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A l’envers

Quand j’aurais tout pleuré, quand j’aurais tout évacué, quand ils m’auront fait me débarrasser de tout mes secrets, de ces hontes cachées qui font pleurer mes yeux, quand je serais à poil devant les autres, sans mes souvenirs et sans ma peine, sans ma douleur et sans la tienne, alors qu’est ce qu’il me restera, qu’est ce qu’il adviendra de cette personne que je ne connais pas. Il faut vivre avec les choses, les apprivoiser pour ne plus les craindre, transformer les monstres en gentils lapins domestiques, les pires histoires, se les raconter sans cesse jusqu’à ce qu’elles ne fassent plus peur, mais je ne veux pas te laisser partir, je ne veux pas oublier. Peut-être parce que j’ai passé ma vie à être abandonnée, mise sur le côté au profit d’une mère, d’une carrière, d’une autre femme, d’un autre possible, alors je garde cette fidélité un peu naïve, pour ceux qui sont partis, pour ceux qui m’ont aimé, je les garde en moi et ils me dévorent, je suis pleine de leurs doigts et de leurs dents, ils me mangent le ventre et me déchirent le cœur, ils existent dans ma bile et dans mon sang.

Ce n’est pas sain, disent les gens. Ce n’est pas normal, dit le médecin. Arrête de ressasser. Comme si je le faisais exprès. Comme si je convoquais les fantômes dans une grande assemblée, avec invitations sur bristol, répondez-s’il-vous-plait. Comme si je pouvais contrôler leurs apparitions flippantes, leurs ombres comme des tâches dans mon cerveau. Pourquoi, quand je ferme les yeux, quand je baisse la garde, soudain, je me retrouve dans cette salle de bain ? On est dans la baignoire et tu as décidé que j’avais les plus jolis pieds du monde, tu parles du bébé, tu fredonnes The Kindness of Strangers, le disque tourne en boucle sur la platine au salon juste à côté, tu dis n’importe quoi, parce que tu es plein de merdes, de substances et de whisky, que tu vas mourir mais aussi qu’on va partir, que ca va passer mais que tu vas en crever. Tu pleures pour une autre dans l’eau froide de la baignoire qui se vide, en t’accrochant à moi comme un tout petit enfant, comme un paumé, j’ai pitié, je te trouve laid pour quelques secondes, avant de recommencer à t’aimer. Je sèche ton corps, la serviette est trempée, tu déambules dans la cuisine dans ton caleçon troué, je te vois accoudé au comptoir, tes yeux perdus dans l’effervescence de mon aspirine, j’ai mal au crâne, tu me dis de taper pour faire passer, tu parles de mon cul à la troisième personne du singulier, j’appelle un taxi, je reviendrais quand tu auras dé-saoulé. Quatre jours après tu étais froid, mort comme un connard, tout seul, raide et bleu dans l’eau glacée, fier de toi, de nous laisser, prêt à partir en fumée, ta poussière sur la pelouse du Père Lachaise, enculé de suicidé.

Je veux pas que tu partes, tu vois. Alors derrière mes yeux je me planque quelque part. Je n’appelle pas de taxi. Je reste là en transparence, invisible. Et je t’empêche de mourir. Parce que j’ai 4 ans et que je suis Superman. Parce que je le veux. Parce que la réalité est trop triste, impossible. Quand je pense à me foutre en l’air, quand l’appel du vide se fait trop violent, je pense à toi, et j’hésite un moment, te rejoindre ou rester, et si tu n’étais pas là, si tout ca n’existait pas, partir pour rien, me retrouver dans un trou, seule une dernière fois et pour l’éternité, même plus capable de t’inventer ou de te rêver, alors je reste et je repose la boîte verte. C’est peut-être à cause de toi que je suis là. C’est à l’envers non ?

