Féminisme(s)

C’est quoi le féminisme ? C’est tout et c’est nawak. Ca part d’une idée simple : l’égalité entre les hommes et les femmes. Et puisqu’on parle d’hommes et de femmes, ca s’intéresse aussi à ce qu’on comprend quand on prononce ces mots. C’est quoi une femme ? C’est quoi un homme ? Comment ca se construit ? Comment ca s’éduque ? Le genre, désolée du gros mot. La fin des discriminations genrées. Et puis, fort heureusement, parfois, ca croise d’autres luttes, ca rencontre d’autres militant-es, ca prend en compte les autres discriminations subies par les femmes déja opprimées par le sexisme systémique, pour en citer quelques unes : le racisme, la transphobie, l’homophobie, la psychophobie … Bref. Ca a l’air super cool, on lutte toustes pour la même chose, sortez les cotillons et résonnez musette. On devrait, sans doute, au nom de la grande sororité de genre, pouvoir passer au dessus de ses agacements, de ses revendications, présenter un dos uni et lisse à l’adversaire pour qu’il puisse mieux nous battre. Dans la réalité c’est impossible. D’abord parce que la conscientisation féministe s’opère souvent de manière radicale : je ne vais pas vous refaire le coup de la pilule bleue de Matrix, mais il est souvent impossible de se remettre du caca dans les yeux pour plaire à machin ou à truc, pour enrober son discours de sucre. Ensuite parce qu’avec cette épiphanie féministe arrive souvent la découverte de choses qui révoltent, qui te tordent le bide, qui te font pleurer : plus tu en sais, plus tu en sauras, plus tu veux en savoir, comme pour te brûler un peu plus la gueule, pour ne jamais pouvoir oublier, pour refuser de rentrer dans le rang. C’est sans doute pour tout cela qu’on nous qualifie facilement d’hystéros. Oui, on est au taquet. Non, on ne lâche rien. Ni sur l’humour, ni sur l’avortement, ni sur les tâches ménagères, ni sur le plafond de verre, ni sur la précarisation, ni sur les sans papières, ni sur le viol, ni sur l’accès aux soins, ni sur le harcèlement de rue, ni sur la liberté sexuelle, ni sur le droit de s’habiller comme on l’entend, ni sur la lesbophobie, bref, tu vois le truc, y’a tellement de clous rouillés qui maintiennent les femmes en place depuis des siècles qu’on se déchaîne un peu sur la pince.  La question d’après, celle qui me fâche en ce moment, c’est pour qui devient on militante féministe ? Pour soi, bien sur, parce que ca fait du bien, parce que ca « empuissance », parce que ca libère, parce que ca redonne envie de sortir la tête des épaules. Et puis aussi parce qu’on affirme la place des femmes dans la société en s’identifiant clairement comme féministe, en partageant ses réflexions. Dire clairement à l’usine, au bureau ou en famille qu’on est féministe, c’est déjà provoquer la conversation. Et ce n’est pas toujours facile à gérer. Mais si on peut, si on a le luxe de pouvoir le faire sans craindre pour son intégrité physique ou mentale, ca peut valoir le coup de le tenter. Pour jauger le sexisme qui vous entoure déjà, et puis pour faire parler. Le contre coup du féminisme, si tu es une femme hétéro, c’est que tu vas devoir réapprendre ton rapport aux hommes dans la séduction et dans la relation. Tu vas devoir expliquer ce que tu ne veux pas ou plus. Tu vas devoir être moteur du changement. Parce que ton mec, oh well. Disons sobrement que les mecs n’ont que peu d’intérêt concret à la progression de la cause féministe. Et qu’il va d’abord comprendre qu’il va devoir plus faire la vaisselle et plus s’occuper des gamins avant d’accéder aux révélations anti-sexistes. Ca sera peut-être long. Ca sera sans doute douloureux. Ca vaut le coup. Pour toi. Mais tu l’as compris, il n’est pas confortable de se proclamer féministe, socialement ou intimement, ca remue.

