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La fille du train

Ca fait quatre fois qu’elle se lève pour aller aux toilettes, la fille du train. Depuis le départ de Paris, moins d’une heure, quatre fois qu’elle me demande si elle peut me déranger et que je la vois se presser sur le dos du siège, contorsionnée. Je me dis que ca compense un peu, elle n’avais pas l’air très contente d’avoir une voisine à grosses fesses, l’accoudoir central relevé, je ne suis pas très heureuse d’avoir une pisseuse cystique, la balle au centre. Quand elle revient, elle déplie la tablette et se love sur le métal, comme pour dormir, les bras pliés comme à l’école, quand on ne voulait plus rien écouter, comme si tout l’ennuyait profondément, comme si elle attendait la sonnerie, deux heures encore à tenir avec ma neurasthénique endormie. Mais elle ne dort pas, elle soupire et ses yeux se noient, alors je me tourne vers le couloir, égoïsme suprême, je croise le genou sur l’accoudoir et je monte le son, il y a juste encore le reflet de ses cheveux qui se soulèvent en rythme dans le miroir des glaces d’en face, saleté de TGV aux vitres sales.

Je l’ai vue se relever et se pelotonner contre le coin de son siège, son pull comme oreiller. J’ai cru qu’elle dormait. Je lui tournais le dos. J’ai senti son corps glisser. Ses épaules entrainant son buste tout entier vers moi, sa tête baissée, la joue comme encastrée dans son sein, son buste tout entier contre moi. Je n’ai rien dit, après tout, pourquoi pas, elle ne sentait pas mauvais, elle ne mordait pas, elle est restée un temps contre mon épaule tournée, le temps de quelques chansons que je n’écoutais pas, concentrée sur cette inconnue qui me collait sans le savoir, qui s’imbriquait contre moi, qui ne partait pas, malgré les soubresauts du train, malgré les appels de la voiture bar et les vibrations de son portable. C’était étrange, j’ai cru qu’elle était morte pendant une minute, malgré sa chaleur,  j’ai secoué mon épaule de bas en haut, elle a grogné, je me suis rassurée, j’ai continué à ne pas bouger, activité prenante, sous les yeux interloqués des autres voyageurs, stupéfaits. Il se passait quelque chose de particulier, mais je n’avais pas envie de savoir, pas envie de chercher. Je voulais juste la laisser dormir. Elle ne me gênait pas. La crampe dans mon épaule un peu plus, quelques minutes après.

J’aurai pu me racler la gorge, tousser, bouger, me trémousser, lui faire comprendre qu’elle m’indisposait, qu’elle devait se déporter vers la droite, mais finalement moi aussi, j’étais bien. Je n’aime pas prendre le train. J’ai reposé mon genou droit à terre, mes épaules se sont retournées, droites contre le dossier, sa tête est venue se poser sur ma poitrine d’abord, puis lentement sur mon ventre, et sur mes genoux. Elle a croisé les jambes, j’ai compris qu’elle ne dormait pas. Je l’ai laissée là, sans rien dire. Je ne sais pas pourquoi. Elle n’a rien dit. Quelques minutes avant l’arrivée en gare, elle s’est relevée d’un coup, elle m’a demandée si elle pouvait passer, elle est allée aux toilettes, elle a pris sa valise au dessus de son siège, elle est allée attendre dans l’entre-deux, juste à côté. A ma descente, elle m’a dit merci, elle est partie.

