Pas le permis.

J’ai pas le permis parce que j’ai peur des phares des autres, sur l’autoroute déjà passagère j’ai envie des phares des autres, les voitures dans l’autre sens, comme le frère psychotique d’Annie Hall, c’est tellement simple et tellement brutal, fonce dans un arbre, dans un mur, dans les phares des autres, fin de l’histoire, on en parle plus. Seulement je peux pas, parce que j’imagine que les gens vont venir chez moi, et j’ai pas descendu la poubelle, mon armoire dégueule les fringues à taille élastique, j’ai pas passé l’aspirateur depuis trois mois, alors je veux pas que les gens viennent chez moi, quand je serai morte, parce que ca se fait pas, et puis les papiers que j’ai pas trié, mes petits carnets que je montre à personne, la tache de sang sur mon matelas, ils vont penser quoi. Parfois ca me le fait avec le RER, mais là c’est pareil, j’y arrive pas, pourtant tu joues à l’aventurière, tu poses tes pieds sur la bande de plastique gondolé qui signale la fin du quai, t’as qu’un pas à faire, c’est quoi ce putain de pas, pas grand chose, un pas, tu tombes, lourdement, comme une merde, et le RER te passe dessus, c’est fini. Mais je peux pas, parce que je pense à Robert le conducteur du RER, que je veux pas lui faire ça, mes viscères coagulées sur le pare brise, et puis les autres dans le train, me faire traiter de connasse par les amis du 8h17, les pompiers qui te ramassent en morceaux, je me demande comment ils font, est-ce qu’il y a des petites boîtes avec des étiquettes, est-ce qu’ils te mettent dans des sacs plastiques, attention déchet toxique, comment ils font pour l’odeur et le sang, pour les accidents ils mettent du sable sur la chaussée, ca absorbe et ca boit, mais sur les rails on ferait comment. Et puis je voudrais pas crever sous le RER D, si je me fous en l’air c’est au moins du métro aérien, je voudrais pas partir banlieusarde, je voudrais des agents en vert de la RATP traumatisés, des vrais pompiers militaires et mon portable encore intact par miracle qui sonnerait dans le vide sans que je puisse y répondre. De toutes façons je crèverai surement de chagrin ou d’ennui ou des deux peut-être, ou alors d’une crise cardiaque ou du diabète il parait, est-il vraiment utile de précipiter l’instant, et puis je peux pas blairer les suicidés, sauf que moi ca serait pas pareil, parce que moi tu comprends je souffre, personne ne m’aime, enfin si, mais ils ne me connaissent pas, connerie d’adolescence digérée sous acide, peut-être si j’enlève mon masque et qu’on me voit vraiment, instant scoubidou ou alors Picasso si tu veux de la référence, peut-être que c’est ca finalement, ce que tu attends et ce que tu cherches dans les phares des autres, la révélation, l’instant éclair, à poil dans un phare blanc, le corps déchiqueté enfin, comme l’intérieur de ta tête, parce que parfois t’enfoncer des aiguilles dans les bras ou des cutter dans les cuisses ca ne suffit pas, peut-être si j’avais mal dehors les gens verraient que j’ai mal dedans, alors peut-être, pour un instant seulement comme il dit l’autre qui pleure quand il parle quand il chante, pour un instant seulement je suis toi. J’envie les gens heureux qui n’ont pas besoin de se faire mal pour sentir qu’ils ont quelque chose sous la peau, qui sentent et qui réfléchissent et qui respirent sans effort particulier, moi j’ai des fourmis dans les doigts et une armée d’insectes sous l’épiderme, ça grouille là dedans et ca ne s’arrête jamais, parfois je vois ma peau se détendre et se fondre sous les passages des bêtes informes qui me dévorent de l’intérieur, elles me déforment et elles me façonnent. Je me force à mettre des points mais j’ai pas envie, j’ai envie de virgules à l’infini, parce que quand j’écris les phares s’éloignent et je n’ai plus peur de moi, les grouillements se taisent et les fourmis sortent de mes doigts pour s’accrocher sur l’écran, elles se mettent à grouiller ailleurs, elles baisent et elles se reproduisent, plus nombreuses et plus noires, mais elles ne bouffent plus, les morsures se barrent et ca brûle un peu moins du dedans, comme quand tu arrêtes de respirer quand tu mets ta tête sous l’eau dans ton bain, les bruits étouffés du reste qui peut bien s’arrêter, et que tu te poses la question, jusqu’à quand je reste sous l’eau, combien de temps tu tiens, combien de temps, et si j’arrête est-ce que les bruits continuent. J’ai l’angoisse du passage, de l’initiatique, je ne veux pas partir, j’attends que ca passe, j’attends la fin des circonvolutions, tout le monde dit que ca s’arrête, quand tu fondes une famille ou quand tu deviens plus sage, quand t’as des vraies responsabilités qui te font arrêter de pouvoir réfléchir, tellement t’es occupée, tellement t’as des choses, mais alors pourquoi j’ai cette putain de tâche de fond, et si ca ne s’arrête jamais et si ca ne s’arrête jamais et si ca ne s’arrête jamais.

Papa

La dernière fois que je l’ai vu, j’étais planquée dans une gare RER bien glauque. T’avais rendez-vous avec l’autre, pour discuter argent et temps, je t’avais pas vu depuis 4 ans, les seules nouvelles que j’ai de toi arrivent sous la forme d’une lettre d’avocat, juge des affaires familiales, tribunal de Bobigny, votre père souhaite arrêter de payer la pension alimentaire, attendu qu’il t’a effacé de sa vie et que tu fais tache même sur son compte bancaire, attendu qu’il a un nouveau fils maintenant, t’es convoquée dans un bureau, un juge qui comprend pas, quatre chaises, deux avocats, toi t’y vas pas, pas question de croiser ton paternel dans la salle des pas perdus, tu liras le compte rendu.