Quand tu t’es avouée à toi même et à tes proches que oui, tu croyais en l’égalité hommes-femmes et que tu voyais vraiment pas pourquoi on te refusait la stérilisation volontaire à 31 ans parce que non, t’es bien sure, tu veux pas de mômes, tu vas avoir envie de discuter avec des gentes qui pensent comme toi. C’est normal. Ca fait du bien de se retrouver dans un espace de parole où tu n’es pas sans cesse remise en question. Ca fait du bien de pouvoir poser son masque de combattante dans un endroit safe, et de trouver des solutions, des motivations, des informations, auprès de gentes concernées. Et puis tu vas avoir envie de -faire du féminisme-, pas comme on fait de l’escrime ou de l’équitation, parce que ca te prendra aux tripes, que ca sera plus qu’un hobby, ca te réveillera même peut-être la nuit. Alors tu vas chercher le meilleur endroit, l’association, le collectif, le groupe, l’initiative qui te ressemble le plus. Tu vas croiser un peu de tout. Le paysage du féminisme en France est large, un peu chelou aux extrêmes, et carrément agaçant quand t’as une idée claire de ce que tu cherches. Il faudra te poser des questions. Qu’est ce que tu peux apporter ? Qu’est ce qui te motive le plus ? A qui veux tu t’adresser ? Tu voudras tout faire. La manif contre le viol et l’atelier sur le consentement actif, le groupe de parole sur le foulard et la rencontre avec cette autrice féministe, tu traîneras sur Demosphère à la recherche de nouvelles activités, tu voudras tout apprendre, tout rencontrer, tout connaître. Et puis ca t’épuisera. Alors tu feras un break. De trois heures. Et tu recommenceras. Et tu devras répondre à ces questions : mon féminisme est il abolitionniste ? mon féministe est il psychophobe ? mon féminisme est il blanc ? mon féminisme laisse t il la place aux femmes trans ? mais surtout à qui s’adresse mon féminisme ? Aux hommes ou aux femmes ? Aux dominants ou aux dominée-s ? Est ce que je suis convaincue que la pédagogie féministe sauvera le monde, et permettra aux hommes dominants de changer leur coeur et de marcher vers la lumière ? Est ce que j’ai envie de me concentrer sur des actions par et pour les femmes ? Est ce que je souhaite faire des compromissions pour que mon message soit mieux entendu ? Est ce que je pense que l’objectif justifie tous les moyens de communication ? Quel est le fond de ton engagement ? Quelle est sa forme ? Rassure toi, tu peux changer d’avis en cours de route. Tu peux, (tu dois), te remettre en question, souvent. Tu peux t’apercevoir que tu as choisi les mauvais-es compagnon-nes de lutte, tu peux t’apercevoir que c’est trop dur ou trop chronophage, tu peux arrêter un peu, tu peux reprendre 23 fois. C’est normal et légitime. Tu rentres en féminisme avec toute la force de ta conviction, toute l’énergie de ta volonté à aider et à t’aider toi même. Tu te rendras compte que tu as le luxe d’être une militante. Que des milliers de femmes n’ont pas ce luxe, n’ont pas accès aux ressources, n’ont pas le temps, n’ont pas la disponibilité, ne veulent pas risquer de se mettre en avant ou de s’exprimer. Ca te fera honte d’en être encore là. Ca te donnera encore plus envie de gueuler parfois. Tu te rendras aussi paradoxalement compte que militer pour l’égalité des droits et contre le sexisme n’est pas un luxe mais une urgence absolue. Tu vivras avec ces contradictions. Et ce qu’elles révèlent en toi.