Fake it ’till you make it

J’ai mis ma tête sur pause pendant quelques jours, au point d’oublier que je devais me laver ou me brosser les cheveux, à sortir dans la rue avec une grande trace de mascara qui dégouline jusqu’au menton, les croutes blanches collées au ras des cils, le cheveu gras et l’air ahuri, l’impression d’être décérébrée, d’oublier jusqu’au son de ma voix, me parler seule dans l’acoustique parfaite de mes toilettes pour m’en souvenir. J’ai passé trois jours seule, sans parler à personne d’autre qu’à moi même. Je ne me suis pas trouvée de très bonne compagnie. Je ne peux même pas dire que j’ai profité de ce moment pour faire le point sur ma vie, pour tirer de grandes leçons, ou pour être productive. J’ai usé toute mon énergie à continuer à respirer et à ne pas me rouler par terre. C’est stupide, c’est irrationnel. Je le sais. C’est comme ca. Si j’avais eu accés au téléphone, à une connexion Internet, à la télévision, j’aurai sans doute pu me distraire, faire passer en tâche de fond mon angoisse, ma folie des heures qui passent. Au lieu de ça, je me suis incrustée dans mon canapé avec une pile de bouquins que j’ai fait semblant de lire. J’ai regardé les poils blancs du chat former des moutons transgenres sur le parquet. J’ai ouvert la fenêtre, pour écouter les voisins discuter sur le balcon. Je me suis sentie idiote. Je me suis sentie petite. Je me suis sentie folle. J’ai repris mon livre. J’ai mangé. J’ai dormi à l’envers, comme pour fuir les journées. J’ai attendu qu’il se passe quelque chose. J’ai attendu qu’on vienne me chercher. Je me suis moquée de moi. Je me suis emportée. J’ai pleuré. Je me suis mise en colère. J’ai dit plus jamais. J’ai pensé à des trucs que je devais écrire. Je n’ai pas réussi à trouver la moindre idée, à former le moindre paragraphe imaginaire, à tracer le moindre mot. J’ai pensé aux impôts, au syndic, à la gardienne. A ma mère. A mon père. Entre deux sommeils, j’ai pensé à Caroline, à Emilie, aux amies que j’avais eu, que j’avais perdu, ou pas, ou peut-être. Je me suis trouvée inadéquate. C’est le bon mot je crois. En inadéquation totale avec tout ce que je voudrais être, avec ce que j’attends de moi, avec ce que les autres voudraient voir, avec ce qu’ils attendent. Ce n’était pas un bon moment.

Y’a un truc qui a sauvé ces trois jours. Un slogan bien lourd, à l’américaine, avec des frites et du ketchup. « FAKE IT ‘TILL YOU MAKE IT ». C’est un truc des alcooliques anonymes en fait. Si tu n’y arrives pas, si c’est trop dur maintenant, fais semblant. Et ca va venir. Donne le change. Pas aux autres, pas en mettant un masque. Juste pour toi. Fais semblant d’aller bien pour le quart d’heure qui arrive, on verra ce qui se passe après. Alors j’ai fait semblant de super bien gérer ma solitude. De n’en vouloir à personne. D’être un ermite baba-cool super class’. One fucking day at a time. Chaque jour, chaque heure compte. Et j’y suis arrivée. Ma tête a arrêté de tourner. Pas tout de suite. Quart d’heure par quart d’heure. Demie heure par demie heure. Heure par heure. Nuit par nuit. J’y suis arrivée. I made it.

So much beauty in dirt it could make you cry

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Out of breath and out of cash
Find yourself watching M.A.S.H.
Every night on the couch
Woman says, « Let’s take a drive down south »
Roll down the windows and open our mouths
Taste where we are and play the music loud
Stop the car, lay on the grass
The planets spin and we watch space pass
Walk a direction, see where we get
I never knew nothing so there’s nothing to forget
Get real drunk and ride our bikes

There’s so much beauty it could make you cry
There’s so much beauty it could make you cry
There’s so much beauty it could make you cry
There’s so much beauty it could make you cry

The rich get money but never what they want
Find ourselves a new place to haunt
Climb up the fire escape
Do it until the ground looks far away
Go night swimming, leave our clothes on the ground
When we get busted we just stand there proud
It’s the truth, we all been wrong make it up
And let’s move on
Playing cards we all get to act sly

There’s so much beauty it could make you cry
There’s so much beauty it could make you cry
There’s so much beauty it could make you cry

(Modest Mouse)

((« Quand on a de la merde dans les yeux, bah on pue des yeux (un peu)./ » (Victor Hugo))