Alcool

Je n’arrive pas à me mettre en colère, alors je tourne sur moi même, je fais les cent pas, je gueule sur l’inutile et je me tais sur l’essentiel, je voudrais vomir, mais tout reste coincé, j’ai de trop gros morceaux à faire passer, je ne digère pas, je voudrais qu’on me frappe au ventre, qu’on m’attende dans une allée sombre et qu’on me claque la tête sur le pavé, je voudrais avoir mal, pour de vrai, qu’on me laisse pour morte, usée, bleue, sanguinolente, je voudrais qu’on m’humilie et qu’on me souille de crachats, je voudrais qu’on écrive sur mon corps à l’encre indélébile ces mots qui ne sortent pas. J’ai besoin de me faire du mal, d’une façon ou d’une autre, en me brûlant la peau ou les ailes, en cherchant le vice dans ce qui aurait pu être joli, en salissant ce que je touche, en m’oubliant parmi ces autres qui s’en foutent. Le plus cruel c’est sans doute d’être assez sobre pour être réaliste, se voir agir sans pouvoir se l’interdire, je préférais l’ivresse, je préférais le bruit, à trop voir le contraste, à trop lire les reliefs, je n’ai que le vertige, la nausée sans le whisky.

Je contemple parfois un verre d’alcool qui traîne, seule chez moi. Je le pose sur la table, et je m’assois en face de lui, je décompose sa formule, regarde le glaçon disparaître. Je ne bois pas. Je ne boirai plus. C’est peut-être pourtant ce qui me manque pour me permettre d’exploser, me détendre assez pour faire céder mes vannes, laisser la boue couler. J’ai voulu rester sobre pour ne plus jamais me perdre, pour verrouiller sous ma peau ces autres qui m’habitent quand l’alcool les libère, pour me protéger des hasards, des rencontres, de la danse et du rire, pour me prouver que je n’avais pas besoin de crier pour être entendue, de forcer ma chance pour être embrassée. Résultats mitigés. Je me suis enfermée au lieu de me protéger, réflexe primal de bête blessée, je ne sais pas boire à moitié, je n’aime dans le vin et les alcools que leurs degrés élevés, je veux mon ventre tendu de bière tiède, les reflux acides au parfum cerise. J’ai arrêté de boire, de fumer, de me droguer. Il ne me reste que la bouffe, je chasse le dragon sur les papiers gras et les desserts sucrés, c’est le high du pauvre, du simple, celui qui empêche simplement de penser, la défonce solitaire et honteuse de la boulimique plutôt que la descente festive normalisée du dimanche soir, restes de tequila et de mdma.

Je voudrais arrêter de vouloir tout contrôler. Je voudrais faire confiance, au conducteur de bus, au métro, à ceux qui me proposent leur amitié, aux gens dans la rue, à ceux qui prétendent m’aimer. Pas la confiance naïve des imbéciles heureux, mais l’aisance confortable de ceux qui se supportent, ceux qui ont trouvé comment s’aimer.

Dans le couloir

Moi j’avais pas tellement envie qu’il parte. Pas vraiment. Ca me laissait comme un creux dans mon trop plein de moi, dans mes journées petits cubes dans les petites cases, répétez s’il vous plaît je ne comprends pas, opérateur please, mon cerveau ce grumeau, et puis le téléphone sonnait et je me mettais à rire presque par réflexe, parce que j’avais décidé de rire de tout ce qu’il pourrait dire, même le commun, même l’absurde, même ce qui me laissait ce goût entre les dents, entre le pourri et le sublime, ce truc en trop qui rendait tout caduque, qui annulait en permanence ce qu’il disait quelques secondes avant. Pas le genre de type auquel tu racontes ton enfance malheureuse et ton déguisement de fée à la foire aux costumes de St Jean de Mont l’été, le genre à décider de tout, ce qu’il te donne et ce qu’il te prend, sans que tu puisses vraiment faire oeuvre de volonté, juste décider de laisser faire et de rire, puisque rien n’aurait d’importance, puisqu’on pourrait tout se dire.