Tu vas t’énerver. Beaucoup. Peut-être que ta colère passera, et qu’elle te permettra d’accéder à un autre état de conscience ou je ne sais quoi. Si t’es comme moi, ca n’arrivera pas. Au pire tu fatigueras. Mais ton potentiel d’agacement va se démultiplier. Parce que tu vois. Parce que tu constates. Parce que tu te heurtes. Au sexisme systémique. Aux mecs dans l’espace public. A la publicité. A la télévision. En politique.  A ton mec. A tes potes. Aux autres meufs aussi. A celles qui refusent l’idée des axes de domination. A celles qui ont tellement bien intégré la misogynie rampante qu’elles deviennent les pantins volontaires d’un système pourri. A ton incapacité de changer les choses pour celles qui ne peuvent pas être féministes parce qu’elles en craignent trop les répercussions. Aux autres féministes, celles qui refusent les droits aux travailleur-ses du sexe, à celles qui refusent de croiser les luttes, à celles qui te reprochent d’être proxénète, pute ou mac. Tu deviendras parfois une caricature de féministe. Tu t’emporteras pour une énième blague. Tu ne sauras pas laisser pisser. Ca te bouffera, mais tu ne pourras pas t’arrêter. Tu perdras ton temps. Tu arrêteras d’être consensuel-les ou pédagogue. Enfin moi, j’ai arrêté.  Peut-être que toi, tu y arriveras. Moi je me radicalise. Ca fait peur ce mot. Je sais. Je n’ai pas appris à arrêter de desservir ma cause dans les yeux du public non averti. Je crois toujours que le sexisme ne disparaîtra pas en lui chantant des chansons ou en pactisant avec lui, mais que c’est pas la force que les femmes obtiendront le respect puis l’égalité. Je ne parle pas de mettre des pains à Orelsan. Je parle de la mise en oeuvre d’un rapport de force. D’une pression sur les dominants. D’une surveillance de chaque instant. Je parle d’éduquer les femmes, de leur permettre d’accéder à des outils simples de compréhension et de détection du sexisme et de l’oppression. Je parle d’espaces non mixtes, où la parole se libère sans crainte, où les petites épiphanies peuvent se laisser éclore. Je parle de la généralisation du consentement actif à tous les aspects de la vie, apprendre aux femmes à dire OUI ou NON  à leurs médecins, à leurs enseignants, à leurs curés, à leurs amant-es, à leurs employeurs, leur donner les ressources nécessaires pour appréhender les conséquences de leur consentement, les accompagner. Voilà, ce sont mes ambitions. Voilà mon féminisme. Quelques phrases seulement pour un programme immense. Il m’aura fallu des années pour en arriver là. Des années à dire des conneries. Des années à refuser de me rendre compte que je faisais aussi partie du problème, des années à m’éduquer, à utiliser d’autres mots, à m’ouvrir, à sortir de mon éducation. Et je n’ai pas fini. Et je doute. Et je me sens souvent conne. Et je peux dire sereinement aujourd’hui que le reste ne m’intéresse pas. Qu’il y a d’autres féminismes. Certains me font gerber. Certains me renforcent et m’encouragent. Certains donneront même l’impression d’être efficaces. Certains le sont.  Je ne crois pas dans la sororité des militant-es féministes. Je ne crois pas à la sororité. Je crois au rassemblement des dominé-es concerné-es par leur survie. Je crois qu’on aide mieux quelqu’un-e quand on a soi même rencontré un problème, qu’on a réfléchi. Je crois à l’entraide féministe. Je crois à la bienveillance éclairée et à l’exigence.

(Quand j’emploie femme dans l’article, j’entends femme cis ou trans, sans distinction particulière sauf précision)

L’humour, Bloqués, et les mouches

Longtemps j’ai cru qu’il y avait deux conditions pour qu’une blague soit drôle : d’abord, qu’elle soit drôle (sic), et ensuite qu’on la présente au bon interlocuteur. Ainsi il me semblait tout à fait cool et ok qu’un pote pas-antisémite-puisque-c’est-mon-pote me fasse la énième fois le coup du schweppes juif, et que ma copine pas-grossophobe-puisque-trop-gentille-et-de-gauche-tavu ne se lasse pas du ‘on est gros on est cons on va à Arcachon’. Et puis, finalement, rire des blagues qui m’oppressent est une bonne défense, ca permet de montrer sa toute grosse carapace contre les micro-agressions, et puis moi-tu-vois-je-suis-pas-comme-ces-grosses-qui-se-plaignent-tout-le temps-puisque-je-rigole-de-ta-blague, donc s’il te plaît continue à me faire des jokes dégueulasses sur les obèses qui puent, mais parle moi, aime moi, je pue pas je te jure. L’oppression systémique subie par les gens qui souffrent de l’humour ciblé est tellement intégrée et normalisée que les victimes de l’humour se doivent de participer à leur propre dégradation, de peur d’être une nouvelle fois ostracisés. Faire rire à ses dépends, mais faire rire au moins, participer à ce qui fait rire l’ensemble d’une société pour s’y sentir intégré. Et puis on s’accroche à ces lieux communs oui-mais-regarde-si-c’est-un-arabe-qui-raconte-la-blague-sur-les-arabes-ca-passe-alors-pourquoi-moi-le-blanc-j’aurai-pas-le-droit-d’être-drôle-ma-liberté-d’expression-vive-la-France-merde. Ce raisonnement est bien mignon, mais il ne tient absolument pas compte des dynamiques d’oppression qui traversent nos sociétés racistes. C’est un peu le même mécanisme avec le racisme anti-blanc. Ca n’existe pas. C’est une réaction à la domination blanche ancrée en France. Pour prendre un autre exemple, on peut se demander pourquoi certaines femmes humoristes aiment taper sur les autres femmes. Est ce qu’elles le font parce que c’est drôle ? Ou parce qu’il est plus simple dans une société patriarcale dirigée par des hommes (ceux qui ont le pouvoir d’achat, ceux qui organisent les tournées, ceux qui donnent la norme de ce qui est drôle ou pas) de faire rire les hommes aux dépends des femmes ? Quand je me surprends à me moquer de la tenue d’une femme dans la rue, de quoi est ce que je me moque vraiment ? Pourquoi cette femme choisit elle ces vêtements pour se présenter au monde ? Qui lui impose une norme ? Est ce que c’est drôle de jouer contre son camp à la faveur du dominant ?