Ceci n’est pas un exercice

Je ne sais pas pourquoi, aujourd’hui il ne dit rien. Il se contente de hocher la tête, au rythme de ma voix, quand il sent que j’attends une réaction, un avis. Il se contente d’être là, mais il ne dit rien. Alors je demande, une fois, deux fois, cents fois. Je cherche, je me roule par terre, je menace, je plaisante, je crie, mais rien ne sort. Il est beaucoup plus fort que moi, muré dans son silence, dans son humeur, sans avoir besoin de dire, sans avoir besoin d’écrire, il attend que ca passe, il sait que ca s’en ira. Pour l’instant il se tait, parce qu’il n’y a rien à dire, ou qu’il y aurait trop à expliquer, parce que c’est trop douloureux, ou peut-être parce qu’il ne sait pas, il se contente de rester confortablement installé avec lui-même, avec son petit nuage noir au dessus de la tête. Je ne sais pas faire ça. Tout déborde chez moi, trop fort, je pleure comme je pisse, je gueule pour rien, je m’énerve rouge cerise, le malheur me rend idiote, désarticulée, le bonheur m’abrutit, l’entre-deux m’ennuie, je ne me satisfais jamais de mon état, comme si il y avait toujours quelque chose de mieux après lequel courir, quelque chose à changer, à optimiser. Je n’ai pas sa patience, je ne sais pas attendre, je n’aime pas demander, je ne sais qu’exiger.

C’est masculin, ce truc de ne rien dire. C’est féminin, ce truc de tout vouloir savoir. Cliché. J’essaie pourtant de le préserver de mes attaques fulgurantes de connerie hystérique. J’essaie de le laisser vivre, respirer. Il me le rend bien, et se contente de rester à côté de moi lorsque je déverse ma tonne d’obsession cyclique et de névroses patentées, sans chercher à analyser, ou même à comprendre. Il écoute. Il prend ma main, et il me laisse parler, me taire, pleurer. Il a l’habitude, il sait que rien n’est vraiment grave, qu’il faut s’inquiéter de mes silences, pas de mes cris. Quand je m’emporte, souvent, il me fait les gros yeux, il m’en veut de me laisser atteindre, de me laisser toucher, il me voudrait plus sélective dans mes rages, et moi, je crie, plus fort encore, parce que je voudrais qu’il me défende, qu’il décrète que la terre entière m’emmerde, que le monde est rempli de blaireaux malfaisants, qu’il leur casse la gueule, tous, un par un. Mais ce n’est pas sa place, et il refuse d’ailleurs de l’occuper, il me laisse avec mes idées fixes, mes combats, il ne les partage pas tous, il en comprend certains, il m’apprend à temporiser.

Je ne parle pas souvent de lui, parce que ma pudeur s’arrête là. Parce qu’il est trop précieux pour que je le partage. Parce qu’il n’aime pas ca. Parce que j’ai du mal à définir ce qui nous lie, si fort, si profond. Nous n’étions pas faits pour nous aimer, cela ferait une jolie phrase, une jolie entrée pour le début de notre histoire. Mais depuis qu’il lui arrive de lire ce que j’écris ici, j’avais envie de laisser une trace de son caractère indispensable, j’avais envie de le dire, comme une déclaration fondamentale. Il manquait quelque chose aux histoires que je raconte ici, c’était lui.

Petits mots

Quand j’étais au collége, la grande mode était de se laisser des mots dans nos agendas. Des petits mots ridicules, des blagues d’adolescents, des déclarations d’amitié pour toute la vie, des dates anniversaires entourées et coloriées, mais le mot qui revenait le plus était celui sur le thème du rien. Rien. Ca faisait quelque chose comme : « je n’ai rien à te dire, mais je te l’écris quand même, donc tu vois, au final, j’ai réussi à t’écrire sur rien, je suis trop fort ». Ca vous dit à tous quelque chose, j’en suis sure, je l’ai même lu sur quelques blogs ces dernières années, à croire qu’écrire sur rien de manière aussi stupide est quelque chose de particulièrement ancré dans nos mécanismes. Contre le rien, contre le manque d’inspiration contre la page blanche, ou juste pour se faire passer pour quelqu’un de drôle, on ressort cette petite diatribe enfantine sur le rien, on le remplit de mots qui ne veulent rien dire, on ajoute un peu d’égo rigolo, et on croit s’en sortir haut la main. Combien d’entrées de journaux intimes en ligne commencent par la phrase « Je n’ai rien à dire » ? Combien sont les entrées qui survivent à ce départ foireux ? Combien de temps pouvons nous passer à nous dire que nous n’avons rien à dire ? Combien sommes nous à lire des gens qui n’ont rien à dire ?