Papa tu m’as tenu par l’argent pendant longtemps, moi je voulais rien te devoir, rien avoir à dire, à justifier, pas question que tu saches comment je vais ou que tu reçoives mon relevé de notes, t’as choisi quand tu m’as abandonné, quand t’as changé, quand t’as décidé de devenir ce gros enculé, nez fracassé, urgences du CHU, tu diras que t’es tombée en vélo mais personne ne le croira, il fait les cent pas dans la salle d’attente alors tu sors par derrière avec ta putain d’attelle collée à la gueule, tu sais pas ou t’es, t’as 13 ans et t’as pas un rond, c’est pas grave, t’avance, tu rentres chez ta mère et tu fermes la porte, tu réponds plus au téléphone et tu parles à personne, tu casses tout dans ta chambre et tu chiales toute la journée, ils parlent de non présentation d’enfant, toi tu penses à crever, quand finalement tu sors pour aller au collège, il est planqué dans sa caisse et il te suit en mode psychopathe, si tu parles je recommence et je te raterai pas, vas-y achève moi j’en ai rien à foutre, frappe moi plus fort je gueulerai même pas, t’encaisse et tu pleures même plus, t’es vide dedans, c’est moche dehors, assistante sociale et foyer d’accueil, c’est de ta faute, fallait laisser faire, fallait pas avoir de bleus, fallait que tes parents restent ensemble et qu’il pète pas les plombs, fallait être à l’heure le samedi après-midi et cartonner en biologie, fallait avoir une mère plus forte, moins fragile, plus présente, respire, demain on se débarrasse de toi, 9000 bornes plus loin, il faut bien que l’argent de tes grands parents serve, là bas ni père, ni mère, ici tu disparais, avec toi les ennuis, les emmerdes, les rendez-vous au tribunal et les sommations à comparaitre, c’est bien ma chérie tu vas découvrir un nouveau pays, parler anglais, c’est formidable, à 14 ans à 14 heures d’avion, t’as tellement peur que tu te remets à pisser au lit.

Quand tu rentres neuf mois plus tard, rien n’a changé, sauf que t’es plus la même, tu te laisses plus faire et t’as une rage tellement énorme que tu tapes dans les murs, dans les gens, tu te tapes contre tout, t’as coupé tes cheveux et tu ressembles à un petit mec, tes potes te reconnaissent pas mais de toutes façons toi non plus, tu fumes, tu bois, passe les vacances enfermée dans le noir à cuver, t’as décidé d’oublier, t’as plus de père, à la rentrée sur la fiche de renseignement tu marqueras décédé, tu peux pas le tuer vraiment alors tu le fais comme ca, tu le tues pour les autres, il n’existe pas, pas de deuxième signature sur le carnet de correspondance, pour les autres il est mort et pour te préserver personne ne t’en parle, tellement plus simple, tellement plus facile, de cas social difficile tu deviens la pauvre orpheline, les gens ont pitié de toi, parfois t’as envie de cracher la vérité, mais y’a rien qui sort, ni là, ni chez le psychologue obligatoire, tout les mercredis 15H, cabinet pastel et boîte de mouchoir sur la table basse, j’ai rien à dire, j’ai tué mon père avant qu’il ne me crève, j’ai gagné.

Reste le virement tout les mois qu’il fait à ta mère, prélevé directement sur son salaire par un huissier, obligation de subvenir à tes besoins, c’est marqué sur le jugement, ca te dégoute, t’as l’impression de prendre le fric de quelqu’un que tu détestes, mais toi t’es en première, t’es en pension et faut payer, ta mère est au chômage et ca a pas l’air de s’arranger, alors tu touches le fric, tu paies l’école et t’essaie de te dire que ce sont des putain de dommages et intérêts, t’essaie d’être logique et de prendre ce qu’on te doit, mais ca passe pas, tu commences à te faire gerber, comme pour expulser la merde qu’on te force à ingérer, quand t’es majeure c’est presque pire, c’est viré directement sur ton compte, argent sale, virement en gras, tu le fumes et tu l’avales, tu le gobes et tu le brûles, tu niques ta prépa, mais c’est aussi bien, en fac tu peux bosser, tu peux arrêter de te gerber, préparatrice de sandwichs et télé-opératrice, au moins tu lui dois plus rien, pas de rappel sur papier que ton géniteur existe bien, qu’il te crache à la gueule et qu’il t’a renié, tu peux commencer à te soigner, reste le vide immense du père que tu as fantasmé, celui qui petite était ton héros, celui que tu voudrais, que tu pleures souvent en écoutant Gainsbourg et Ferré, quand j’ai mal à la tête et que je suis dans le noir, j’y pense encore, demain je peux crever et il n’en saura rien, demain je peux me foutre en l’air et sa vie continue, j’ai eu un père pendant 10 ans, j’ai subi un enculé trois, y’a rien de grave pour lui, sa nouvelle vie vide de moi, la mienne immensément vide de lui.

Et le ciel était bleu améthyste.

J’arrive pas. J’arrive pas. J’arrive pas. Je n’y arrive pas. Je n’arrive pas à écrire ce billet. J’ai épuisé mes brouillons. Je n’ai pas de rechange. J’écris et puis j’efface. Je change de ton, c’est tellement laborieux que mes doigts buttent sur le clavier, fautes de frappes, rien de fluide, rien ne sort. Pourtant en rentrant, j’ai pensé à ce billet, ce que j’allais écrire, j’avais les premières phrases, le reste vient d’habitude, facilement, sans me contraindre, sans effacer, sans retour.

