C’est quoi ton genre ?

Texte écrit pour et lu à la soirée A définir dans un futur proche

Maison de la Poésie – Paris – 28 juin 2019

Je couche avec tout le monde, ceux et celles qui veulent en tout cas, sans me soucier de ce qui se cache sous leurs vêtements, je couche avec des personnes, avec des odeurs, avec des idées, je couche avec des sourires, avec des bras, avec des ongles qui laissent de grandes traces violettes sur mon dos, je ne m’inquiète jamais de ce que je vais trouver entre leurs cuisses. Tout me va. Tout est ok. J’aime la bite, j’aime la chatte, et toutes leurs déclinaisons indépendamment du genre choisi ou subi de la personne attachée au bout. Tout me va, sauf les mecs cis.

J’ai donné.

Ca commence quand ton corps change, comme disent les médecins. Avant, tu peux passer pour un « garçon », ou plutôt tu n’as pas tellement de genre, personne ne s’intéresse à ton sexe il n’y a que les malades pour t’en imaginer un. Tu peux grimper aux arbres, te promener à poil sur la plage. Personne ne cache ton torse, personne ne te demande de croiser les jambes. Et puis, quand tout change, quand les poils et les seins arrivent, tu te transformes en monstre. Tout devient de ta responsabilité. Ne pas trop en faire. Ne pas aguicher. Ne pas parler trop fort. Ne pas jouer seule avec les « garçons ». Rentrer plus tôt. Quel est donc ce super pouvoir, cette force en toi qui force tous les adultes à te restreindre ? En quelques mois, tu passes de transparente à surpuissante. Tu peux provoquer le chaos par une jupe trop courte ou par un rire trop cristallin. Tu peux causer ta perte en choisissant le mauvais chemin, tu peux provoquer les hommes en duel en t’asseyant sur des genoux. Tu es devenue monstrueuse. On te craint. On te couvre. Pour te protéger de toi même. De ta féminité. De tes formes. De tes courbes. Et puis il y a ce trésor que tu dois protéger. Ta virginité. Nul ne peut accéder à ton entrecuisse sans la promesse d’un pavillon de banlieue. Tu dois te garder. Tu dois te défendre. Tu dois te battre. C’est de ta faute. C’est ton trésor qui attire. C’est ta richesse. Ton seul bien. Pas ton intelligence, tes compétences, tes bonnes notes. Rien n’arrive à dépasser la valeur de ton hymen entier. Les « garçons » n’ont rien à cacher. Leur sexe est apparent, à la vue de tous, il ballote, arrogant.

Ca doit être génial d’être un homme cis.

Ca doit être chouette de ne pas craindre qu’on force votre bouche avec des doigts pour y insérer un pénis quand vous attendez le bus. Imaginez le luxe de la tranquillité. Cela doit être formidable de ne pas craindre pour son intégrité physique lorsque le métro est bondé. Imaginez le calme. Cela doit être formidable de ne pas apprendre dès 10 ans à marcher au milieu de la route avec les clés de la maison comme arme de poing contre un éventuel violeur. Imaginez l’enfance. Ca doit être drôle ensuite de rire aux blagues sur le viol, sur la pedophilie. Ca doit être hilarant de faire flipper les nanas en les suivant la nuit. Ca doit être un sport galvanisant que de commenter les tenues des femmes à haute voix à la terrasse des cafés. Ca doit être plus simple de balayer d’un geste les témoignages de femmes qui hurlent, qui pleurent, qui se taisent. Ca ne peut pas exister, puisque ca ne leur arrive pas, et de toutes façons, c’est pas de leur faute.

 

Il m’aura fallu 33 ans de malheur hétérosexuel pour arriver à en sortir. Aujourd’hui je m’agace de ce temps perdu. Il m’aurait suffit de faire deux colonnes, une pour, une contre. L’abandon de mon père, les agressions sexuelles de mon grand-père, mes viols, les coups de poings dans la gueule de Jérôme, la lâcheté de Jonathan, les chlamydiae de Cyril, les heures perdues à m’épiler, à me maquiller, à me demander si le noir m’amincit, les queues qui sentent la pisse mais qu’on t’apprends à avaler avec adoration, plutôt contre.

