Jour 0

Ca se finit sous la pluie, bien sûr. Avec les yeux mouillés et le trottoir pareil. Ca se finit bêtement, avec un silence si lourd que même la ville se tait. Ca se finit dans tes yeux aussi secs que les miens sont humides. Je ne sais pas comment tu fais. Moi je pleure, et je sanglote, je cherche mon souffle à travers l’eau, je suis en apnée, pendue à tes lèvres qui ne veulent plus m’embrasser. Ça pourrait être romantique si ça n’était pas la tragédie ordinaire, la même que pour des milliers d’autres, les mêmes mots, les mêmes serments, les mêmes nuits. Jamais rien d’ordinaire avec toi, jamais rien de commun, j’aime ton bruit beaucoup plus que ton silence, j’aime tes soubresauts nerveux, tes tics, tes colères. Je déteste ce silence et tes yeux qui se posent dans les miens, tu joues bien le froid.

Il m’a fallu trois chansons pour tomber amoureuse de toi. J’ai le coeur difficile pourtant. Un peu blindé. Pas bien aménagé. Mais pour toi j’ai trouvé de la place, sans rien casser, sans rien abîmer. Tu es venu vite, fort, te lover dans ma poitrine, dès nos premiers échanges, dès ton premier baiser. Je n’ai pensé qu’à toi. Avant pendant après. Obsédée. Accrochée à mon téléphone. Je décrypte tes messages, je me demande ce que tu veux, je m’imagine t’apprivoiser. J’ai cru, un soir, y arriver. Un moment, tu t’es laissé approcher, vraiment. Mais tu repartais te cacher, derrière ton masque blindé. J’aime ton masque, et si tu choisis de le porter, je l’aime d’autant plus qu’il te protège, qu’il te permet d’encaisser. Je voudrais t’envelopper de moi, mais tu n’en as pas besoin. Tu es superbe. Tu es entier. Tu es incroyable de milliers de détails que je note pour mieux m’en souvenir. Ta façon de tenir ton verre, ta façon de plaire à tout le monde, ton culot, ta manière de plier là couverture, tes yeux quand tu fais une photo, ta rage quand tu parles, ta pudeur aussi, tes histoires, ta manière d’aimer le plus petit ou le plus laid par principe, ta lumière particulière sur le monde, ton prisme, toi, en entier.

Tout va s’arranger.

Je ne sais pas comment je rentre. Il pleut fort. Je ne me retiens pas pour pleurer. Les bruits des moteurs cachent les bruits de ma gorge. Je suis trempée. Les larmes, la morve, la pluie, la Seine, pourquoi je m’en vais, pourquoi je te laisse, pourquoi je ne t’attends pas, la, sous la pluie. Je voudrais que tu viennes me chercher, dans ma tête, c’est joli. La réalité est plus grise, Paris n’est pas jolie ce soir, elle degueule de voitures pressées et de piétons agacés, tu ne viendras pas me chercher. Je me raconte cette histoire sur le chemin, ça me réchauffe un peu, je n’y crois pas mais ce n’est pas grave. Ça ne compte pas, c’est juste une comptine que je me répète pour me bercer, tu vas venir, tout va s’arranger, tu vas me retrouver, tout va changer. Tout va s’arranger ? Je sais bien pourquoi tu me quittes. Je ne t’en veux pas. Je m’en veux. A moi, à tout le monde. Pas à toi. Tu me quittes c’est terrible. Il y a une heure encore tu ne me quittais pas, et je n’avais même pas compris que cela soit une possibilité. Je suis bête. Je crois fort aux jolies choses, aux belles histoires, mêmes les plus mal barrées. Tout partait mal. Tout partait fort. Tout allait bien. Et puis plus rien. Ni tes bras ni ton sourire ni ta chaleur ni ton odeur ni tes mots ni tes lèvres qui se tordent. Rien. Tu ne seras plus jamais celui que tu étais il y a une heure. C’est une loi physique. Cet état la disparaît. Il se transforme. Rien ne se perd. Sauf nous.