Il y a des gens qu’on décide d’aimer sans leur demander leur avis, sans faire de déclaration ou de promesses, qu’on aime malgré eux parfois, parce qu’on a la certitude un peu surnaturelle qu’il existe quelque chose de plus dense, de plus lourd que les mots qu’on échange. Il y a de ces gens qu’on aime pour toute la vie, même sans les voir, on les porte quelque part, on s’en souvient et on les fait vivre, dialogues inventés et souvenirs en replay. Est ce qu’on les aime pour ce qu’ils sont ou pour ce que nous décidons d’en faire dans notre salle de montage intérieure, coupez-collez-oubliez ? L’important c’est de les faire bouger, de les animer entre deux ombres, un drap tendu et une bougie dans la rétine, les doigts qui bougent et les idées qui s’agglutinent. Et si ce que je ressens m’appartiens, seulement à moi, si l’impression, le sentiment, si mon souvenir est coloré en post-production, alors tant pis, j’aime mieux ça qu’un monde plat et gris, où les rires sont moins sonores et les sourires moins grands. Je décide d’aimer comme je décide de me souvenir, à ma manière, sans jamais partager, pour éviter l’usure, pour éviter que le Polaroïd ne se fane, oublié sur une table d’entrée.

Moi j’avais pas tellement envie qu’il parte ce matin, quand j’ai attrapé le quart d’une seconde son regard dans le couloir devant l’ascenseur, et qu’il m’a semblé qu’il n’était pas si heureux, et que j’aurais aimé croire que c’était de me quitter, mais que ca pouvait être tout autre chose, un caillou dans sa chaussure ou sa montre mal réglée. Peut-être que j’attendais qu’il se retourne comme dans un film guimauve et qu’il me serre une dernière fois, sur une musique un peu triste mais pleine d’espoir, du genre qui raconte que la vie continue et qu’il faut se battre, comme si on sortait de chimiothérapie et qu’un enfant très beau se mettait à faire ses premiers pas sur le tapis de la salle d’attente, bref quelque chose de miraculeux et d’extraordinaire qui n’existera pas.Peut-être que c’était mieux comme ca, parce que se dire au revoir c’est juste la putain de ta race d’une corvée infame, et qu’il y a d’autres moments bien plus tristes, et qu’il n’y pas de raison de faire de tout un mauvais film. Moi je n’aime pas que les gens partent, je les aime juste à côté, là où je peux les attraper et les pincer, et même là je les trouve encore trop loin, je veux les manger et les avaler, les digérer et les stocker entre deux bourrelets, je veux les gens que j’aime sous mon épiderme, au chaud, calés.

C’est le bordel

C’est le bordel. Parfois c’est bien, ce bordel. Parfois tu ne marches pas sur une aiguille en te levant, les chaussettes ne se perdent pas entre la machine à laver et tes pieds, il reste du café et une tasse propre, alors finalement rien n’est grave, et puis il fait beau, alors vraiment on s’en fout, que ca soit rangé ou pas, que l’ascenseur tombe en panne ou qu’il ne reste plus de lait de soja. C’est le bordel mais c’est joli, un peu comme dans une maison avec trop de mômes quand tu n’en as pas, quand t’as encore l’oeil ému par les petites chaussures éparpillées et les traces de doigts sur le canapé. Et puis, tu sais pas trop pourquoi, ce qui était charmant devient à chier, le doigt de pied qui se coince sous le canapé, l’air froid en sortant de la douche et la serviette roulée en boule sur le carrelage mouillé, la bouilloire qui met trois plombes à siffler, le téléphone qui sonne trop ou pas assez, le bordel tourne capharnaüm et ton cerveau peine à s’organiser, tu peines sur les mots et tes phrases sont débiles, tu te pinces le ventre pour te réveiller, tu te tires les cheveux mais rien n’y fait, c’est le bordel, c’est trop le bordel et il est trop tard pour ranger.