Alors j’écris quand même, parce que je me le suis promis, écrire tout les jours ici, ce qui sort en premier, sans trier, mais forcer la démarche, prendre le temps de ce tête à tête avec le clavier (MAIS PUTAIN CLICHE DE MERDE), j’ai promis alors j’écris.

Ce soir je n’y arrive pas, rien à cracher, rien à dégueuler, rien à raconter, rien à tourner en dérision, rien de bien, rien de mal, fatiguée. Fatigante aussi, désolée.

C’est peut-être la fin de la parenthèse. Peut-être que je n’arriverai plus à écrire. Que ca devient trop contraignant, trop obligatoire. J’ai un problème avec l’autorité, qu’ils disent. Avec ma propre volonté aussi on dirait

Fat Fuck

Je discute avec un mec sur Twitter, de tout, et puis pas mal de cul aussi, mais théoriquement, le genre de conversation où tu débats des bienfaits du lavement avant la sodomie et autre tips pour pratique sexuelle déviante. Et il me dit qu’en fait, il a jamais couché avec une nana comme moi. Comme moi. Ca veut dire quoi ? Non, pas belle, drôle et intelligente, juste qu’il n’a jamais couché avec une vraie grosse, une fille qui pèse plus lourd que toi, une fille pondéralement hors norme, pas juste une petite minette enrobée mais qui compense avec une poitrine bandante et un cul de porn star, une vraie grosse, la fat fuck experience. Que ca lui dirait bien, dans un univers fantasmatique lointain, mais que finalement il hésite, qu’il ne sait pas trop comment ca fonctionne une grosse, et puis faut la trouver, bref autant d’obstacles confortables pour rester au chaud dans son slip American Apparel, ne tentons pas le diable, baisons politiquement correct.

Je comprends parfaitement qu’on ne soit pas attiré par un corps gros. Je ne pense pas qu’on puisse bander pour tout le monde, et j’ai moi même des goûts particuliers que je ne force pas, le pourcentage de baisable restant plus important que le non-baisable selon ma grille de lecture. Il ne s’agit pas donc ici de convaincre ceux qui vomissent à la vue d’un bourrelet qui dépasse d’une ceinture, mais plutôt de faire l’éloge du baiser gros, pour ceux qui sont encore dans une réserve pudique.

Baiser une grosse c’est accepter de se perdre. De revoir ses réflexes, la façon dont on touche, dont on caresse, de se laisser faire aussi. C’est prendre un sein à deux mains, pour le sentir pleinement, sentir le poids, l’abondance, revenir sur son mamelon, se rendre compte que ta langue ne suffit pas, s’attarder, découvrir des endroits qui n’existent pas chez les filles minces, la cambrure d’un cul contre laquelle tu peux poser ta tête, sentir de la matière sous tes doigts quand tu lui caresses le dos, le ventre, ne pas céder à la tentation de pétrir bêtement, la laisser faire aussi quand elle glisse ta queue entre sa poitrine, accepter de te perdre dans sa chair, de te sentir plus petit parfois, mais plus viril, plus fort aussi quand tu l’attrapes par les hanches et que tu la soulèves, que tu imprimes le mouvement de tes hanches sur ses fesses.

Baiser une grosse c’est aussi parfaitement la même chose que d’habitude, c’est toucher, lécher, embrasser, partout, ne pas avoir de retenue, se lâcher, ne pas se mettre à la place de la fille que tu prends, aller au delà des complexes que tu supposes, tu ne sais rien de ce qui la bloque, de la manière dont elle ressent son corps, ne te prends pas pour un devin, ne crois pas qu’elle est moins souple, plus salope, moins bandante ou plus perverse qu’une autre, ce qui se joue de cérébral dans le sexe est universellement différent à chacune, il y a des grosses chiantes et des minces qui font l’étoile de mer dans ton pieu, il y a des salopes finies qui crachent sur ta queue en se frottant contre tes jambes dans les deux camps, ne fait pas l’erreur de projeter sur ta grosse les stéréotypes habituels, oui, tu peux la baiser dans toutes les positions, bien sur ca peut demander une légère modification spatiale, elle se cambre un peu plus quand tu la prends par derrière pour te sentir complétement, quand tu la baises à la hussarde elle pose une jambe sur une chaise, mais c’est la même chose, en plus abondant, en plus dense.

Et puis c’est aussi le moment de tenter des choses, un cul qui s’écrase mollement sur ton visage pour venir se faire lécher, dévorer, c’est bien, un gros cul c’est incroyable, avoir au dessus de toi ce corps qui vient se frotter contre ta queue, légère malgré la gravité, sa poitrine démesurée qu’elle vient te donner, qu’elle pose sur ta bouche, ton visage encadré par sa poitrine et ton nez au milieu, grotesque mais terriblement excitant, et puis c’est aussi l’occasion d’aller au delà de tes complexes, car oui, les garçons aussi sont complexés, la taille de leur bite, leur abdominaux ou la forme de leurs genoux, si tu as la chance de tomber sur une grosse qui accepte son corps, tu vas prendre une vraie leçon, tu vas arrêter de te poser des questions sur la validité de ton physique, tu vas t’abandonner, oublier ton corps pour mieux le sentir, le faire vivre vraiment, débarrassé de ton cerveau qui arrête de penser, juste l’animalité de ce corps préhistorique, callipyge, busté, Vénus Hottentot de tes fantasmes.

