On sait tous comment fonctionne une entreprise commerciale, il y a toujours la même équation (quelque chose à vendre) + (quelqu’un pour le vendre) + (une tactique marketing) = bénéfice. Je suis donc toujours surprise de voir la grande famille des blogueuses et des influentes associées tomber dans le panneau du Secret Square,cette boîte à Strip Tease parisienne, si bien vendue par sa RP qu’on pourrait la confondre avec le deuxième cercle des Enfers d’un Dante en porte jarretelle en cuir, où une Cléopâtre complètement bourrée vous accueillerait en déguisement d’infirmière avant de se frotter la chatte contre votre costume rayé laine super 100. Vous n’êtes plus cet homme mû par son envie et sa capacité à payer pour qu’une jolie femme secoue nonchalamment sa poitrine sur votre nez, vous êtes un esthète du genre, vous aimez les jolies choses, et c’est tout naturellement que vous accourez au Secret Square, « temple » du bon goût et de la non-vulgarité, si l’on en croit les descriptifs du site. Non, le Secret Square n’est pas vulgaire, il est obscène, dans sa manière de se servir de l’imaginaire d’une sexualité libérée, d’un endroit où tout peut arriver, alors qu’il s’agit tout simplement d’un bar à bouchon glorifié. Il est au summum de la vulgarité lorsqu’il fonde toute son approche commerciale sur « le respect des femmes », la luxure chic, la valorisation de la femme, alors que l’unique but recherché est la vente d’alcool,de repas « aphrodisiaques » et de lap-dances.
Ce qui frappe quand on visite le site de cet honorable établissement, c’est la différence entre les mots et les images. Le discours est accueillant, on tisse les métaphores du cul, on se donne du porno-chic sans le dire, on chante l’hymne de la femme, on valorise, on encourage les physiques différents, on est néo burlesque, on est aphrodisiaques, on vient seul, en couple, entre amis, en tout cas entre gens de bonne compagnie, versés dans l’art discret de la stimulation pénienne à travers string. Les mots parlent peut-être aux femmes, à celles qui hésitent encore, à celles qui veulent se renseigner, on prépare le terrain, on crie à la décence, on se protège. Et puis il y a les vidéos, le démonstrations des danseuses, les images d’ambiance. Et là, tout change. Les filles qu’on vendait comme sensuelles se frottent le pubis en gros plan, la lingerie est cliché, les déguisements risibles, les regards dignes d’un film pornographique, elle est à quatre pattes, elle cambre le dos et bouge ses fesses tout en jetant un regard par dessus son épaule, on l’imagine sans effort en train de sucer des bites à la chaîne, et c’est exactement le but de ce média, provoquer le désir, et jouer sur l’ambiguïté vieille comme le monde, jusqu’où cette fille est-elle prête à aller ? Officiellement, elles ne vont pas plus loin, jamais, le service de sécurité veillant à la fois sur la sécurité de filles (les clients confondent parfois les métiers de service, entre call girl et effeuilleuse branchée), mais également sur la morale de la maison, au moindre dérapage, l’établissement tombe sous le proxénétisme hôtelier. Officieusement, tous les clubs de strip de Paris sont sous la surveillance paisible des forces de Police, et sont parfois sanctionnés.