Je cherche ce que je pourrais mettre dans la colonne Pour. Mon psy peut-être, mais ca ne pèse pas lourd, et je suis en plein transfert, méfions-nous.

Quand je suis allée le voir pour la première fois, il m’a demandé pourquoi je choisissais un psy homme. C’est une vraie question. Et je lui ai répondu, très simplement, et sans aucune pression, qu’il était mon dernier lien avec les hommes. Qu’il avait la responsabilité entière de ce lien, et qu’il n’avait pas intérêt à se foirer. La,Vous vous dites, c’est une folle misandre, vous avez tort. J’aimerai vraiment leur donner une chance. Je ne souhaite pas leur éradication. J’aimerai vraiment être convaincue que les hommes cis sont capables de sortir de leur privilège. J’aimerai vraiment être convaincue qu’il existe des hommes cis féministes. J’aimerai vraiment être convaincue, mais je ne le ne suis pas. Jamais. Je suis toujours décue.

J’ai pourtant été élevée dans une seule idée : leur plaire. J’ai grandi avec l’érection comme seule mesure de ma valeur. Je suis née avec une chatte, on m’a dit, tu es une femme, et tu dois faire bander. J’ai donc fait bander. A contre-cœur. Sans envie. Sans le vouloir même. Pour un peu d’affection. Pour rassurer mon ego. Pour obtenir un service. Pour de l’argent. Pour un trajet en voiture. Pour être tranquille. Pour dormir. Parce que c’était moins chiant que de dire non. Pour avoir la sensation d’être aimée. Parce que c’était le seul modèle proposé. Parce que la bite me rendait femme. C’était en prenant des bites, en me faisant pénétrer, que ma condition de femme s’affirmait. C’est ce qu’on m’a appris. Dans ma pension, au lycée, tenue par les Sœurs de la Sainte Croix de Jérusalem, j’ai appris qu’être violée était le lot des femmes. Que nous étions perfides, légères, distraites, que les hommes étaient sérieux, graves, efficaces, protecteurs, essentiels. Que nous n’étions rien sans eux. Que nous devions nous garder pour leur queue. Que la sainte queue, bénie par les liens sacrés d’un mariage religieux, viendrait me compléter, me laver de ma condition de fille sale pour me rendre enfin femme.

J’ai attendu la bite. Celle qui viendrait enfin me sauver.

J’ai cru que j’allais l’attendre longtemps.

Car j’ai un secret.

Mais en l’honneur de la marche des Fiertés demain, je peux vous le confier. Je crois.

Je suis grosse.

Très grosse.

Voilà, c’est dit.

C’est mon coming out.

Mon genre, c’est grosse.

Pas « femme ». Pas « homme ». Pas non binaire. Aucune déclinaison.

Juste grosse.

 

Si le genre est une construction sociale, voilà comment la société me définit. Grosse. Je suis le gras. Je suis le volume. Je suis seulement ca. Mon auto-détermination s’étouffe dans la graisse jaune et dure, juste là, entre mon nombril et mon pubis. Je suis la grosse, toujours. La plus grosse de la classe, la plus grosse de la soirée, de l’ascenseur, de la Maison de la Poésie ce soir. Demain vous direz, y’avait une grosse qui lisait un texte, c’était moyen. Je suis la grosse. C’est un peu comme une être une sous femme, car je suis socialement moins pénétrable que la femme. Je suis moins marketable.

 

« L’homme » ne veut pas sortir à mon bras. Je n’ai pas de valeur ajoutée à lui apporter. Je ne suis pas la beauté, je ne suis la minceur, je ne suis pas l’élégance, je ne suis pas la maîtrise, je ne suis pas « une femme ». Je suis une grosse. « L’homme » souhaite néanmoins me pénétrer, en secret si possible. Il me poursuit dans la rue, et me traite de grosse vache quand je refuse de le sucer entre deux voitures. Il me baise sans mon consentement, puis prétend que je mens, que personne ne peut vouloir plonger sa queue dans la grosse. Il rentre en relation avec moi, et me collectionne, comme un objet, il range les grosses sur son étagère mentale, de la plus énorme à la moins mobile, il glisse sa bite entre mes bourrelets et il éjacule dans mon nombril. Il tombe amoureux de moi, mais il refuse de me présenter à ses amis ou à sa famille, pour me protéger, il promet. Et quand il parle enfin de moi, il me raconte son coming out. Il a osé sortir du placard, et admettre qu’il était en relation avec la grosse. La grosse de la classe, la grosse de la soirée, la grosse de la maison de la Poésie, moi.