Par extension, et peut-être par malheur, il existe des gens qui gagnent un paquet d’argent en ayant rien à dire. Par exemple, Sofia Coppola avec son dernier film, Somewhere. Je suis la première pourtant à aimer les plans longs, les silences, la contemplation, le recul pris dans un scenario. Mais dans ce film, on se demande à chaque seconde si tout ça est une vaste blague, si elle cherche tout simplement à nous donner envie de sniffer du poppers en dansant sur de la techno espagnole bien bourinne, comme une réaction adverse à tout ce rien, à tout ce vide. Comme l’envie de jeter ma canette de coca light à la tronche de l’écran, pour voir si quelque chose pouvait se passer, où si la lumière si savamment étudiée avalait toute forme de vie environnante. Envie de rire et de sortir, surtout. Impression de regarder une oeuvre d’art moderne un peu trop kitsch, toujours ce sentiment qu’un critique nous épie sous forme de caméra cachée dans l’assistance, le public va-t-il enfin se rendre compte qu’on se fout de sa gueule, ou va-t-il continuer à gober les élucubrations léchées de la reine des Bobos branchés ?

Je suis aussi victime du rien. Je regarde des gens ne rien faire dans des émissions de télé-réalité. Je lis les sites et les textes de gens qui ne pensent rien, qui ne font rien, qui n’écrivent rien. Rien de bien. Rien de bon. Parfois, je ne fais rien. Et ce n’est pas poétique, ca n’a rien de doré et de festif. Au contraire, l’inactivité et la vacuité te ronge peu à peu le reste de cerveau restant, peu à peu, ouvrir un livre avec des mots à plusieurs syllabes te semble compliqué, comme te concentrer sur un film aux rires non enregistrés, apprendre une langue, ou même tenir une discussion un peu animée. Tu te roules et t’englues dans la merde dégueulasse dans laquelle tu choisis de baigner, bientôt les fautes d’orthographes ne te choquent plus, rien n’est grave, l’année prochaine, tu enregistres le concert des Enfoirés. La dégringolade est rapide, comme à chaque fois qu’il s’agit de se planter, fais moi confiance, on y va à fond, en beauté. Alors pour la première fois de ma vie, je me mets au régime, rééquilibrage culturel forcé, objectif cerveau, première phase enclenchée, un peu de discipline enfin, réduction massive des conneries ingérées visuellement, restriction des accés aux forums débiles et autres féminins un essai, un roman, une biographie, une connerie, dans cet ordre seulement, pour les mois à venir, plus de toile, moins de rien.

Qui veut épouser ma fille ?

Je mesure la chance d’avoir une mère sage et saine dans son rapport aux hommes que je pourrais fréquenter. Je n’ai jamais eu à subir la torture des lamentations sur l’hypothétique date de mon mariage, je n’ai jamais du me justifier de mes choix amoureux. Dans son infinie bonté, ma mère prend toujours mon parti : quand je suis amoureuse et heureuse, elle décide que son gendre est merveilleux, et dès que je me lasse et pense à trouver la porte de sortie, elle fait avec bonheur avec moi la liste des défauts de mon compagnon, et m’encourage toujours à reprendre mon indépendance. Ma maman place très haut ce mot, l’indépendance, comme un besoin vital, être libre, ne pas être attachée par l’argent ou par des liens inutiles, pouvoir être seule face au monde, sans rien devoir à l’autre que le nécessaire. Je suis un peu moins attachée à cette indépendance, d’abord parce que je pense qu’il existe des liens de partages sains, que l’on peut partager son argent ou son savoir sans pour autant s’en départir complétement, ensuite parce qu’il m’est arrivé, et qu’il m’arrivera sans doute encore de traverser des périodes où pouvoir m’appuyer sur l’autre était presque vital, où je ne pouvais pas faire autrement que faire confiance, qu’accepter l’aide qui m’était donnée. Je ne crois pas que ma mère soit trop fière ou orgueilleuse pour ne pas accepter d’aide, je crois juste qu’elle se bat avec son ombre depuis trop longtemps pour baisser totalement sa garde. Peut-être qu’elle est tout simplement plus forte que moi, c’est une probabilité que je n’exclus pas.