Quand c’est un homme qui produit de l’humour , on est évidemment en droit de s’interroger si cet humour est sexiste ou non. On peut choisir de mettre en scène le sexisme, et d’en rire. On peut même écrire des choses très violentes qui parlent de femmes, ca m’est arrivé, ici par exemple (je ne compare en rien ce petit texte au succès des auteurs de Bloqués ou de Bref). On peut écrire, faire jouer, des horreurs magnifiques. C’est souvent pas drôle. C’est même souvent affreux, angoissant, terrible. Parce que mettre en scène l’oppression d’un genre tout entier, c’est forcément présenter une réalité ignoble et insupportable. Je vous renvoie au travail d’Ariane Mouchkine et des réfugiés du théâtre du Soleil. C’est pas de l’humour non. C’est de la mise en scène d’histoires individuelles atroces. Et ca ne peut pas faire rire. On peut sourire de certaines situations finement amenées, on peut s’émouvoir avec les victimes d’atrocités. Mais je ne me suis jamais tordue de rire devant Le Dernier Caravansérail, je vous l’assure. La vocation du travail de mise en scène est alors  de porter une histoire et de changer l’oeil du spectateur. Alors comment mettre en scène l’invivable des femmes en étant drôle ? Vous prendrez bien une petite part des cendres de Desproges ou de Guitry ? Je sens que vous les avez déjà en bouche, toutes chaudes de l’urne. Je ne suis pas sure que ces deux personnages ne soient pas, n’étaient pas misogynes. Ils avaient du talent. Ils faisaient rire les dominants. Et certains comprenaient qu’il s’agissait d’humour. Et d’autres les brandissent encore comme les défenseurs ultimes de la liberté d’expression. Il est intéressant d’observer comme le combat pour la liberté de la presse et l’expression libre est maintenant un combat de droite. Les fafs veulent pouvoir dégueuler leurs fientes en toute impunité. Liberté de dire de la merde, d’incriminer, d’enfoncer, de stigmatiser. Parce qu’ils peuvent, les fafs blancs bien français, bien soucheux, ils n’ont pas grand chose à craindre, malgré leur peur panique de tout changement à leur vie médiocre.

Revenons au sexisme. Comment des hommes cis peuvent ils faire rire sans sexisme ? Je pense que le plus sur est d’éviter de faire rire sur les femmes. Oui, ca peut paraître radical. Mais si tu ne sais pas faire quelque chose, si tu ne sais pas comment ton message va être reçu, il est parfois préférable de se taire. Dans le cas de Bloqués, il me semble qu’il y a des dizaines de choses pour rire. Les jeux vidéos. Les commandes de pizzas. La couleur du canapé. L’odeur du slip d’Orelsan.  Et si tu veux absolument faire rire grâce / à cause / par / de l’humour genré, pose toi les bonnes questions. Pourquoi ne pas rire sur l’impossibilité chronique des hommes à remettre en cause les fondements du virilisme ? Pourquoi ne pas rire sur la fainéantise affligeante des hommes à lutter contre l’éducation qui les forme à être des Hommes des Vrais, à jouer au foot et à roter, parce que ca, ca c’est masculin tu vois ? (Non ce n’est pas masculin, mais les clichés de genre sont des clichés, justement). Pourquoi vouloir taper sur les femmes ? Elles s’en prennent pas assez dans la gueule comme ca ? C’est drôle de servir en quasi prime time à la télévision une soupe tiède pleine d’images qui servent à humilier les femmes quotidiennement ? Exemple : « Sinon, ils lâchent leur boulot « parce que la DRH elle voulait pas coucher avec moi pour que j’aie une augmentation » ou parce que « Y’avait aucune meuf bonne », « Ah ben bravo ! C’est sûr qu’ici il y a plus de meufs bonnes ! » . J’ai vraiment la flemme de reprendre mes marionnettes et de vous faire l’histoire du plafond de verre dans les entreprises, de la mise au placard des femmes après leur maternité, des contrats à quart de temps qui concernent principalement les femmes , bref, j’ai pas la force. Mais une chose est sure : ce n’est pas drôle. Et voir deux prétendus loseurs, car ils ne sont que les acteurs qui mettent en scène la lose, les deux protagonistes Orelsan et Grinch sont des artistes reconnus, accumuler les conneries sur le sujet, suivant un scénario écrit par des hommes eux aussi reconnus et ne manquant pas de projets et de travail, ouais, c’est pas drôle, et ca fait presque mal au cul. Prétendre que les télé-spectateurs comprennent que ces deux acteurs sont des perdants et qu’ils ont forcément un discours de connard, c’est se mentir. Il suffit de lire les commentaires sur les articles consacrés à la mini série ou les réponses sur les réseaux sociaux. On se marre parce que c’est drôle d’aller se branler sur la gueule de la meuf bonne du taf dans les chiottes. On se marre parce que c’est rigolo d’avoir une voisine bonnasse et de la faire chier. Les fans d’Orelsan et Grinch sont ravis de les voir à l’écran, les autres se reconnaissent dans des propos à chier dégueulés à longueur d’année par leurs pères, leurs professeurs, leur plombier. Et la vie continue. Et les femmes sont toujours bien dans la merde. Super, merci d’avoir joué.