Je ne cherche surtout pas à faire une apologie du gros, je trouve les femmes plus minces que moi parfaitement baisables, j’aime autant les hommes maigres, minces ou gros, je veux juste te convaincre qu’il y a du beau, du capiteux, de l’érotique, quelque chose qui pose question à ta queue, quelque chose de libérateur aussi, de politique peut-être, quand tu choisis de bander pour une grosse, tu bouscules l’ordre établi, même en secret, juste pour toi.

Abbas.

Abbas est pakistanais, il a 55 ans, et c’est mon collègue préféré. Il travaille dans le sentier depuis 30 ans, depuis qu’il est arrivé en France, il est marié depuis 30 ans aussi, il a des filles qu’il essaie de marier sans succès, mais il va y arriver. Abbas prie dans la petite salle derrière l’entrepôt, il transforme les chiottes tristes en lieu d’ablution, y’a de l’eau jusqu’au plafond et il se contorsionne pour atteindre ses pieds, mais il prie, tout les jours, qu’on soit dans le jus ou qu’on ne glande rien, que ca soit l’heure de la réunion ou d’un truc important, Abbas prie.

Abbas a l’habitude du sentier, de la manière dont on parle, de la manière dont on se vanne, des putes qui bossent sous nos fenêtres et dans notre immeuble, il connait tout ca par cœur, les heures ou tu peux livrer du tissu sans prendre une contravention, les boys qui trainent sur le boulevard à la recherche d’une course à faire, d’un petit boulot, les coupeurs itinérants, les fournisseurs qui t’arnaquent toujours de quelques mètres ou de quelques pièces, il me prévient, il m’apprend le vocabulaire si particulier à ce tout petit milieu, les usages et les gens biens, les boutiques qui grugent au détail et celles qui te feront un prix, Abbas, c’est mon encyclopédie, il déchiffre les factures qu’on m’envoie sur des morceaux de papiers froissé, il parle pakistanais avec les boys, anglais avec les russes, français avec tout le reste, il sourit toujours, quand je lui demande comment il va, il répond toujours très bien, invariablement, même le lendemain du décès de son frère, quand il a fait 800 kilomètres dans la nuit pour aller voir sa belle sœur, Abbas va bien.

Abbas essaie parfois de faire des blagues un peu grasses, pour rentrer dans une discussion, pour avoir l’air, mais tu sens bien que c’est pas son truc. Quand il prépare les commandes pour nos clientes, il colle avec précision l’étiquette sur le carton, et je l’entends psalmodier les prénoms de celles à qui il destine ce colis, Sophie, Julie, Valérie, il rend ce petit geste répétitif et pénible très personnel, presque amoureux, parfois il rajoute qu’il espère que tu seras contente, qu’il a bien préparé ton colis, et qu’il est très content, à chaque paquet qu’il envoie c’est un nouveau prénom, un nouveau soupir, une nouvelle histoire qu’il invente. Je l’imagine parfois en livreur très particulier, père Noël exotique pour cliente esseulée, avec sa barbe blanche impeccable et ses chaussures toujours cirées, sonner à une porte et voir enfin cette femme pour qui il a préparé si minutieusement le paquet, lui remettre et partir, heureux. Parce qu’Abbas n’est pas libidineux, c’est un homme à l’ancienne, il m’appelle mademoiselle et il m’apporte toujours un café, il me demande toujours si j’ai assez chaud, si j’ai besoin de quelque chose, il porte mes colis et me tient la porte, Abbas c’est le charme un peu désuet, un peu comme son odeur d’eau de Cologne discrète, le mouchoir repassé et plié glissé par sa femme dans sa poche qu’il t’offre, la gamelle usée en fer blanc qu’il apporte tout les jours.

Parfois Abbas s’énerve, parce que son métier est difficile, parce que la charge de travail est importante, parce qu’il a perdu quelque chose ou parce qu’il est fatigué, alors il se parle tout seul, il s’encourage, il se calme, allez Abbas, ca va aller mon vieux, tu vas voir, encore trois coupes, encore 30 pièces à monter et c’est fini, allez mon vieux Abbas, du nerf, je l’entends, et quand je lui dis qu’il perd la tête, il sourit et il me dit que c’est de ma faute et que je suis trop belle. Abbas, il est comme ca, même si il souffre, j’entends ses longs coups de fils, et sans rien y comprendre, je devine qu’il se passe quelque chose de grave, c’est toujours toi qu’il va mettre en avant, complimenter, aider, il a assez de force pour ça, il en a trop vu pour se laisser faire, parfois il raconte les montagnes au Pakistan, le gens qu’il a laissé, l’envie de retourner, pour des vacances peut-être, et l’angoisse de ce qui s’y passe, sa maison qui a brûlé, mais Abbas va bien, Abbas va toujours bien.

(NSFW)

Je suis à genou et j’attends.

Les mains derrière le dos, les seins sortis de mon soutien gorge, la jupe remontée, la tête baissée, je regarde mes genoux s’écorcher sur la moquette vieillie, j’attends l’ordre d’après, je ne dois pas croiser son regard, c’est interdit, il y a des règles, des ordres, des codes à respecter, des positions réglementaires, tu ne croises jamais les jambes, tu baisses toujours ton regard devant lui, tu ne portes pas de pantalon, pas de culotte non plus, tu dois toujours être disponible, te laisser fouiller dans les endroits les moins sombres, au restaurant il choisit pour toi sans même te demander ton avis, si tu commences à manger sans demander la permission, son regard change et tu sais ce qui t’attend, sa main fouille violemment ta chatte, sans préavis, tord ton clitoris entre ses doigts, ca pique, ca fait mal, mais tu l’as mérité, tu as désobéi, les clients observent la scène, gênés et voyeurs, quand il a fini il te fait laper sa main, pour t’afficher un peu plus, toi t’as plus faim, t’as juste trop honte pour relever la tête de ton assiette, il a gagné.