J’ai failli me marier au moins 2 fois. La première, mon premier amour, ma première vraie histoire, celle où rien ne peut arrêter l’envie, on pense grand, on voit loin, les enfants, la maison, le chien, le mariage dans les vignes dans un château quelque part dans le Bordelais, tout était tracé, rien à réfléchir, presque rien à penser d’ailleurs, comme tous les bébés-couples, on copie bêtement, les histoires de nos parents, de nos sœurs, de nos amies, on veut vite se poser, se mettre dans une case et ne pas dépasser, adopter le plus rapidement possible les signes apparents de la réussite sociale labellisée. La seconde fois, on me l’a beaucoup proposé, je n’étais pas convaincue, j’y ai pourtant réfléchi, toujours cette tentation de céder, comme si on se rachetait une conduite en devenant Madame, comme si l’acte de passer à la Mairie me donnait une importance stupide, devant mes amies encore célibataires, devant mon employeur, devant tous en fait. Cette vieille croyance qui fait des filles qui tardent à se marier de vieilles aigries frigides, des femmes de mauvaises vies, ou tout simplement des laiderons, s’accroche profondément dans nos esprits, aussi libre qu’on se prétende. Je ne me suis pas mariée, pour des raisons simples : parce que ce n’était pas le bon, parce que je ne le sentais pas, parce que ce n’était pas le moment, parce que j’avais envie d’un autre, finalement toutes les raisons sont bonne quand il s’agit d’un choix aussi radical. Parce que se marier, c’est renoncer à tous les autres, c’est s’engager, je suis vieille France comme ça, je sais, c’est dépassé.

J’arrive à l’âge où il ferait bon genre que je sois mariée. Je me rappelle avec une certaine émotion des paroles bienveillantes de ma grand-mère alors que je lui présentais mon second petit-ami « Tout le train va devoir lui passer dessus avant qu’elle ne se marie celle là ? », non, pas tout le train, quelques wagons peut-être, et encore, est ce que cela compte vraiment, qui compte encore ce genre de choses, c’est d’un vulgaire vraiment …

Avoir un bicot dans le fion

Non, je n’ai pas complétement craqué. « Avoir un bicot dans le fion » est la dernière requête ayant permis d’accéder à mon Tumblr via Google. Je ne voulais pas céder au marronnier des mots clés, mais celui ci était bien trop drôle pour que je manque de l’écrire ici, juste pour m’en souvenir, quand je repasserai.

Je vis une période un peu étrange. Je sens que je suis sur le bord de quelque chose de mieux, que ca va être vraiment bien. Que les projets dont on rêve depuis longtemps, ceux dont on ne parle même plus, comme pour ne pas les gâcher, peuvent se réaliser, très vite maintenant, dans quelques semaines, dans quelques mois. C’est terriblement excitant, ca me fait trembler les paupières quand je me laisse le droit d’y penser, ce tremblement incontrôlable, ce spasme de l’attente, ca met aussi un peu la pression, parce qu’à fort de se dire qu’on y arrivera jamais, on a l’air bien con quand l’occasion se présente pour de vrai. Il ne me reste qu’à ramer pour espérer être à la hauteur, montrer mes dents quand je souris et croiser les doigts en secret. J’en ai vraiment envie, ca me porte, ca me donne envie de faire tout un tas d’autres choses chiantes et annexes, comme si je voulais tout régler avant de me lancer dans ce projet, être propre sur moi quand le moment viendra.

