Ma Ligue du LOL


Je ne souhaite pas répondre aux sollicitations des journalistes à ce sujet.


J’ai vécu de nombreuses années sur Twitter en ayant l’impression de fuir un sniper, d’avoir de la chance d’échapper aux balles virtuelles d’une armée devenue folle. A chaque tweet, à chaque photo partagée, je craignais d’être débusquée et descendue. A chaque thread politique, à chaque gueulante féministe ou contre la grossophobie, je savais que j’allais payer le prix de ma liberté d’expression, le prix de mes idées jugées nazes par un petit groupe de harceleurs, la ligue du LOL. Parfois, ils n’avaient pas besoin d’excuses, ils me harcelaient pour le plaisir, par ennui peut-être, ou par concours de bite, j’étais grosse, j’étais une femme, j’étais féministe, cela suffisait à les faire rire.
Leur spécialité n’était pas le débat d’idée. Pas d’argumentation, pas de débat, pas même d’idées. Juste de la violence. Des insultes, des « blagues », des photos volées et trafiquées, des tentatives d’intimidation, des menaces de viol, des menaces de mort, des menaces sur la sécurité, des menaces de divulguer mon adresse, bref. Ils se lançaient en meute contre moi, et tous les autres suivaient. Les autres, ceux qui ne faisaient pas partie de ce club pour violents mâles dominants, c’était tout ceux et celles qui allaient dans leur sens, qui partageaient, qui trouvaient drôle, qui ne faisaient rien pour m’aider. Certains trouvaient que ça allait trop loin, mais n’osaient pas le dire en public, de peur d’être repérés. J’avais le droit à des DM timides. « je ne peux rien dire, mais je suis avec toi » « l’orage va passer, tiens bon, tu comprends que je ne te défende pas! ». On vivait dans la peur, c’est terrible de l’admettre. Dans la peur et dans la haine. J’ai longtemps rêvé de me battre avec ces quelques pauvres mecs. On connaissait leurs bars préférés, leurs soirées à l’Autobus, leurs rendez-vous à la Unrelated. On voulait y aller « avec une batte et une hache ». J’ai retrouvé les coordonnées personnelles d’un bon nombre d’entre eux. J’ai créé un Tumblr. J’ai failli tout balancer. J’ai reculé. Pas parce que je suis noble. Pas parce que je suis plus intelligente qu’eux. Parce que j’avais peur.

Ils étaient journalistes, rédacteurs en chef, parisiens, en agence de com. J’étais une petite blogueuse banlieusarde, dépressive et agoraphobe. J’avais la chance de commencer à piger un tout petit peu mais très vite les portes se refermaient, « Machin » ne veut pas bosser avec toi. Machin, je l’apprends aujourd’hui, faisait partie de la ligue du lol, un hasard ? Je ne peux pas le dire. C’était pile poil les années où je ne pouvais pas sortir de chez moi. C’était pile poil le moment où les réseaux sociaux étaient ma seule fenêtre vers dehors. C’était pile poil le moment le plus affreux de ma vie. Le moment où j’ai failli devenir folle, le moment où on a finalement diagnostiqué mes troubles thymiques après des années d’errance médicale. C’était le moment où j’ai commencé à écrire. Même à eux, je ne souhaite pas d’être si malade.

J’ai essayé de me battre. J’ai gueulé, j’ai signalé, j’ai ragé. J’ai fini par bloquer à vue. C’est encore mon fonctionnement aujourd’hui. Ils sont la cause de mon pseudonymat. Quand Daria Marx était menacée de mort, quand on la noyait sous des centaines de photos de merde et de pisse, je pouvais me dire que ce n’était pas moi. Je pouvais me détacher du personnage virtuel malmené. Cela m’a sauvé bien des fois. Cela ne m’aura pas épargné les nuits d’insomnie, les crises de larmes, les crises de nerfs, les nombreuses fois où j’ai pensé à avaler mes tubes de lexomil, parce que ça ne finissait jamais, et qu’il fallait que ça s’arrête.