Parfois la torture n’est pas physique, n’est pas publique. Les yeux bandés, dans une pièce close, nue et entravée, pas un bruit autour de toi, t’as tellement peur que c’est excitant, une demie heure que tu attends, tu commences à avoir mal, les cordes entaillent ta peau quand tu bouges, mais surtout il y a peut être quelqu’un qui t’observe, sans que tu le saches, sans que tu le devines, parfois tu crois entendre quelqu’un respirer, mais rien ne se passe vraiment, la porte s’ouvre, se ferme, tu penses que tu vas être délivrée, d’une manière ou d’une autre, par la force ou par la douceur, pas de scenario écrit à l’avance, en tout cas si il y en a un tu ne le connais pas, tu es livrée, offerte, impuissante et consentante, le bruit de ses pas te ferait presque jouir si tu n’avais pas si peur, et si il n’était pas seul, et si ils étaient plusieurs à profiter de ce spectacle grotesque, à se branler sur la mise en scène de ton corps qui déborde de tes liens, bien sur c’est impossible, il sait que c’est impossible, mais si il l’avait fait, si il avait pour une fois été plus loin que d’habitude, comment tu réagis, est-ce que tu te laisses faire ou est-ce que tu te barres, à quel point assumes tu tes fantasmes connasse, et qu’est ce que tu fous là, soudain tu penses à tes parents dans la pièce et t’as envie de gerber, tes sens se barrent en couilles et tu entends tout et n’importe quoi, dans le noir à travers le tissu tes yeux inventent des formes, des hommes qui n’existent pas, il ne se passe toujours rien, juste ton imagination qui te fait peur, qui te fait vivre l’enfer, lui il t’observe, il jouit ton angoisse, de tes sursauts quand il s’amuse à marcher sur le parquet qui grince. Il ne se passe rien. Il ne se passera rien.

Dans la journée il t’appelle, te donne des ordres, à n’importe quel moment, n’importe quoi, va dans les chiottes de ton travail, branle toi, fais moi écouter, dis mon nom, ne te lave pas les mains, garde l’odeur de ta chatte sur toi, l’odeur rance et coupable de ta mouille qui sèche, l’impression que tout le monde sait, que tout le monde sent, la honte encore, terrible, délicieuse aussi, parfois tu triches et tu te laves les mains, en secret, mais là aussi tu as honte, tu trahis, tu avoueras la prochaine fois, et tu paieras, il pousse le vice jusqu’à te laisser le choix, ses mains, un journal, sa queue au fond de ta gorge pendant qu’il t’écrase le nez pour t’empêcher de respirer, parfois tu pleures tellement tu t’étouffes, mais il continue, c’est ta punition, et tu l’as choisie, cercle vicelard, il t’a fait avouer tes pires envies, et maintenant il joue avec toi, il te pousse plus loin, il te force mais tu ne résistes pas, parce que tu as tout dit, confessé, avoué, que tu es liée par un contrat stupide, tu lui as donné le contrôle de ta chatte, de ton cul, de ta bouche, qui tu baises et qui tu suces, la fréquence de tes orgasmes et ta façon de s’habiller, tout est à lui, tu es un objet, tu ne penses plus, aucune décision à prendre, c’est reposant, c’est presque mieux, juste te laisser faire, comme un animal pleurer quand ca fait mal et hurler quand c’est trop dur, trop bon ou trop loin, juste tes réflexes et rien d’autre, machine à jouir, petite conne qui voulait voir, fille perdue, cul strié des traces de sa main.

Impossible légèreté de l’être.

Putain ce soir je voulais écrire bonheur, j’avais pris des bonnes résolutions, ca suffit de parler de chatte et de fion, je voulais écrire joli, je voulais écrire léger, je voulais parler d’un dimanche au soleil quand tu bois trop de rosé, quant ta tête devient coton et que tu bouquines sans arriver à lire, que t’es avec tes potes et que le temps passe vite, mais lentement, que t’as mal à la tête mais que t’es heureux, parce que la vie est douce, parce que tout va bien, parce que tu penses à rien, qu’il n’y a que l’instant, pas de lundi dans ta tête, pas de responsabilités, de dilemmes, de choix, rien à penser, rien à dire d’ailleurs, juste allumer ta clope et regarder les autres parler, contemplation muette d’un truc presque parfait.

Y’a une expression en anglais que j’aime bien, la déprime c’est un chien noir, y’a un bouquin d’ailleurs ”shoot the damned dog”, où l’auteur raconte sa déprime, sa descente dans le magma dégueulasse du rien, et la manière dont elle survit. J’ai abattu mon gros chien noir il y a quelques années, après avoir passé six mois enfermée chez moi à attendre, littéralement, la mort. Je me souviens encore des minutes sur mon réveil, chiffres rouges qui s’arrêtent, le temps ne passe pas, tout est figé, ton cerveau ne répond plus, tout est une épreuve, te lever, te laver, téléphoner, impossible, position latérale de sécurité pour ton cortex, tu es au bord d’un truc bien laid et tu te regardes sauter, mais tu n’en finis jamais de sauter, pas de loi de la gravité dans la dépression, tu sais quand tu sautes et tu pries pour t’écraser, parce que si tu t’écrases c’est fini, tu peux enfin passer à autre chose, ne plus avoir le vertige, ne plus rien ressentir, couper au cutter tes terminaisons nerveuses, découper tissu par tissu la membrane qui entoure ton crâne et recommencer.