Dans un club de strip, aussi chic, aussi « velours-tentures-maisons-closes » soit-il, on retrouve toujours le même fonctionnement : une armée de danseuses se relaie sur des podiums le temps d’une chanson. Non, ce n’est pas par amour de la danse, de la fête, ou parce qu’elles sont soudainement tombées amoureuses de vous, elles effectuent simplement leur tour de promotion. Le club espère que c’est en admirant les demoiselles se déhancher sur des tubes cheaps que vous aurez envie d’acheter les fameux tickets de danse, 15 euros pour qu’elles viennent se frotter, mais pas trop, 30 euros pour qu’elles le fassent nues et dans une salle privée. Les filles travaillent aussi en salle, quadrillant le club, souriant aux messieurs, plaisantant avec les dames, flirtant avec tous, afin que vous achetiez une danse avec elle. Les danseuses sont en effet généralement rémunérées directement fonction du nombre de tickets vendus et dépensés pour leurs faveurs. Dans certains clubs, elles paient même un droit d’entrée à l’établissement pour venir exercer, et sont donc complètement dépendantes de leur facilité à vendre leur cul, pardon, leur secouage de cul. Elles doivent s’assurer de garder de bonnes relations avec la personne chargée de vendre les tickets de danse : les clubs préfèrent en général garder une comptabilité propre en dévouant cette tâche à une sorte d’ouvreuse sexy, chargée de démarcher les tablées et de proposer les services des danseuses, tout cela dans la finesse et le bon goût, bien sur. Sa fonction d’agent double, à la foi comptable, chef de partie, bodyguard de danses privées et commerciale pour le club, et de RP pour les danseuses, fait d’elle un des personnages central de la salle de strip. On retrouve donc le schéma classique ouvriers, contre-maître, direction, avec la pression supplémentaire d’un salaire basé en trop grande partie sur les commissions directes. Mais après tout, on a tous travaillé dans des boulots merdiques, et entre frire des burgers ou danser autour d’une barre, après tout pourquoi pas, la pudeur ne se situe pas pour moi dans l’étalage de viande, mais dans la façon de se laisser cuire.
Revenons donc à nos influentes blogueuses, effeuilleuses du dimanche, persuadées que l’invitation gracieuse à venir shaker leur boule sur un podium, habillée de lumière comme une fille du Lido sans en avoir la taille requise, va leur permettre d’accéder à une nouvelle dimension de leur féminité, le dépassement de leurs complexes, et plus généralement, l’avènement d’une révolution de leur utérus, ou je ne sais quoi d’autre d’extraordinaire. Il faut dire que c’est tellement bien vendu, on aurait envie d’y croire, Le Bal des Débutantes, comme pour les jeunes filles nobles, on ferait son entrée en luxure et en féminité au Secret Square comme on faisait son entrée dans le monde jadis. Coachées par les danseuses, saoulées de shots d’alcools au préalable par la RP, elles ont donc l’immense privilège d’accéder à la barre métallique senteur anus pendant environ 5 minutes, sous les regards émerveillés de leurs époux, amants, fans et followers. C’est le couronnement d’une vie de princesse paillette, et rien ne pourra salir ces souvenirs enchanteurs, pas même ce triste constat : vous venez d’imiter gratuitement au nom de votre cul des danseuses professionnelles salariées, et pour le prix d’un repas offert, vous avez été le temps d’une soirée l’excuse pour faire vendre des cocktails hors de prix. Quelle belle aventure humaine, que de devenir panneau publicitaire ambulant et mouvant, je crois que c’est ce qu’on dit dans ces cas là, quand on est trop consterné pour dire autre chose. Quelle belle réussite de la part des RP de Secret Square qui ont su exploiter les nanas 2.0, leurs failles narcissiques ou leurs égos surdimensionnés.
Je vais être claire, je n’ai rien contre les strip teaseuses, les danseuses, les burlesques, les neo-burlesques, les naturistes en boîte de nuit, et autres consoeurs sans habits. Je n’ai rien non plus contre l’industrie du divertissement pour adultes. Ce qui me donne envie de brûler mes nippies, ce sont les techniques de commercialisation mises en place pour s’assurer l’amortissement de sa Licence IV, et la crédulité des femmes qui se laissent manipuler par cette idée normative de l’érotisme et de la sexualité en pack, l’érection la plus tendance de Paris est au Secret Square, quelle tristesse. Et l’adjectif burlesque, qu’on colle maintenant à toutes les sauces, j’attends le PQ burlesque imprimé léopard-sequins prochainement, qui ne veut plus rien dire, le burlesque goût Aspartam, sans aucune autre revendication que celle d’être la plus belle, le burlesque associé à Cointreau, le burlesque niqué des adolescentes tatouées aux cerises, le burlesque associé sur la même page à l’enterrement de vie de garçon, institution red-neck glorifiée, comme le Secret Square finalement, copie glorifiée malhonnête des Hustlers et des Hooters, juste un peu de paillettes et de dorure, pour une poignée de dollars de plus. Hustler, justement, l’autre visage du strip à Paris, juste des filles qui tournent sur une barre et des mecs qui paient, sans community management, sans blabla, sans mensonges aussi. Je préfère.