Les gens qui n’existent pas

Les amis qui n’existent pas ne sont pas vraiment des amis. Ils ne t’ont jamais vu rire aux éclats et avaler du coca par le nez. Ils ne t’ont jamais ramassé en pleurs après le dernier SMS de ton ex. Ils n’ont jamais monté de tente bourrés dans un camping plein de hollandais. Pourtant les amis qui n’existent pas là sont toujours là, avec leur présence étrange, à portée de clics ou de textos, avec un avis sur tout, une blague foireuse ou un gif qui clignote. Les gens qui n’existent pas sont dans mes rêves parfois, leur têtes se détachent de l’écran de mon cerveau comme leurs avatars, des ronds copiés collés à des corps empruntés. Les gens qui n’existent pas travaillent, font de la musique, écrivent, se marient, disparaissent, font des enfants,  et meurent parfois. C’est compliqué de  porter le deuil de quelqu’un qui n’existe pas. Ou plutôt, ca devrait l’être. Qu’est ce qui nous attache si fort à ces identités floues, à ces 140 caractères, à ces mails qu’on échange avec ces inconnus ? La part du coeur sans doute, aussi niais que cela puisse être à dire. La partie qu’on planque derrière le cynisme et le LOL, la part de vérité qu’on laisse exister comme un courant d’air malvenu, qu’on cherche à dissimuler pour ne pas se laisser bouffer.

Peut-être que le deuil de ces amis imaginaires est le plus pur de tous. On ne pourra pas reprocher de pleurer pour nous, d’avoir la peine égoïste. Les liens qui nous lient à eux sont impossible à quantifier, à décrire, à expliquer. Ils cessent de communiquer, ils sont morts, mais ils pourraient être ailleurs finalement. Ils pourraient avoir décidé d’arrêter d’écrire, de partager, de hurler ou de râler. Et puis il n’y a pas de corps dans cette mort. Il n’y a que cette avatar flottant au dessus de l’âme. Pas de main qui se crispe, pas de coup de fil terrible dans la nuit, rien de cinématographique. Ils s’en vont juste de nos écrans, discrètement, sans annonces dramatiques, sans chantages, sans heurts et sans cris. Le plus cruel du virtuel, ce sont toutes les traces que le disparu laisse. Rien n’y changera plus jamais. Plus un billet. Et quand l’hébergement cesse, tout est vierge de leur passage dans nos mondes. L’impression qu’il y a eu quelque chose de bien, mais que tout est fini. Et on passera à autre chose, dans quelques semaines ou quelques  mois. On oubliera un peu. On se racontera l’histoire de cette fille qui voulait vivre, comme un exemple de courage, on trahira un peu sa mémoire en lui donnant le rôle d’un martyr, on la fera mentir.

Au revoir Claire. Tu n’existais pas vraiment. Et pourtant ta présence a illuminé mes journées. Tu continues à exister malgré ton corps. Dans ce coin de la tête qui n’appartient à aucun logiciel, à aucun monde virtuel.

18 réflexions sur « Les gens qui n’existent pas »

  1. Merci pour ses mots…j’essuie mes larmes encore une fois aujour’hui.

  2. J’ai un grand ami virtuel connu via last.fm et avec qui je partage une passion pour la musique, il habite en Ecosse, il m’envoie des photos de ses gosses, de son bureau, de sa maison, de ses voyages, de tout sauf de sa femme. J’ai l’impression au bout de 2 ans de mieux le connaitre que bien des personnes en chair et en os, je ne fais plus la différence. C’est un ami, je ne la sens plus, la virtualité. Il n’existe peut-être pas mais je ne veux pas qu’il n’existe plus.

  3. Superbe texte et tellement vrai… ils disparaissent, sont-ils morts ou simplement désabusés du web ? Impossible de le savoir sauf si on a pu avoir leur numéro de tél avant la brisure…

    Merci beaucoup pour ce beau texte.

  4. Un robot est mort: il veut devenir humain.
    D’autres robots pleurent des larmes de mercure. Ils ne comprennent pas.

  5. Superbe texte à mi-chemin entre la narration et la poésie… je partage sur facebook… pour mes amis qui n’existent pas 🙂
    Merci

  6. Je vois ce que tu veux dire, qui est à la fois nouveau et si difficile à cerner. La matérialité de la relation d’amitié avec des êtres factices et le rapport à la nature des sentiments. On vit ça de façons différentes. J’aime assez les mots que tu mets dessus. Par contre je ne suis pas d’accord avec ton argument sur l’égoïsme au moment de la disparition.

  7. On me l’a souvent reproché mais je ne considère pas les gens du net comme inexistants. Ce serait réduire l’existence d’un être à sa proximité physique. Les gens qui retiennent mon attention sur le net sont atypiques et uniques dans leur genre. Je me dis que je n’aurais pas l’occasion de rencontrer des gens aussi riches dans ma ville. On côtoie ces personnes très régulièrement et il n’est pas exclu de les rencontrer un jour. Alors je vois mal comment on pourrait prendre à la légère la perte d’un être cher. Même si il vient de l’Internet. Bon courage.

  8. Je suivais son blog depuis 7 ans. Par hasard. Je ne connaissais même pas son nom, et ce « Claire » dans ton texte, ça me chamboule de nouveau. Avec tous ces points communs, j’aurais voulu lui écrire. Et puis savoir… si on se serait entendu, si j’avais l’esprit « à sa hauteur ». Elle m’a impressionnée, et finalement beaucoup influencée.
    Et surtout, surtout beaucoup fait marrer!
    Merci

  9. Ils existent toujours… 😉

    Merci, c’est très touchant (je devrais pas lire tout ça j’ai du mal à refouler mes larmes ce soir, je vais me faire botter les fesses par la miss ;-))

  10. Très juste.

    Que de négations sont commises chaque jour sur le refrain lénifiant du « c’est que du virtuel »…

    C’est ceux là même qui s’enferrent dans cette affirmation qui sont « virtuel »…

    Z’étaient déjà pas foutus d’appréhender le réel qui leur fouette la chair, alors des O et des 1 qui leur piquent le cerveau par écran interposé…

    En même temps, qu’est-ce que c’est « reposant » de ne plus exister pour quiconque lorsqu’on a plus qu’un souffle de vie… :-]

    Le formatage étant des plus risqué pour la matière grise, il reste toujours des giga-octets de données dans le sous-dossier « sentiments » du dossier « mémoire morte »…

    Preuve qu’il y a encore et toujours quelque chose dans cette « machine »…

    Fin bref, bien que nous ne nous connaissons ni d’eve ni d’adam(drôle d’expression d’ailleurs), je te dis merci pour ce texte. 🙂

    Adieu ô Âmeonyme ^^

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