Ce soir le chien noir est de retour, enfin pour être vraie, son fantôme se balade quelque part, pas assez mal pour avoir peur vraiment, juste assez pour me rappeler sa présence, ce truc latent en toi qui refait surface, prêt à t’en foutre plein la gueule, te balancer en boucle les images de tes manques, de tes souffrances, film gore et pathétique de ta vie ordinaire, caméra à l’épaule, poltergeist du passé, et si seulement t’avais pu dire quelque chose, si seulement tu avais crié plus fort, si seulement tu étais moins conne, moins naïve, moins sensible, si tu t’étais écoutée, et si on pouvait changer est-ce qu’on ne referait pas exactement les mêmes erreurs finalement, est-ce qu’on ne reprendrait pas les mêmes chemins foireux, parce que t’es faite de ça, aussi, parce que tu te construis contre, si on te retire tout ça, finalement qui tu es, à quoi tu sers.

Je ne crois pas qu’on décide d’être heureux, je crois qu’on prend ce qu’on peut et qu’on gueule en attendant que ca recommence, peut-être que ce soir j’ai juste envie d’arrêter de gueuler, pour exister, pour me faire remarquer, pour ne pas qu’on m’oublie dans un coin, enfermée à la cave comme quand j’avais 8 ans par mon père qui avait soudainement oublié que j’existais, tu frappes sur la porte décatie et personne ne t’entend, pourtant dehors ca bouge, juste derrière cette putain de porte, il y a des gens, tu hurles et personne ne t’entend, tu pleures mais ils sont occupés, tes poings dans la porte, au bout d’un moment tu arrêtes, parce que ca ne sert à rien, parce qu’ils se souviendront que tu es là, peut-être, et qu’ils ouvriront la porte, tu n’as plus qu’à attendre, résignée, gelée, assise sur la plus haute marche de l’escalier, l’oreille collée au panneau d’agglo qui part en miettes, j’ai attendu une heure, une heure c’est rien, mais je m’en souviens, mythe fondateur de l’histoire de mes manques, je ne veux rien oublier, et je ne veux pas qu’on m’oublie, jamais, en bien, en mal, je veux prendre de la place alors je grossis, lutte pour la survie, plus tu occupes l’espace et plus on te voit, plus on te remarque, et si on te crache dessus tant pis, au moins tu existes, on te reconnait, tu es la grosse fille de quelqu’un, la grosse copine, tu n’es plus rien.

Tout à l’heure j’irai bien, et j’aurai chassé le fantôme du chien noir, j’aurai changé de playlist, d’humeur, tout va bien, tout ira bien, et même si ça foire, si tout devient plus noir, plus trouble, plus pénible, je sais que j’irai bien, parce que j’ai un putain de chien noir au cul, qui vient dans mes rêves la nuit et qui m’emmerde toute la journée, qui me force à réaliser que le pire est peut-être passé, qu’on survit, à tout, même à ce qui t’as tué, un peu, un morceau de toi, ca repousse, ta carapace s’endurcit et tu prends du plaisir à te sentir mieux armée, moins fragile, demain sera peut-être meilleur, peut-être pas, mais toi t’es là.

Les lunes.

Souvent elle a l’air d’aller bien. La tête calée par un coussin, elle zappe, elle boit du thé, elle m’engueule parce qu’il fait froid et que je n’ai pas de gants, elle me dit de descendre sa poubelle et que je travaille trop, elle allume une cigarette et elle parle de sa journée, ce qu’elle a vu et à qui elle a parlé, le prix des tomates qui baissent, les travaux en bas de la maison, les enfants des voisins qui crient un peu trop.

Alors, pour un instant, j’ai l’impression qu’elle va bien. Je m’assois à côté d’elle et je lui prends la main, je raconte les choses qu’elle n’a pas pu voir, la foule des soldes boulevard Haussmann, le RER qui flanche, encore, les nouvelles de la famille sur Facebook, ce que je fais maintenant, mon patron qui crie autant qu’il m’adore, Abbas et son Nescafé à 15h, les tissus, ce que j’aime en ce moment, les vacances qu’on prendra peut-être bientôt. Et elle m’écoute, je la fais rire, elle fait tomber la cendre sur le parquet et elle la balaie en dessous du canapé, pas vu pas pris, elle m’embrasse et me demande ce qu’on mange ce soir, elle dit qu’elle a froid et je lui apporte la couverture bleue.

La chambre n’est qu’à quelques pas pourtant. Un petit couloir, trois pas en avant, prendre la couverture, sortir de la chambre, le petit couloir. Quelques pas, quelques secondes, la couverture dans la main, je parle toute seule maintenant.

Son regard s’est éteint. Sa bouche a pris le rictus que je connais, celui qui annonce les crises, les hurlements, les insultes, les soirs où elle ne me reconnaît pas, la cigarette finit de se consumer entre ses doigts et elle oublie qu’elle fume, elle oublie le geste qu’elle aime tant pourtant, porter la tige à ses lèvres pour en dégager une fumée épaisse qu’elle recrache parfois par le nez, je suis un dragon ma chérie, regarde, elle a oublié et la cendre rouge la brule, ses doigts ne bougent pas, son corps est ailleurs, il ne répond plus, ni au chaud ni au froid, ni à la douleur ni à mes baisers, je suis obligée de prendre sa main dans la mienne pour lui arracher le mégot brulant des doigts, elle me demande qui je suis, ce que je fais là.