C’est un peu nouveau, cette envie, ce truc qui se joue de moi. J’avais un peu oublié ce que ca faisait, de se laisser emporter par une idée, d’avoir quelque chose à quoi penser, c’est peut-être la neige qui fait ça, avec son silence incroyable, ce moment où plus rien ne bouge, où tout se laisse contempler, même les choses les plus laides, le parking de ma résidence, la petite allée à la pelouse brulée, tout prend une allure presque majestueuse, c’est la neige à la Disney, se coller à la vitre et juste regarder les flocons tomber, s’amuser de leurs formes, se rappeler que chacun est unique, c’est ce qu’ils disent dans les livres de psychologies pour abrutis, vous êtes comme un flocon de neige, unique et différent, merveilleux et singulier, alors juste pour un moment arrêter d’être cynique, se laisser aller aux bons sentiments derrière la vitre embuée. S’accorder de regarder la neige tomber, s’accorder d’ouvrir les yeux juste pour soi, sans prisme d’interprétation obligatoire, sans personnage à jouer. Avoir la certitude que tout ira bien, puisqu’il neige, et que tout est beau, silencieux, apaisé, juste pour une minute, puis prendre une respiration, s’éloigner de la fenêtre, et se rendre compte que rien n’a changé, juste nos yeux peut-être, comme lavés.

Je donne rarement dans l’optimisme niais. J’essaie toujours de prévoir, de calculer, cela fait partie de mon côté névrosée, toujours savoir, connaître les itinéraires, se préparer, ne jamais être dépourvue, toujours essayer de tout savoir, ne jamais se lancer au hasard. Pourtant aujourd’hui, j’avais envie de me détacher de mon mécanisme habituel, j’avais envie d’arrêter de compter, d’arrêter de vérifier, d’arrêter de me rassurer. J’avais juste envie de prendre le temps de me dire que tout allait bien se passer.

L’annuaire et le petit carnet

On a tous un petit carnet. Ou plusieurs même. De ceux qu’on garde. Le premier, le mien, Clairefontaine, bleu clair, petits carreaux et spirales, à l’intérieur les adresses des copines avant de partir en vacance en CM2, avant de partir en sixième, avant que tout change, et puis ceux d’après, les agendas qu’on conserve, le premier agenda professionnel, le premier rendez-vous, les dates de nos règles, et puis des numéros, des adresses, ceux qu’on ne veut pas oublier, ceux qu’on a peur de laisser s’effacer au gré d’un téléphone trop intelligent, trop capricieux, les choses qui comptent, toutes rassemblés dans les pages qu’on tourne, semaine par semaine, année par année, ces souvenirs qu’on s’écrit sans le savoir, les annotations et les surlignés.

On a tous un annuaire, quelque part. Malgré Internet. Un annuaire qu’on laisse pourrir dans le hall d’entrée, parce qu’on en a plus besoin, parce que c’est laid, lourd, et encombrant. Un annuaire qui tient le pied d’un lit défaillant, un annuaire marche pied pour un enfant qui veut grimper, un annuaire glissé sous le meuble à téléphoner de nos grands-mères, griffonné et annoté. Cette reliure gigantesque de milliers d’inconnus ne nous intéresse pas vraiment, qui nous en voudrait ? L’annuaire c’est l’utile, le pratique, ou bientôt le désuet, l’annuaire c’est le dehors, c’est les autres, c’est ce carnet que nous n’écrirons pas, parce que l’annuaire ne nous possède pas, on y apparaît juste, une ligne de plus, on peut même choisir de s’en effacer, l’annuaire nous oublie et se laisse distribuer sans que nous entrions chez les autres, sans que personne ne puisse le remarquer.

La vie qui compte, c’est celle que nous inscrivons dans nos petits carnets. Pas celle des annuaires, décidée par l’administration, par les institutions, par le paiement du gaz et de l’électricité. Je ne pourrai pas passer un dimanche penchée à relire mes annuaires, à m’émouvoir d’un nom, à penser à une adresse, à relever une faute d”orthographe, à me souvenir. Ce dont on se souvient, ce qu’on inscrit sur nos carnets, sur nos documents Word ouverts puis refermés, ce qu’on garde secret, enfoui dans nos sacs et dans nos poches, c’est tout cela qu’on emporte, pas l’annuaire, pas la multitude des autres, pas la foule des anonymes, pas les paroles de ceux qu’on croise de loin. Ce qu’on garde, c’est ce qu’on écrit, même par hasard, même pour rien, c’est ce qui colore notre inconscient la nuit.