Le harcèlement a atteint son paroxysme quand j’ai eu l’idée funeste de créer une cagnotte pour mon anniversaire. Je commençais à aller mieux, mais ma maladie mentale ne me permettait toujours pas de prendre les transports. J’avais recommencé à travailler, et j’avais peur de devoir arrêter, par peur du métro. (Si vous n’avez jamais été agoraphobe vous aurez du mal à comprendre, renseignez vous). J’ai donc sollicité mes proches pour m’aider à acheter un scooter, et j’ai eu le malheur de partager une fois, une seule fois, le lien de cette cagnotte sur Twitter.

J’ai reçu une déferlante de haine comme je n’en avais jamais connu.
J’ai reçu des messages souhaitant ma mort, plusieurs, pendant des jours.
Ils ont retrouvé mon numéro de téléphone, m’ont inscrit sur plusieurs sites internets. J’ai été harcelée des semaine, des nuits entières. J’ai été maltraitée par la Ligue du LOL, et par tout ceux qui suivaient leur « humour » au point que j’ai été arrêtée par mon psychiatre de l époque. J’ai confié mon mot de passe Twitter à une amie pour ne plus rien voir. Et j’ai pleuré, et je n’ai pas dormi, et je me suis demandée ce que j’avais fait pour mériter tout cela, et je me suis laissée aller à penser que je ne valais rien, qu’il fallait que je disparaisse. C’est ce qu’ils voulaient, j’allais les satisfaire, je n’en pouvais plus. Je me réveillais dans la nuit pour voir si le harcèlement avait cessé, je me couchais avec des insultes, je me réveillais avec 40 nouvelles mentions ordurières.

Ils savaient très bien.

Bien sur qu’ils savaient.

Ils savaient qu’on pleurait. Ils savaient qu’on était touchées. Ils savaient qu’on avait peur.

Le Twitter parisien était encore petit à l’époque. Je connaissais des gens qui connaissaient des gens. Les cercles se croisaient. Ils savaient. Ils s’en foutaient. Ils nous détestaient. Ils nous prenaient pour des connes finies. Ils voulaient qu’on disparaisse. Ils savaient.

Ils se sont calmés quand le féminisme est devenu chic. Tendance.

Ils se sont calmés quand certaines femmes sont devenues puissantes.

Ils se sont calmés parce qu’ils ont accédé à des postes importants.

 


Le récit de Le Reilly est ici

Je voudrais dire que mon comportement sur Twitter n’est pas exemplaire. J’ai eu des propos nuls. J’ai eu des propos insultants, notamment envers certaines blogueuses comme Capucine Piot, et sans doute d’autres encore.  Mon féminisme a évolué avec le temps. Je n’étais pas dans la sororité en 2011. J’espère démontrer par mes actes que je le suis aujourd’hui, de manière toujours imparfaite sans doute.

Je ne souhaite pas répondre aux sollicitations des journalistes à ce sujet.


Edit : je tiens également à écrire ici que « La ligue du lol » ne m’a jamais harcelée. Des individus qui appartenaient à ce groupe FB l’ont fait. Je souhaite marquer cette différence car je refuse le récit médiatique de ce qui est devenu une affaire. Je déplore qu’il ai fallu 10 ans pour que nos paroles soient entendues, et je déplore que nos paroles soient uniquement entendues quand elles peuvent servir les médias, et plus particulièrement la presse, dont un certain nombre de mes harceleurs sont issus. Je déplore la précipitation avec laquelle la liste de 35 noms a été diffusée. Sur 35, je compte sur les doigts de mes 2 mains ceux à qui j’en veux, ceux dont j’ai vu l’urine, ceux dont j’ai vu le pénis, ceux qui ont fait des montages de mes photos, ceux qui ont divulgué mon numéro de téléphone et mon adresse, ceux qui ont cherché à me blesser pendant des années sans discontinuer. Les autres, je ne les connais pas, ou alors ils étaient juste d’autres twittos comme moi, méchants et stupides, ou alors ils sont des gros cons. Mais ils ne m’ont pas harcelé.

2 réflexions sur « Ma Ligue du LOL »

  1. Guilhem Malissen? Quel hypocrite, quand je pense qu’il a fait une vidéo sur balance ton porc en disant que c’était un mouvement nécessaire… Il t’a fait quoi lui ?

  2. Euh dans la liste complète il y a trois noms de femme. La j’hallucine.

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