Les soirs où je n’existe plus sont difficiles. J’ai essayé longtemps de lui rappeler, de lui prouver par des déductions simples qui j’étais, sa fille. Les albums photos de sont jamais loin de moi, ma carte d’identité non plus. Ca ne sert à rien. Dans quelques heures elle se souviendra, elle aura oublié qu’elle m’a oublié, et je n’aurai pas la cruauté de lui rappeler, je dirai comme d’habitude que tout s’est bien passé, qu’elle a fait la vaisselle après le diner, qu’elle a pris ses médicaments, qu’elle est allée se coucher seule et que je suis rentrée chez moi. Je ne dis plus ses insultes, les coups parfois, les hallucinations, ses obsessions, je ne dis plus comme je la porte à son lit, assommée par les psychotropes, le corps mou et la tête, le menton en avant, qui se pose sur sa poitrine, comme un bébé, trop faible pour la supporter, je ne dis plus ses cris la nuit, qui me réveillent quand je m’endors sur le canapé, les pompiers et les séjours ailleurs, je ne dis plus rien, ca ne sert à rien.

Je ne me les dis même pas à moi. Alors je les écris, je les dessine, je les hurle, je découpe des mots que je colle un par un, je raconte l’histoire anonyme de ma mère en prenant les mots des autres, je mets ces bouts d’elle et moi sur du papier, pour ne pas oublier, qui je suis, qui elle est, d’où je viens, ce que je fais et ce que je cauchemarde, la folie des autres te rentre dans la peau, elle devient le prisme de lecture de tes journées, le téléphone qui sonne et les questions irréelles qu’elle te pose, sa toute petite voix dans l’écouteur, et toi tu es loin, tu es si loin, tu te demandes si elle délire ou si elle a raison, si le feu est vraiment en train de prendre dans la cuisine ou si c’est une hallucination, tu apprends à faire le tri, à pardonner encore et encore, et parfois dans la crise la plus noire, des accents incroyables de tendresse, quand j’ai l’impression qu’elle me voit enfin, quand elle serre ma main quand elle s’endort, quand au matin je trouve son sms, bonne journée ma chérie, couvre toi bien, il fait froid et tu n’as pas de gants.

La fille que j’aime.

La fille que j’aime est plus belle que moi. Ses cheveux d’abord, noirs, sa peau très blanche, le goût des crèmes qu’elle passe sur ses mains, la lourdeur de ses seins, sa bouche en cœur, sortie tout droit d’un dessin animé, qu’elle colore parfois de rouge ou de rose. Ce qu’elle dit est souvent drôle, intelligent, les mots qu’elle choisit sont parfaits, ni surfaits ni idiots, ils expriment tout à fait ce qu’elle veut dire, sans trop en faire, sans moins en dire, parfois elle marque un temps de silence, comme si le choix était primordial, comme si c’était un acte fort que de faire une distinction entre deux verbes, deux adjectifs, sa respiration se coupe une seconde, et soudain elle parle, parfaitement. Quand elle parle, je me tais, parce que sa voix est précieuse, la fille que j’aime, je ne la vois pas souvent, et j’enregistre tout ce qu’elle dit, je le cache dans un recoin pour plus tard, pour quand elle sera partie, et je l’écoute en boucle dans ma tête, petits bouts par petits bouts, avec gourmandise, ne rien gâcher surtout. La fille que j’aime a eu des amants, beaucoup, elle m’en parle souvent, je lui raconte les miens, mais je suis jalouse de ces hommes qui la touchent et qui la font jouir, cet inconnu croisé quelques minutes à qui elle donne son corps, alors que je suis là, juste à côté, depuis des années, à la regarder vivre, et que je ne suis que la fille qui regarde la fille qu’elle aime.

La fille que j’aime a la peau douce, si douce que parfois je ne fais plus la différence entre son ventre et ses cuisses, je me perd dans son corps, mes mains ne savent plus lire, ses grains de beauté me retiennent, un à un, sur sa cuisse, sous son sein droit, repères de chair, quand je la touche c’est comme un prolongement de moi, son ventre contre le mien devient le notre, mes seins contre les seins deviennent trop de chair, quand je prends son téton dans ma bouche, quand je l’entends qui respire un peu plus vite, un peu plus moite, je deviens presque un homme, j’ai l’angoisse de la performance, comment faire pour faire jouir la femme que j’aime, où la toucher, où l’embrasser, comment aime-t-elle que je la prenne, mes hanches se heurtent aux siennes, va-et-vient, comme si je cherchais à la pénétrer d’un invisible pénis, ses fesses nues dans mes mains, comme un animal je la cogne contre moi, j’envie les hommes de pouvoir la posséder, je sais qu’elle a envie d’être prise, d’être pénétrée, mais je ne peux rien faire, pas de plastique entre nous, seuls mes doigts qui descendent pressés vers sa chatte, j’oublie le mode d’emploi, je plonge directement en elle, violente de l’envie d’être en elle, et quand elle se cambre je me cambre avec elle, je la repousse sur le lit et je recommence, encore, ma langue aussi, dure contre son clitoris, mes doigts entre sa chatte et son cul, la femme que j’aime aime les garçons mais se laisse faire parfois, me donne parfois son corps dans un instant qu’on fera mine d’oublier demain, rien n’existe, ni nos amants, ni toutes les queues du monde, il n’y a que son corps qui compte, la femme que j’aime est égoïste, elle se laisse faire, indolente, étendue, belle et molle, malléable dans mes mains, la femme que j’aime me rend folle sans me toucher, c’est son odeur qui me rend ivre, qui me rend dingue, ses mains ne quittent pas ses cheveux, les bras repliées derrière sa tête, elle me regarde faire, et quand elle a joui, elle me prend dans ses bras, et me dit à l’oreille de me faire jouir, elle me serre contre elle, mes fesses contre son ventre cette fois, ma main entre mes cuisses, ses doigts dans ma bouche, je jouis à en hurler, parce que la femme que j’aime est cruelle, parce qu’elle ne me touche pas et que j’en crève un peu, parce que demain elle repart et qu’elle m’embrassera sur la joue, tendre et condescendante, de voir la fille qui l’aime la vouloir encore, s’accrocher à son bras pour ne pas la laisser partir, son regard déjà ailleurs, le mien encore entre ses cuisses.