Le pire de l’histoire, c’est que je suis assez persuadée que les mecs qui écrivent ce programme sont persuadés d’être féministes. D’être des mecs engagés, qui n’obligent pas leur meuf à se raser la chatte, ou ce genre de trucs. En fait y’a même pas à être persuadée, Navo le dit très bien lui même sur Twitter. Il est féministe, il peut donc faire dire de la merde à des personnages. Vous saisissez le problème ? Je vais me décréter anti raciste, mais je vais produire Michel Leeb. Je vais me décréter anti grossophobie, mais Karl Lagarfeld est mon meilleur pote. Je me demande à quel moment les féministes ont échoué dans leur projet de pédagogie à l’égard des hommes. Parce que non, tu ne peux pas être féministe et participer à la mise en scène du sexisme quotidien sans message, sans explication, sans contexte. Ca revient juste à rajouter un petit tas de merde sur la benne de bouse qu’on se tape tous les matins parce qu’on s’identifie comme femme. Ca n’aide personne, au contraire. Ca devient cool. Parce que ces loseurs de Bloqués, ce sont des mecs cools. Des rappeurs blancs. Des dominants. Et que tout le monde veut jouer avec les dominants. C’est vachement plus drôle que de lutter avec les victimes. Et puis soyons honnêtes, trouver des punchlines non oppressives, ca doit demander vachement plus de taf.

Des hommes et des mouches

Je suis toujours très étonnée des stratégies employées par les hommes cis pour pénétrer un vagin. Ma condition nouvelle de célibataire me donne la joie de subir ces tactiques ancestrales, sans doute venues de nos aïeux préhistoriques, puisqu’on y retrouve un certain vocabulaire très-chasse-très-pêche. L’homme, brandissant son gourdin de chair, se poste dans l’ombre et attend de voir passer la vulve fraîchement tondue afin de l’assommer et de le traîner à sa grotte. J’exagère, mais c’est finalement l’image que me renvoient les tentatives cocasses de chasseurs de vagins patentés, diplômés de leurs permis de séduire selon les règles patriarcales, avec option Tinder langue renforcée. Je ne me souvenais pas, ou je ne voulais pas voir, à quel point la séduction est un enjeu de l’égalité hommes-femmes. Les hommes cis hétéros perpétuent volontiers les stéréotypes irrespectueux et genrés hérités d’une imagerie oppressive (ca coûte cher de se sortir une petite, le resto le ciné, il faut au moins que je la nique), n’hésitant pas à recourir aux mensonges, à la dissimulation, à la manipulation pour accéder au coït, et restent coincés dans un délire moyenâgeux laissant penser qu’une femme qui dirait son désir de copuler serait une salope, une salie, une fille de moindre valeur, et qu’il serait donc plus chevaleresque, et plus ambitieux d’arracher un consentement sous quelques manières possibles à une femme qui se refuse ou qui fait semblant de se refuser pour entretenir le désir de conquête de son assaillant. Triste monde tragique, puisque cette mécanique fort peu lubrifiée cantonne les femmes dans des petites cases bien fermées, les habitue à chier allègrement sur leur envie et leur consentement, et les conforte dans l’idée que leur sexualité, la manière, la fréquence, le choix des partenaires, tout cela influe sur leur valeur au grand marché de l’accouplement traditionnel. Ainsi, alors que je présentais mon deuxième petit ami à ma grand-mère, elle me servit cette sortie mythique « Y’a tout le train qui va donc te passer dessus, fais attention personne veut d’un produit abîmé. ». Si mon honorable aïeule n’est pas une force vive du changement vers un monde meilleur, elle représente le sens commun, cette petite voix bien bien ancrée dans nos inconscients féminins par des centaines d’années d’oppression. Nous sommes un produit à conserver au frais, ne briser l’opercule qu’en cas de force majeure pour obtenir le mariage et la protection de la bite majestueuse et pourvoyeuse de sécurité. Être une femme désirante, libre de prendre du plaisir avec Paul ou Brahim sans en attendre le partage d’une feuille d’imposition est donc doublement difficile : cela suppose d’être venue à bout de l’éducation à la préservation du joyau virginal de nos cavités, et de rencontrer des partenaires qui n’attachent pas leur numéro de passage dans la file vers ton clitoris à ta valeur en tant qu’individu. Compliqué.