Je me pose là comme une putain de statue de commandeur, les pieds noyés sous une pile de fringue qui dégueule de mon armoire, Pax Malm sans portes, la putain de ta race de perceuse, con de suédois, enculé de déménagement, vie de merde, petite larme. Et puis j’oublie, parce que tu ne peux pas passer ta vie à t’émouvoir sur un paquet de vis oublié quelque part, dans un appartement que tu as quitté en trainant les pieds, tu peux pas te laisser déborder par les souvenirs, par les images au ralenti, tu sais, le temps où t’y croyais, alors je tape dans le vide, je casse un verre. Parce qu’à part ça, il n’y a vraiment rien d’intelligent à faire, juste s’enfoncer des aiguilles sous la peau exprès, pour voir si ca fait toujours aussi mal, pour voir si tu ressens autant la douleur, l’abandon et l’enfermement. Pas la peine de jouer, l’histoire tu la connais, qu’est ce qu’il y a d’autre à dire, qu’est ce qu’il y a d’autre à expliquer, foutu pour foutu, raté pour raté, encore un train qui passe, encore des années à effacer. Perte et profit, ma putain de devise, je vais me faire tatouer.

Faut parler, il paraît, faut que ca sorte, faut que ca chiale et faut que ca crie, faudrait se mettre en colère, faudrait détester, faudrait s’animer d’une haine farouche, faudrait réagir, faudrait pas se laisser aller. Moi je ferme bien ma gueule parce que si je l’ouvre je vomis, je gerbe des yeux et je tremble des pieds, parce qu’il n’y a rien à dire à part le désespoir d’avoir perdu alors qu’on ne pensait pas jouer. Ni tirage ni grattage pour les handicapés de la chance, je perds tout depuis ma naissance, mes clés mon écharpe mes gants mon bonnet, ca se casse, ca se défile, ca décide de s’en aller, t’as beau les serrer fort, t’as beau les engueuler, tout disparait, tout s’annule, rien n’est jamais comme sur l’emballage, les couleurs un peu passées.

L’ascenseur

J’aime pas les ascenseurs. Ce truc encastré dans le béton qui va et qui vient à la merci d’un ordinateur maléfique. Descend ou monte, après tout tu ne contrôles rien, c’est Hal et les machines, tu pousses un bouton mais c’est une illusion, il suffit d’un rien, d’un fil ou d’un conduit, pour que les portes se referment ou que les rouages s’emballent, pour que ta tête vienne s’écraser 6 étages plus bas dans un amas  sanguinolent de câbles et de sacs de courses remplis. Et puis il y a l’espace, ou plutôt le manque d’air, le manque de portes et de fenêtres, les lumières artificielles qui ne te montrent jamais comme tu aurais voulu être. C’est le lieu des déceptions, des coups de fils coupés, des mots perdus, des cabas qui se renversent, du canapé qui ne veut pas rentrer, des déménagements et des emménagements, des bébés qu’on oublie. Et la culpabilité. Ce truc que tu n’imagines pas. Parce que les gens me regardent toujours quand je rentre, parce que je prends trop de place, parce qu’il y a une limite de poids. Alors dans ma tête, c’est les chiffres et les lettres, je me mets à additionner les poids supposés de ces étrangers, cette dame au manteau de fourrure semble malingre, mais son chien obèse compense, cet homme trop musclé doit souffrir de son IMC classé en obésité, et cet enfant, quatorze kilos, peut-être quinze, et moi, 480, encore 120 avant que la sonnerie de surcharge ne retentisse, on ne pourra pas m’accuser, on ne pourra rien dire, ce n’est pas de ma faute, cette fois je n’y suis pour rien. Et pourtant la machine refuse de s’élever et je sens les yeux qui se collent dans mon dos et qui m’accusent, l’homme tousse et la dame soupire, il faut que quelqu’un se décide à sortir et bien sur c’est moi, parce que je suis la plus lourde et que c’est de ma faute, si l’ascenseur ne décolle pas et si mon père ne m’aime pas.