Corps étranger

Je fête en ce moment ma deuxième année de vie sans boulimie. Et je ne suis même pas heureuse. Pourtant, les gens, ceux qui savent, sont contents. C’est bien vous progressez, vous ne ressentez plus le besoin de vomir, c’est un grand progrès. Mon cul.

Je ne connais pas de plus grand bonheur que celui d’une crise de boulimie.

D’abord la frénésie. La pulsion. Faire les courses dans un état second, visite du supermarché sous adrénaline, choisir les produits préférés, ceux qui glissent, qui ne blessent pas, le Nutella, la brioche industrielle molle, les pâtes juste un peu trop cuites, l’eau à la fraise, le chocolat, les bonbons, les gâteaux mous, remplir le panier rouge de plastique de ces produits défendus, interdits par des années de lavage de cerveau diététique, ne rien oublier surtout, la machine est lancée, passer à la caisse vite, payer sans regarder la caissière, rentrer rapidement, courir presque, balancer les clés à travers la pièce, se ruer dans la cuisine pour faire bouillir de l’eau, commencer à ouvrir les paquets, manger un premier Snickers, vite, trop vite, un second, ouvrir la brioche, engloutir le paquet tartiné de Nutella, finir le Nutella, passer aux bonbons, sans les mâcher, juste les faire fondre un peu et les avaler en entier, égoutter les pâttes, le beurre, le fromage, les manger rapidement, ne pas oublier de boire, encore et encore, avaler le kilo de pâtes sans respirer, plus vite, avale connasse, c’est bientôt fini, les chips ensuite, mâche connasse, mâche, tu n’en peux plus, tu vas exploser, bouffe encore, du pain trempé dans du lait, les restes d’hier, bouillie informe dans ta bouche, tes dents qui broient sans réfléchir, trois kilos de bouffe dans le bide, ca a de la vie, tu es lourde, encore plus que d’habitude, tu es fatiguée.
S’asseoir par terre, dans la cuisine, à même le sol, au milieu des emballages et des déchets, fumer une cigarette, sentir le magma chaud qui commence à vivre dans ton ventre, commencer à penser à vomir, chercher le meilleur instrument, ta brosse à dent, une fourchette, une baguette, ce qui va te permettre d’expulser le plus rapidement, de déclencher le plus violemment la gerbe, finir la bouteille d’eau à la fraise, sentir le liquide se frayer un chemin dans la bouffe à l’intérieur de toi, passer dans les interstices libres, s’installer pour mieux te délivrer.

Se déshabiller, rituel, s’attacher les cheveux, saisir la brosse à dent cette fois, s’agenouiller devant les toilettes, enfoncer la brosse à dent côté poils au fond de ta gorge, après la glotte, à droite d’abord, pas de réaction, à gauche ensuite, tu tousses, rien ne vient, la panique s’installe, et si tu n’arrivais pas à vomir, si ton corps se refusait, si tu n’avais pas assez mangé, pas assez bu, pas respecté à la lettre le rituel préparatoire, si tu restais là, nue dans tes chiottes, une brosse à dent usée à la main, si tu crevais là,  que vont penser les pompiers, sombre conne obèse décédée d’avoir trop bouffé, reprendre la brosse à dent, l’enfoncer plus fort cette fois, contracter ton ventre, et soudain, enfin, la boue, la gerbe parfaite, elle glisse dans ta gorge et s’accroche mollement aux parois des chiottes, éclabousse ton visage mais tu t’en fous, le goût du sang dans ta bouche, tu saignes mais tu continues, tu vomis, les étapes de ton repas, avec ce goût d’eau à la fraise, les chips d’abord, qui écorchent ta gorge, lames de rasoir, les restes au goût encore reconnaissable, les pâtes, le sucré, le Nutella couleur merde, les bonbons encore acides, tu as réussis, il en reste encore, tu finis avec tes doigts, enfoncés jusqu’au fond, deux d’abord, presque la main ensuite, comme pour aller chercher ce qu’il reste dans ton estomac, jusqu’à ce que tu sentes ton ventre demander pitié, ce pincement familier, signe que tu es vide, que ta crise est finie.

Dernier rituel, tu laves ton visage souillé, tu te rhabilles, tu te fais un thé, le plus noir possible, tu es essoufflée, fatiguée, usée, les yeux exorbités, rouges, tu craches du sang un peu, le thé brûle, mais il te purifie, ton estomac vide se crispe à la rencontre du liquide bouillant, tu es enfin propre, tu allumes une cigarette, tu nettoies les preuves du passage de la bête, tu balances le sac poubelle sur le palier, rien n’a existé, tu te poses dans le canapé, tu finis ta clope, la tête vide, aucun angoisse, rien pour te perturber, juste ton ventre vide et ton esprit rassasié.

Grosse féministe