Boudha

Dans la salle d’attente, il y a un gros Boudha doré, le genre imposant, le ventre distendu, comme si il était rempli d’air, un gros léger, une baudruche transcendantale, un bon Boudha bien gras, posé sur son socle en marbre, qui voudrait nous faire croire qu’il vient de loin, qu’on l’a rapporté en contrebande d’un pays lointain, j’ose pas encore demander, mais je mettrai mes deux mains dans le hachoir à parier qu’il s’agit juste d’une figure en plâtre dénichée par un décorateur d’intérieur un peu perché. Moi, je me méfie des Boudhas, des dragons, des orientalismes, des dorures et des couleurs qui s’accordent sur les coussins damassés, ce que je viens chercher ici c’est juste un peu de repos, la bonne béquille, la bonne oreille, je ne crois pas aux magnétiseurs, aux chamanes, aux illuminés, je crois en la chimie, aux atomes et aux cellules, aux synapses qui s’égosillent, à la symbolique du mot bien plus qu’à celui du lieu, je crois en mon médecin, parce qu’il est un peu D.ieu.

J’ai mis longtemps à comprendre que quelque chose clochait vraiment, que je n’étais pas juste fatiguée, juste triste, juste sensible, juste paresseuse ou juste excitée. J’ai toujours préféré croire que tout était de ma faute, qu’un bon coup de pied au cul finirait par tout régler, que tout ça finirait par passer, que c’était presque une grâce que de ressentir si pleinement les émotions, les joies et les peines, les miennes comme celles des autres, comme si mon épiderme était transparent, inutile, comme si tout me pénétrait sans que je puisse y faire barrière, sans que je puisse rien empêcher de me toucher, vulnérable malgré la carapace de gras, malgré la volonté. J’ai voulu me forcer à être dans une normalité fantasmée, dans une juste milieu kantien mal digéré, j’ai tenté de tout bloquer, de ne plus rien ressentir, mes oreilles fermées, ma tête sous l’oreiller, ne rien entendre, ne plus parler, se recroqueviller, faire de ma solitude une muraille, ne plus pleurer quand je raccroche le téléphone et quand je réalise que l’autre n’est pas juste à côté. J’ai essayé de sortir de moi, j’ai voulu être belle, j’ai voulu être chaire, j’ai voulu être reine de mon harem, j’ai tenté l’extravagant et le clownesque, j’ai cru pouvoir m’oublier derrière un masque, celui de celle qui s’en fout, celle toujours prête à partir, toujours prête à tout, sans réfléchir, surtout sans penser. Rien ne fonctionnait.

J’accepte aujourd’hui souffrir d’un cas commun de réalité augmentée. J’accepte de renoncer à mes espoirs d’auto-régulation, j’accepte avoir besoin de plus de temps que la moyenne pour guérir des petites blessures, celles qui vous semblent stupides, j’accepte d’être faible, j’accepte de demander de l’aide, j’accepte de ne plus me cacher. J’ai couru toutes ces années après une autre forme d’acceptation de moi. Accepter mon corps, me faire accepter des autres, cette guerre de l’intérieur pour ne rien lâcher, ne pas se laisser marcher sur les pieds, toujours se défendre, toujours gagner du terrain, s’affirmer. Je réalise que j’ai pris les choses à l’envers, et que si je suis aujourd’hui fière de ce que je suis, grosse ou mince, obèse ou décharnée, c’est banal, mais c’est mon intérieur dont j’aurai du m’occuper, ce sont mes faiblesses structurelles, ces fissures dans les fondations, que j’aurai du combler. Il n’est pas trop tard, il est encore tôt, j’ai toute la vie pour réparer, je trouve juste intéressant de prendre le temps de constater, de se poser et regarder ce qui vient devant, de ce qui se donne à nous, sans que l’on ai rien demandé.