« Les femmes, les vraies femmes », celles qui détiennent le brevet déposé par la société, 100% féminité validée par la bite, 100% opprimées aussi, me méprisent. Je suis leur cauchemar. Je suis ce qu’elles risquent de devenir si elles commandent un dessert. Je suis l’épouvantail des petites filles. Si tu continues à manger comme une ogre, tu vas ressembler à la grosse. C’est la maman qui dit ca en me pointant du doigt. Comment il fait pour sortir avec elle ? C’est la meuf qui parle à sa copine de moi quand je passe dans la rue main dans la main avec un homme. Ce même homme qui me frappe, me ment, et me trompe. Mais personne ne se demande comment je fais pour sortir avec lui. Je suis la grosse. C’est pire. Moi aussi je suis grosse, je comprends carrément ta vie. Celle-là, elle pense avoir 8 kilos de trop, elle pense me faire du bien, moi et mes 80 kilos en trop. Elle pense qu’on est dans la même équipe, parce qu’elle souffre. Elle est moins validée par la bite depuis qu’elle a grossi. Elle fait tout pour regagner son trophée perdu de « femme », elle prend des extraits de trucs et des fibres d’ananas. Tout pour ne pas me ressembler. Elle veut être dans mon équipe, mais elle fait tout pour la quitter.

Mon gros corps est rempli de tristesse pour ces « vraies femmes » validées par la bite, jamais fières d’elles, toujours prêtes à changer, leurs corps, leurs idées, leurs envies, ca ne compte pas. Ce qui compte c’est d’être accompagnée. Par un « homme ». Par sa bite. Ce qui compte c’est d’avoir l’air heureuse. Juste l’air. Avec un filtre Instagram si possible. Elles courent toute leur vie derrière un idéal qui les détruit.

Je leur souhaite, à toutes, une bonne rémission.

Mon équipe, c’est les chelous. Tout celles et ceux qui ont consciemment abandonné la course à la baisabilité, celles et ceux qui ont arrêté de mesurer leur réussite à la solidité de l’érection de l’homme blanc cisgenre. Celles, ceux, et les autres, qui hurlent contre le patriarcat, l’héteronormativité, la cisnormativité, celles, ceux, et les autres qui ont accepté d’être pour toute la vie en dehors de la norme. Et qui en font une fête. Qui se rassemblent et qui célèbrent leurs bizarreries et leurs désirs, qui baisent sans pénétration et qui pénètrent sans baiser, qui inventent un langage nouveau taillé pour leur réalité.

Mon équipe c’est le Queer, ce mot valise qui commence avec un gros Q dans ta tête, comme le mien, ce mot qui me libère, qui me lave, qui me console et qui m’embrasse.

Je ne veux plus m’assimiler.

Je ne ferai plus d’efforts pour leur ressembler.

Mon genre, c’est grosse queer, c’est presque redondant. Mon corps gros, et toutes les expériences qui on fait ce corps hors normes, toutes les souffrances, toutes les brimades, toutes les victoires, tout cela est profondément queer, profondément détestable par les autres, profondément joyeux et profondément vivant. Ce n’est pas une fuite, je n’ai pas abdiqué devant la norme, je ne me cache pas. Pour une fois dans ma vie de personne née avec une chatte, je choisis. Qui je suis, comment je me définis, avec qui je baise, comment je baise, pourquoi je baise. Rien n’est automatique. Rien n’est prédéfini. Le choix est infini, tout est possible. Je suis déprogrammée.

Je m’appelle Daria Marx et je suis une grosse queer.

 

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