Avoir du désir et le dire ouvre aujourd’hui une conversation hallucinante avec la plupart des hommes cis héteros. Il faut ensuite être prête à détailler la moindre pratique, dire si on suce après la sodomie ou non merci, les diverses façons dont on accepte d’accueillir la divine semence, si on a testé l’uro et si on est bi. Il n’est alors plus question de rencontres entre deux adultes consentants qui souhaitent passer un moment d’exploration sensuelle, mais d’un menu grande frite coca light mc flurry à la cyprine, l’addition merci. Si les travailleur-ses du sexe mettent en avant leurs pratiques sexuelles dans le cadre d’un échange marchand entre deux parties, il me semble que la recherche systématique du menu érotique préféré de l’autre appauvrit forcément l’échange. Est ce qu’on peut prendre un café avant que tu me pisses dessus ou est ce que tu es pressé ? Je ne dis pas qu’il ne faut pas parler de sexe, au contraire, dire son envie, ses limites, ce que l’on attend, me semble très positif. Mais le désir féminin n’est pas un détail d’une personnalité, quelque chose qui complète le portrait d’un individu tout entier, il devient l’unique point de focalisation du mâle, salivant déja devant le menu des festivités. Une pratique annoncée est une pratique vendue, et plus la pratique est rare, plus elle devient désirable. Une femme annonçant qu’elle aime pratiquer la sodomie se verra sodomisée avec plus ou moins de douceur et/ou de consentement à la première occasion, la pratique ne faisant plus l’objet de discussion ou de découverte ludique, elle est acquise et donc prenable, pilonnable sans questionnement préalable. La femme qui souhaite que son consentement soit respecté se verra reprocher d’avoir menti si elle refuse une pratique qu’elle avait annoncée comme possible, ou se verra confrontée à des efforts de négociation dignes de Camp David de la part d’un homme décidé à la besogner dans les termes énoncés. Il faut avoir confiance en soi, il faut avoir déconstruit son rapport aux hommes et au sexe, il faut être forte pour résister aux injonctions performatives de nos partenaires. De guerre lasse, disons le, les femmes se font enculer. Et pensent à autre chose.

Je ne crois pas aux hormones qui expliqueraient le manque d’éducation, de respect et d’intelligence relationnelle des hommes cis. Je ne crois pas aux règles qui rendent sales, aux petites filles qui doivent être bavardes, aux femmes obligatoirement « michtoneuses ». Je crois à un long processus d’oppression de la liberté d’un groupe par un autre. A une éducation genrée qui enseigne aux uns à prendre et aux autres à accepter d’être prises. La drague, la séduction la vie intime, rien n’échappe aux injections subies depuis notre enfance. Je repère chez moi, à force de réflexion, les moments où ma volonté se courbe devant l’envie d’être une fille normale, une fille qui dit oui, une fille qui se tait, une fille qui se laisse baiser même quand elle n’en a pas envie. Je résiste parfois, je cède encore trop souvent, parfois même sans m’apercevoir de la violence que je me fais. Cela vient plus tard, quelques minutes ou quelques heures après, cette espèce de culpabilité de ne pas avoir su dire non, de ne pas avoir été assez forte ou alerte pour réagir. D’avoir laissé ce processus de lamination totale de ma volonté de femme gagner. Je m’en veux. J’en pleure, comme une fille. Et puis je me dis que je ne laisserai plus rien passer. Alors je retourne à la case 0, à ne plus rien supporter des hommes qui ne soit pas parfaitement dans le respect de mon individualité. Alors j’ai la tentation de me taire. Mais je me souviens, et je me mords, et je gueule. Et je ne me laisse plus faire. Et je ne veux plus entendre qu’il faudrait être plus souple, qu’il faut accepter les défauts de l’autre. Il ne s’agit pas ici des qualités d’un éventuel partenaire, de savoir s’il range ses chaussettes sales ou s’il sait faire les pâtes à l’ail, il s’agit de ce que je suis en droit d’attendre en temps qu’être humain, en tant que personne vivante. Il ne s’agit pas de qualités qu’on pourrait choisir sur catalogue, mais des caractéristiques essentielles de ce qui rend la découverte de qualités possibles. C’est le préambule à l’amour, celui du corps ou celui des têtes, que de savoir se regarder soi en tant qu’individu désirant et volontaire. C’est un joli préliminaire. Je ne sais pas si c’est tout à fait possible. Après la révolution sans doute, amours et révoltes. Mais je ne suis plus prête à transiger. My way, José.