L’important c’est pas la chute

Celui qui appelle, je ne veux jamais lui parler. Sa présence me gêne, ses mots sont trop jolis, sa voix trop posée, je me sens lui mentir, je me sens glisser, je sais que je n’ai pas le courage de me refuser. Alors je ne décroche pas et je regarde mon téléphone vibrer, son nom en gros s’affiche comme pour ne pas l’oublier, en cadence sur le rythme des pulsations électroniques. Celui qui n’appelle pas, je passe mon temps à le chercher, dans les espaces vides qui nous rassemblent, dans des fenêtres trop petites, des éclaircies trop rapides. Alors je regarde mon téléphone ne pas sonner, et la facade triste animée par des messages inutiles me donne envie de l’insulter. Et puis, au milieu, moi, qui ne veut rien, ni de lui, ni de l’autre, qui ne sait pas ce qu’elle attend ou ce qu’elle désire, qui se monte juste des projets en fils invisibles pour ne pas s’évanouir. Moi qui cherche, comme une idiote, dans le regard d’inconnus ce qu’on a pu aimer jusqu’ici, avant de décréter que ce n’était ni suffisant, ni valable, juste tristement jetable.

Je ne me suis pas regardée dans un miroir depuis plus d’un mois. Par endroits, pour corriger un cheveu ou souligner un trait, pour me rendre avenante, pour ne pas inquiéter, mais pas en pied, et pas longtemps. J’ai peur de me voir trop seule dans ce reflet. Derrière moi, il y a quelques semaines encore, des ombres bienveillantes, le regard de celui que j’aimais, piliers imaginaires, tuteurs pour mes reins courbés. Aujourd’hui, juste moi, ce qu’il en reste, entre les larmes et la tristesse qui dégueule de mes pores pour s’agglutiner en montagnes sèches sur les parois de la baignoire, quand je me frotte jusqu’au sang pour réveiller la chair qui dort, cet amas vivant qui ne m’obéit plus, jambes vacillantes et douleurs venues d’ailleurs, petite vieille cassée, centre sympathique désaxé. Il ne faut rien lâcher, il ne faut rien lâcher, mais mes prises se sont barrées, mes mains sont vides, je m’accroche à moi même, je m’accroche à mes doigts et à mes pieds, et si je saute au bout de la planche, c’est que tout est déjà vide tout autour, on ne tombe pas bien loin dans le néant, on flotte quelques instants, scaphandrier céleste, et on oublie de respirer. Le corps plein d’air remonte à la surface, et flotte entre deux eaux vides, entre deux bulles, jusqu’à ce que ton instinct de vie, jusqu’à ce que l’adrénaline, ne t’empêche totalement de te laisser crever. Alors je me remaquille. Et je dis que tout va bien se passer.

 

Like a bird on an electrified wire

Je suis une éponge essorée. J’accepte, je comprends, je me tords, je me tais. Et puis je me vide de l’eau sale de ma tête trop pleine, en grands jets sales et noirs, panda neurasthénique, spectacle triste pour voyageur curieux. Je voudrais me jeter contre les gens plutôt que par la fenêtre. Je voudrais amortir ma peine contre leurs torses inconnus et leurs poitrines moches. Je voudrais courir vers ces gens qui ne me regardent pas et les heurter de tout mon poids. Je voudrais un embouteillage de chair, un mur de cuisses et de bras pour me retenir. Je voudrais rebondir sur des queues masquées, me faire baiser jusqu’à ce que mes jambes se brisent, je voudrais avoir mal, je voudrais gueuler. Je ne voudrais plus être celle que j’ai été. Je voudrais m’oublier dans les corps étrangers. Me faire pénétrer et me faire avoir. Me faire utiliser et me faire jeter. N’être plus qu’une masse inerte qu’on secoue de bas en haut, de droite a gauche, pour finir de se branler. Je voudrais qu’on me coupe la tête et qu’on me force a la regarder tomber. Je voudrais être chose. Ne plus avoir a penser. Ne plus me souvenir. Ne plus rien sentir.

