8 mars 2020

Depuis quelques jours, depuis les Césars, depuis l’assassinat de Jessyca Sarmiento, ou peut-être depuis plus longtemps, depuis qu’un homme s’est arrêté près de moi pour me demander si je voulais prendre une douche avec lui alors que je remontais du Club Mickey à 8 ans, depuis qu’un homme a forcé en moi ses doigts quand j’en avais 19, depuis longtemps je me demande pourquoi nous nous entêtons à rester vivant-e-s, pourquoi nous créons encore, pourquoi nous écrivons, pourquoi nous embrassons encore des inconnu-e-s en écoutant de la musique trop forte.

D’où nous vient, à nous, les femmes, les minorités de genre, la force de redire toujours les mêmes mots alors que rien ne change, d’où nous vient la rage, d’où nous vient la patience, comment réussissons-nous chaque année à nous rassembler le 8 mars, comment nous lavons nous de cette violence sans trêve, comment pansons-nous nos plaies, comment trouvons-nous le temps de pleurer nos mort-e-s et nos blessé-e-s, nos enfants mutilé-e-s sur l’autel de la norme. Quand viendra pour nous le temps du repos, celui de nos corps sans cesse performés, taillés, coupés, jugés, amaigris, modifiés, épuisés par une norme lourde de milliers de tonnes, noyés et sacrifiés dans le charniers marins de nos frontières honteuses, disséqués, automatisés et uberisés par des patrons insolents, fantasmés, exotisés, fétishisés par le vice et le pouvoir de ceux qui les désirent.

Nous n’avons pas la paix, jamais, pas moi, pas les autres, pas celles qui dégustent bien pire que moi, nous n’avons pas le luxe de l’entracte, pas de pouce dans le jeu, c’est pour de vrai, tout le temps, partout. Dans la rue, dans ton foyer, pour trouver un travail, pour le garder, quand tu commences juste à marcher, quand tu vieillis, ca n’arrête jamais, et il faudrait garder bonne figure, il faudrait encore se maquiller, bien présenter, se taire surtout. La fermer, dix fois par jour, ne pas répondre à celui qui vient te siffler, à la main sur la cuisse dans le métro, au patron qui plaisante sur la taille de tes seins, au flic qui te traite de gouine en manif, au mari qui rentre saoul et qui s’oublie sur ton arcade, demain il sera désolé, c’était pour rire, c’était un compliment, vraiment, on ne peut plus rien dire.

Si tu parles, tu seras terroriste, tu seras celle qui brise le silence, on tire toujours sur le messager, tu viens briser la concorde, tout fonctionnait bien avant que tu ne te mettes à hurler, tu gueules parce que ton corps se rend, qu’il n’en peut plus, qu’il n’est plus capable de se taire, parce que chaque humiliation, chaque mot, chaque grognement, chaque coup de rein, tout remonte dans une lave immonde qui te déchire le larynx, ca sort, ca y est.

Avec des fumigènes, en grands tremblements, avec des cris de haine, tout t ‘échappe, ces secrets qu’on t’avait fait promettre de garder, toutes les fois où tu te mets à chialer, ca résonne, et ta voix se mêle à celle de tes sœurs, regarde comme nous nous tordons de douleur et de rage, regarde comme nous sommes fortes, ensemble nous sommes le cœur, écoute nous battre, encore. C’est ce rythme qui nous ramène chaque fois, même quand on voudrait arrêter de voir, d’entendre, oublier, si l’un-e crie, alors les autres répondent, nous sommes lié-e-s.

Ce 8 mars encore, nous serons là, dans la rue, chez nous, dans les écoles, dans les syndicats. Nous répéterons encore que ce n’est pas la journée de la femme, que nous voulons des droits. Cette année, on pensera un peu plus fort aux grand-e-s humilié-e-s des Césars, les victimes de violences sexuelles, à toutes celles qui s’attendent désormais à voir leur violeur récompensé d’une statuette. Cette année encore, nous compterons nos allié-e-s, nous compterons nos mortes.

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