99 métaphores

J’ai envie de crever de la médiocrité du monde. J’ai envie de crever de ma propre flemme, de mes compromissions, de mes incapacités à tout lire, à tout comprendre. J’ai l’impression de m’enfoncer dans un trou de boue, elle me colle partout, elle empêche même les tâches les plus banales, je suis coincée et chacun de mes mouvements est un nouvel empêchement. J’ai perdu l’entrée au Cercle du Jeu Vertueux, j’ai dans le crâne une patinoire un samedi après-midi, y’a trop de mauvaise musique et de gens que je ne veux pas croiser, y’a la honte d’être incapable d’être gracieux sur la glace comme dans la vie, des chaussettes mouillées et des grands rêves qui ne se concrétisent jamais. Je m’accroche au bord mais je ne sais plus pourquoi, est ce que j’ai peur de tomber ou est ce que j’ai fini par arrêter d’essayer, parce que le milieu de la patinoire c’est pour ceux qui savent, glisser et rire et s’habiller et se faire des amis en 13 secondes, au bord au moins y’a ma bande. J’ai plus envie d’être au milieu de la glace parce que la boue avale tout, et que c’est pire en fait quand tu crois que la patinoire existe et que la glace ne fond jamais. La patinoire n’existe pas et pourtant je voudrais m’y faire une place, quand est-ce que j’arrête, quand est ce que ça s’arrête ?

Faut que je crame la patinoire. Faut que la boue sèche et qu’elle finisse de remplir le trou dans mon bide, qu’on y plante des fleurs et des plants de basilic pour qu’ils y crèvent tranquille, c’est pas grave, ça serait chez moi, ça serait vraiment moi. Y’a pas longtemps je me suis fait tatouer « j’habite une maison en moi ». Je crois qu’il est temps de m’avouer que cette maison n’est pas confortable, qu’elle est impersonnelle, remplie d’objets censés me représenter au monde mais qui ne sont que posture et mécanisme de défense, urgence à être aimé de quelque manière que ce soit, pelletées de boue collante et charognes décomposées des vies que j’aurai essayées sans jamais trouver ma taille, caillou dans la chaussure, étiquette qui gratte à m’en faire saigner. 40 ans pour en arriver là, 40 encore pour continuer à trier, à décider ce que je suis, ce que j’aime, ce que je veux, qui me plait, des piles de linge sale devant mon lit, des photos sur lesquelles je ne me reconnais jamais, quand tu crois que c’est plié, y en a autant derrière la porte à gérer.

C’est pas tout le temps un souci d’avoir toutes ces questions. C’est même un endroit plutôt incroyable. Y’a 10 ans, je connaissais même pas la route pour y arriver. J’ai de la chance. Je suis privilégié. J’ai souvent de la joie, une grande et incroyable joie, à regarder d’où je viens. Ce qui est douloureux et génial, c’est de ne plus trouver d’aires de repos. On est partis, on y va. No turning point from here. Ca va trop vite. Ça secoue. Se regarder en face du dedans, c’est pas une position de yoga que je conseille aux sportifs du dimanche. J’apprends à être souple. J’essaie de m’aimer vraiment. Pas pour rentrer dans un énième moule, une déclinaison pseudo radicale de l’avant-dernier, j’essaie de m’écouter. Je savais pas comment ça faisait. J’avais jamais essayé.

Une réflexion sur « 99 métaphores »

  1. Toujours merveilleusement écrit, net et sans bavure. Il y a un effet miroir quand je vous lis alors que nos vies sont si différentes, c’est bien la marque du talent, votre histoire singulière résonne sur tous

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