui qui ne réclame rien, celui qui n’attend plus, celui qui ne porte plus de montre et dont les yeux sont grands ouverts, délivre moi de mes envies, de ma chair parfois, laisse moi déshabiller ma peau sur une chaise, la laisser se rider sans m’en soucier, se boursoufler et se tendre, déplaire et m’attendre. Donne moi l’envie, donne moi du sable dans mes chaussures et des cailloux sur ma route, parce que c’est peut-être le mieux, de se retourner et de compter les cailloux, juste parce qu’on peut.