Bien sur cela n’arrive pas. Et la laideur des petites choses continue a me grignoter les cheveux, ils tombent par touffes sur mon oreiller, dans la douche, partout ou je vais, je laisse derrière moi les traces physiques de ma peine, mes dents voudraient s’extraire de leurs racines et mes os semblent rétrécir, c’est mon corps qui se souvient quand ma tête lui ordonne de se la fermer. Je sais pourtant que tout est pour le mieux. Et quand je m’y applique, il me semble que j’arrive a m’imaginer après. Après le vide. Entre deux claquement de dents. Entre deux hurlements.

Et l’amour. Ceux des autres. De ceux que je rencontre et qui me
donnent envie de le serrer, de les chérir, parce qu’ils ont trouve le moyen un peu dingue de décupler leur capacité au bonheur. Ce truc qui ne veut pas de moi, qui me rabote systématiquement la tronche en sang contre le pave, ils l’ont compris, ils l’ont apprivoise. Ils l’ont fait a leur image. Et je les regarde et j’ai envie de chialer de jalousie, d’admiration, d’inaptitude a être. Je ne suis pas une assez jolie personne a l’intérieur. Je ne suis pas assez forte, pas assez intelligente, pas assez. Jamais assez. Toujours trop. Et mon cul qui déborde sur le Skaï de la banquette, comme un rappel a l’ordre. Ne rêve pas bordel. Et mes mots maladroits. Je m’entends parler et j’ai envie de me gifler. Et mes idées débiles. Il y a quelque chose de bouleversant et d’intimidant a être en présence de l’amour. Ou alors je suis conne. Ce qui est une sérieuse possibilité.

Chiale tu pisseras moins

Je pleure tout le temps. Je pleure tout le temps et pourtant je ne suis pas triste, je ne suis pas malheureuse. C’est difficile de faire comprendre aux gens que tu pleures comme tu respires, un peu trop fort, un peu trop profond, pour un oui ou pour un non. Que tu pleures sans y réfléchir, que ca sort à la verticale d’un coup, comme un putain de serpent pour touristes quelque part sur une place sale, j’ai un crotale dans la rétine, il te saute à la gueule quand tu ne t’y attends pas. Je pleure parce que tout me semble trop à la fois, qu’il y a trop de beauté dans le monde et que ca doit te faire chialer, parce que si tu ne chiales pas, tu passes à côté des 24 images secondes qui pourraient tout changer. Et qu’on pourra me dire que je suis une connasse d’emo, que je suis hypersensible, que ca ne sert à rien de chialer, j’ai pas envie de changer. Mes pleurs c’est ma façon à moi de sourire ou de m’émerveiller, d’hausser les sourcils ou de tousser. C’est ma ponctuation, c’est ma respiration. Ca me vide le ventre et ca nettoie ma tête.  Et puis j’ai pas honte, je laisse couler, des grosses flaques dans les poches, des rivières de mascara fondu, je pleure comme une écervelée, parce qu’un môme est vachement beau ou qu’un pigeon vient de se planquer sous le bus au lieu de se faire écraser. Le reste du corps ne bouge pas, pas de soubresauts, pas de sanglots délirants, juste du mouillé, juste du salé qui vient s’écraser sur mon menton et que je vire d’un coup de tête bien placé.