 

Nice 11h06

Nous n’irons pas a New York. Nous n’irons pas aux Maldives. Nous ne mangerons plus de sushis. Nous ne nous appellerons plus. Je ne porterai pas ton enfant. Je ne t’attendrai plus au pied de mon immeuble. Nous ne nous aimerons plus. Tu pars, je reste. Peut être le contraire. Je perds le sens du Nord. Je ne sais plus quoi faire de mon corps. Il est ballant, tout entier, lesté de centaines de bulles de plombs, pustules d’avant, kystes de futurs avortés. Il faudra m’en débarrasser, un à un. Il faudra inciser dans le tendre pour me séparer de toi, pour de bon cette fois. Passer la lame entre deux artères descendre vers le ventre, ouvrir en grand. Laisser sortir les humeurs et les vices, les envies et les bis. Nous n’irons plus, mon amour, c’est ainsi, c’est pour de vrai cette fois, tu me l’as dit.

Nous avons essayé avant, partir, se regarder de loin, lâcher la main de l’autre, sauter dans le grand bain. Nous avons échoué, toujours, liés par le nombril, jumeaux maléfiques. Nous n’irons plus, le cordon se disloque, les chairs sont putrides, il faut s’y résoudre, il faut grandir. Tu me serres mais tu n’es plus la. Je serre les restes, les cendres, le vide. C’est rassurant. Ton odeur reste dans l’air encore quelques minutes, c’est comme si rien n’avait changé. Je me gave des dernières molécules de toi, je voudrais les attraper et les enfermer, un bocal pour ma soif, une boîte secrète pour les jours de manque. Nous n’irons plus, tu as raison, tout cela ne mène à rien, tout cela nous pese et nous fatigue. Bien sur nous nous aimons. Bien sur. Et alors. Nous sommes trop vieux pour nous en satisfaire. Nous sommes trop grands pour nous cacher les yeux derrière nos mains collantes, nous sommes arrivés, terminus, fin de la voie, dehors, plus rien.

Tu pleureras longtemps, en descendant du train. Gare de Lyon, RER, quelques minutes pour te refaire bonne figure. Je me pelotonnerai contre la vitre du taxi. J’essaierai de ne pas t’écrire. Je regarderai mon téléphone en espérant que tu le fasses. Tu ne le feras pas, et tu auras raison. Rien ne me consolera de toi. J’irai mieux bien sur, j’irai bien. Mais ta branche restera cassée, elle ne guérira pas. Je te garde tout mon amour. Je te souhaite d’être en paix. Je voudrais pouvoir t’´imaginer heureux. T’imaginer être à nouveau l’homme que tu étais toutes ces années avant nous. Avant la peur et l’ennui et l’angoisse et la mort et les cris et les ratés et les mensonges et le temps qui ne nous oublie jamais. Sois heureux mon amour, nous n’irons pas ensemble, tu iras avec d’autres, j’irai ailleurs peut être, dès que mes jambes me porteront, promis. Maintenant nous descendons du train et le quai tout au bout nous séparera. J’avance a tous petits pas.

Le test

Parfois, cette impression que la vie t’envoie des signes. Comme quand tu couches sans contraception et que tu passes le mois d’après à voir des femmes enceintes partout, que tu comptes et recomptes les jours depuis tes dernières règles, que tu te mets à calculer tes périodes fertiles, à mesurer ta glaire. Des actes que tu poses, des pensées magiques pour conjurer le sort, si je suis blanc d’œuf c’est sur, c’est bon, je suis enceinte, si j’ai le prochain feu rouge, pour de vrai il va m’appeler. Et puis le sang arrive tout de même, souvent avec du retard, comme pour se jouer de ton angoisse, comme pour te faire culpabiliser, tu paies ton inconscience cash sur le zinc avec tes nerfs détruits et tes nuits passées sur Doctissimo. Tu promets, plus jamais. Tu jure même que tu vas changer toute ta vie, que tu vas arrêter de fumer et te mettre au ski alpin, que tu seras gentille avec ta vieille tante et que tu donneras plus à la croix rouge, parce que t’as eu tellement peur qu’il semble très judeo-chrétien de se racheter, de faire amende de son pêché. Et puis, tu réfléchis. Au pire j’avorte. Et alors. Tout le monde avorte. Alors tu oublie d’appeler ta tante et tu ranges tes skis. Et il ne te reste que le souvenir des nuits agitées, les doigts enfoncés profond, trouver ton col de l’utérus et appuyer, comme si tu pouvais empêcher la nidification d’un corps étranger, comme si tu pouvais t’auto-avorter. La vie reprend, mais pas tout à fait pareil. Plus jamais, ou en tout cas le moins possible, on fait des compromis avec nos serments, on se laisse vivre. C’est bien, c’est pas bien, on verra.