Tu ne viendras pas.

La rentrée

Tiens c’est la rentrée, j’y crois plus qu’au premier janvier, ca recommence pour de vrai, les programmes àla radio, les horaires de piscine et les assos, ca sent la copie double et la ligne 8, tu te prends à dire que ca sera pas pareil, qu’on s’organisera mieux et qu’on fera mieux la vaisselle, t’es encore un peu bronzée, tu refuses de remettre des chaussettes, faudrait accepter les feuilles qui commencent à tomber, l’été se casse si vite que t’as déja la morve au nez. J’ai du mal à m’y remettre, ce septembre, du mal à monter sur la barricade, à m’indigner, à polémiquer, à débattre, à organiser, j’ai du mal à sortir de la torpeur bienveillante de mon climat de vacances, j’ai colmaté ma bulle au béton armé, verrou triple sur les horreurs du monde et surtout sur celles qui pourraient me faire chialer. Pourtant ca se casse la gueule, les belles résolutions de zen, de méditation et de réfléxion, je vois rouge déja, déja envie de casser des burnes à coup de batte, déja envie d’aller menstruer à poil devant l’assemblée, mais ca retombe comme une vieille crèpe molle, comme si j’étais devenue frileuse, comme si je craignais de m’abîmer. Peut-être que c’est l’âge, peut-être que c’est le cerveau mou comme mes fesses, peut-être que j’en ai marre d’en prendre plein la gueule, va savoir. Ce que je vois c’est que c’est septembre et que je peine à faire semblant que c’est juillet.

Faudra y aller pourtant, parce que tout ceci n’est pas supportable, parce que je n’oserai pas me regarder à poil dans le miroir sans celles qui ont gueulé avant moi, parce que j’y crois, parce que je le veux, pour le meilleur et pour le pire, dans la maladie ou dans la santé. Parce que j’ai passé ma journée d’hier à bloquer les commentaires insultants sur les réseaux sociaux, à cause d’une photo, à cause de mon utérus, à cause de mon gras. Parce qu’on a refusé de prescrire une contraception à une copine parce qu’elle était trop grosse pour se faire  baiser. Parce que la société chie à la gueule des gens que j’ai choisi d’aimer. Parce que je voudrais qu’elle soit juste, même pour ceux que je n’ai pas choisi d’aimer. Parce que ca fait partie de mon identité maintenant, que je ne sais plus faire autrement. Il faudra y aller et j’irai, comme on se traîne au premier cours de maths, en oubliant mon manuel et ma calculatrice. Faudra y aller, sans félicitations, sans fleurs ni couronnes, puisque c’est mon plaisir aussi, l’adrénaline, les coups à boire, apprendre, comprendre, avancer, aider. Se jeter dans le tas en sachant déja qu’on va en chier, qu’on va passer par les mêmes doutes et les mêmes cycles, ca ressemble à la définition de l’insanité, mais le reste est tellement joli, je refuse de m’en priver.

J’y vais mais j’ai mis mes genouilleres et mon casque de Derby imaginaire, ma cape d’invisibilité et mon badge Prozac Nation, on m’y reprendra pas. Moins de réseaux sociaux, moins de débats stériles, moins d’agacement systématique, plus d’écoute, plus d’actions concrétes, plus de Gras Politique, plus de yoga pour tousTes, plus de chasse aux fachos et aux empêcheurs d’avorter, plus de fête, plus de convivialité. Plus de temps pour moi aussi, arrêter de courir, prendre le temps de me poser, d’écrire aussi, mais plus long, plus dense, moins me disperser. Je me souhaite tout de même de belles crises de rage, de belles nuits à coller, des cordes à tenir et des coeurs à serrer, je me souhaite des journées pas assez longues, des alliances et des heurts, je me souhaite d’aller là où mon coeur et ma tête s’accordent à désigner comme juste, de sauter dans le train même si c’est long à en crever. Si je ne me bats pas pour moi , personne ne le fera. Alors imagine, si personne ne se bat pour les autres. Etc.