C’est nouveau, toute cette eau. J’ai pas beaucoup pleuré, longtemps. Je gardais mes pleurs pour les grandes occasions, comme on vous l’apprend dans les manuels pour gens bien élevés. Décès, maladie, séparations et licenciements uniquement. La métaphore de l’huitre pleine de flotte à l’intérieur, qu’il faut attaquer à la lame pour bouffer, tu vois, c’est tout moi. Et je voulais empêcher tout le monde de pleurer, j’voulais faire rire, j’voulais les faire s’arrêter, parce que ca servait à rien, parce qu’il y avait toujours plus grave ailleurs quelque part. J’avais pas compris. Je ne voyais pas tout ce qu’il y avait juste en face de moi. La putain de multitude dingue d’occasion de se laisser heurter par toute l’immensité contenue dans le mètre carré juste à côté de tes pieds. C’est un peu comme apprendre à lire. Quand l’alphabet n’est qu’une succession stupide de sons sans liens, ca n’a pas de sens, rien ne sonne juste, rien pour s’accorder ou pour donner du rythme. Et soudain, comme par magie, tu commences à déchiffrer, et tu lis tout. Tu lis les enseignes des pharmacies et les lettres sur les affiches, tu lis le dos du paquet de céréales, tu lis des livres, tu lis de la merde, mais tout est accessible, tout est à faire.

Sans doute qu’un jour, mes yeux arrêteront de couler. Par habitude. Parce que j’arrêterai de vouloir tout lire dans chaque objet et dans chaque signe. Mais pour l’instant, je n’en ai pas envie. Et j’en suis incapable. Je suis hyperactive des lacrymales, c’est le symptôme de toutes ces images qui se collent et se découpent dans mon cerveau, c’est la joie et la beauté incroyable des toutes petites choses qu’on oublie de lire, caractères minuscules tout au bas de la page, ceux-là mêmes qui conditionnent tout le reste.

Zero Sociaux

Je ne pense à rien quand je me connecte sur ma page Facebook personelle. Je ne pense à rien, parce que je sais que je n’y trouverai rien. Elle est comme un épouvantail. Elle me protège des piques et des heurts d’une histoire familiale merdique. J’existe sur le réseau, mais je n’y publie plus jamais rien depuis que mon père, inconnu au répertoire depuis maintenant 17 ans, m’a demandé en amie. M’a demandé en amie. Mon putain de père. Qui a cru pouvoir s’offrir le luxe d’un aperçu gratuit dans ma vie, sans avoir à demander pardon et sans avoir à parler. En quelques clics, devenons amis, et laisse moi voir si tu as changé, ma fille, depuis ces presque vingt années passées. Laisse moi regarder les photos de ton adolescence, celle que j’ai raté, laisse moi chercher sur ton visage les lignes et les traits qui me ressemblent, laisse moi observer tes failles et tes réussites, laisse moi contempler à distance, bien planqué derrière la lumière verdâtre de mon écran, ce que tu es devenue, laisse moi te juger et te condamner. Non merci. Va bien te faire enculer.

Bien sur on pourrait croire qu’il s’agit en fait d’une mesure désespérée pour me récupérer, pour revenir dans ma vie, pour m’approcher sans me brusquer. Qu’est ce que c’est qu’une notification Facebook de plus ou de moins après tout, qu’est ce que ca change sur toute une vie, on devient amis et puis on se met à parler, on finit par se voir, et par tout recommencer. Connerie. Connerie. Connerie. Dans le top 10 des événements les plus violents pour moi de ces quelques dernières années, l’apparition masquée de mon père sur mon écran est en pole position. Tellement de mépris dans ce moyen facile de me signifier son intérêt soudain. Je l’ai mal pris. Et je ne l’ai toujours pas digéré. Alors je fuis toute représentation réelle de moi même indexée par Google. Je ne veux rien laisser transparaître de gratuit, d’accessible, de facile. Je ne veux pas qu’on vienne visiter mes albums photos et mes notes entre deux consultations, pour se donner bonne conscience, pour se rassurer de ne pas m’avoir trop abîmé. Je veux avoir de l’importance. Et je veux qu’il m’en donne, si nous devons nous recroiser.