Et puis il y a l’autre test, celui du VIH, des maladies sexuellement transmissibles. Une histoire qui se termine, un partenaire qui s’oublie dans une autre, une envie de passer à la chair, il y a deux cents raisons de le passer, toujours  valables, toujours bonnes. Testons nous, donc. Ca c’est la théorie. Dans la pratique, il me faut quelques jours de torture mentale pour franchir le pas. Il me faut réviser toute mon histoire sexuelle, faire une liste des pratiques, évaluer le risque, c’est le rationnel. Et puis l’irrationnel arrive. Je m’ausculte. Les ganglions. Les lésions. La respiration. Je perds mes cheveux. Google : perte de cheveux + VIH. Je me regarde dans le miroir. Est ce que j’ai l’air malade ? Je sais pourtant que personne n’a l’air malade. On est con quand on a peur. Je le sais, dans mon cerveau. Je l’ai appris. Mais là, impossible de me connecter à la raison. J’ai 8 ans d’âge mental et j’ai peur. Alors je réussis à me convaincre que je suis porteuse du virus. J’y crois. Google : trithérapie. Je me prépare à l’annonce. Je me demande si je vais pleurer devant le médecin, si j’ai le droit à un verre d’eau et à un mouchoir. Je répète mentalement ce que je vais dire à ma mère. Google : annoncer séropositivité. Assieds toi, faut que je te parle. Je vais la tuer c’est sur. Pourtant on vit avec le VIH. On vit de mieux en mieux même. Mais on en meurt aussi, toujours. Tout ira bien maman, je te jure. Une grande respiration. Je sors la calculette. Combien de gens ont été dépistés l’année dernière ? Google : CDAG dépistage nombre 2014. Combien de gens ont été déclarés positifs ? Google : CDAG positif vih 2014. Des pourcentages. Des règles de trois. Google : règle de trois. Peut-être que j’ai une chance. Peut-être que je serai gentille avec ma vieille tante et que je me mettrai au ski alpin. Si j’ai une chance. Si tout va bien.

Et un matin sur Twitter, tous, toutes, vous parlez dépistage, vous parlez VIH et IST. Et chaque onglet que j’ouvre me parle Sida. Ce sont les signes. Les mêmes. C’est le moment. Quelque chose veut que j’y aille. Maintenant, tout de suite, sur l’instant. Il faut savoir, impossible de continuer la torture mentale, les scénari de remise des oscars. Pause déjeuner, CDAG, des tas de gens, des vieux des jeunes des femmes des hommes des blancs des racisés des seuls des couples des costumes des jogging des mocassins des attachés cases des mini jupes des voiles des blondes des roses des gros. Tous blancs comme des linges. Tous hyper concentrés sur leurs téléphones ou sur un point fixe imaginaire droit devant. Tous dans une bulle d’angoisse. Tous un petit carton anonyme dans la main, quelques numéros attachés à notre sang. On attend. Je passe avec le médecin. Quels sont mes risques ? Il décide ensuite des examens à pratiquer, VIH, Syphilis, hépatite ? Attendre encore le prélèvement. Regarder émerveillée le va et vient de ceux qui viennent chercher leurs résultats, leur entrée, défaits et exsangues dans le bureau du médecin, leur sortie glorieuse, petits pas de danse de joie, sourire à l’assemblée, tout va bien j’imagine. Quelle chance. Je voudrais déjà sortir de ce bureau. Bientôt. D’abord la prise de sang, une infirmière tellement douée que je ne sens même pas l’aiguille, je range mon petit carton précieusement, mon sésame pour la santé. Trois jours ouvrés. Tic tac. 72h dans les limbes, à tout imaginer, à tout relire, à tout chercher. Google : faux positif VIH. Google : faux négatif VIH. Google : test combo vih anticorps CDAG. Google : comment bien dormir. 08h30, ce matin, j’attends l’ouverture des portes, le médecin prend mon petit carton, je m’installe dans un box. J’ai chaud. J’ai froid. Je tremble. Calme toi putain. Il a ouvert mes résultats dans le couloir, il n’a pas encore tout à fait fermé la porte qu’il m’annonce déjà que tout va bien, est ce que j’ai des questions ? Non ? Alors merci, au revoir.  Je crois que j’oublie de le saluer, je tiens mes résultats dans mes mains, je relis. Ok. Tout va bien. Et je passe, à mon tour, sautillante, devant ceux qui attendent. Bonne journée !