J’ai pourtant accepté de vieilles amies, d’anciens amants, j’ai discuté, j’ai pardonné, je suis passée à autre chose et nous nous sommes mutuellement ignorés. Mais la blessure est trop profonde cette fois pour que je laisse filer. Pour que je sois bienveillante. Pour que j’ai envie de céder. C’est mon sang qui me trahit, épais, têtu, mauvais. C’est tout mon père en moi qui me crie de résister. C’est absurde comme bataille. Mais je ne connais pas d’autres plans, d’autres techniques pour assurer ma santé mentale. Je n’ai pas de haine, je me raccroche au mépris. A cet instant où quand la marque rouge sur l’écran bleu est apparue, j’ai compris que l’homme contre lequel je me battais était petit, ridicule, humain, destructible, faillible, inutile. Qu’il n’y avait pas d’affrontement, puisqu’il en était incapable.

A shocking lack thereof

C’est sans doute ce qui donne du goût, cet inachevé qui te poursuit quand tu fermes les yeux et quand tu te laisses aller, ce sentiment de n’avoir jamais vraiment fermé la porte, de n’être jamais vraiment partie, d’avoir toujours le cul scotché à un canapé en cuir rouge quelque part près d’un jardin et de regarder le temps passer, invisible et inodore, regarder les filles qui défilent et les années qui filent sans avoir rien à reprocher, rien à jalouser, juste cette certitude d’être là quelque part, drôle de fantôme de chair, déplacement provisoire. Et puis c’est la part du bien que tu retiens, après le silence et l’oubli que tu forces, ~kill control-alt-del sur la mémoire à vif, puisqu’il faut effacer, puisque rien ne te retient, puisqu’il faut avancer. Et les images toujours planquées dans les bosses et dans les creux, prêtes à te bondir au coeur, prêtes à s’imprimer en poster géant dans ton crâne vide, repeindre les cloisons comme avant, puisque rien ne change vraiment jamais, puisque rien ne changera jamais. Puisque j’ai lié ma chaîne à la tienne, quoique tu fasses et quoique tu deviennes.

Et la tentation de croire que tout est possible, encore. Et les envies qui te prennent. Et le manque soudain, asphyxie, lèvres bleues, souffle haletant. Ne plus y croire vraiment, mais garder en soi toujours ce qui sert de liant, cette glue épaisse qui nous tient si serrés, si proches, inconnus savants. Penser à lui quand je passe sous un pont ou que j’aperçois le reflet d’une tour vitrée. Respirer. Se reprendre. Dans un épisode précédent. Zapper. Revenir à la réalité. Ne rien enlever au présent, ne pas mentir, ne pas tricher. Se permettre un voyage immobile le temps d’un oubli, le temps d’une chanson, le temps du maintenant. Les couleurs ne passent pas, les contours sont toujours noirs, le contraste élevé, seuls les coins se rongent peu à peu sur les photos que j’ai emportées. La patine se verdit un peu à chaque retour en arrière, à chaque passage juste derrière l’objectif pour se regarder vivre. Je repeins, je rafistole, j’arrange et je reviens. Encore et encore, au mêmes endroits qui n’existent pas. J’ai peur d’oublier pour de bon cette fois. Je n’en ai pas envie. Je veux qu’il reste là. Pour plus tard, pour jamais, pour ce que nous ne vivrons pas, et ce que nous n’avons vécu qu’en songe. Pour ce que j’aurais aimé dire et que je ne peux plus énoncer sans rougir. Pour ce que l’on a perdu quand on s’est perdus.

Il y a ce retour en voiture et cette nuit chez moi, il y a des trios bizarres et ces ambiances où l’on ne dit pas, il y a ces gens qui nous regardent, et ce café perdu où je ne vois que toi, il y a tes cheveux et ta veste, ton odeur et ton parfum que je ne supporte pas, il y a la Seine et Bastille, il y a ton rire que tu ne contrôles pas, il y a tes yeux et tes poings qui se serrent, il y a ton silence, mon absence, et le temps qu’on ne rattrapera pas.