Bovary

C’est pas de sa faute. Elle se répète ça, en boucle. Quand elle sort de la douche, quand elle couvre son corps de crème, en inspectant ses cuisses dans le miroir, assise sur le bord de son lit, les seins toujours aussi jolis, les fesses un peu moins fermes peut-être, elle est toujours aussi bonne, enfin à quelques grossesses près, les enfants c’est mauvais pour sa peau, ca lui tire la peau près des yeux, rides au coin du front, trois cheveux blancs qu’elle arrache méticuleusement. Elle voit bien qu’il n’aime pas ça, qu’elle soit restée si attirante, on la regarde un peu trop quand ils sortent, les hommes fixent sa poitrine, il serre sa main un peu plus fort, comme pour se l’approprier, comme pour lui rappeler qu’elle n’a pas le droit d’être désirée.

C’est pas de sa faute. Elle avait résisté pendant des années. Mais depuis quelques semaines, l’envie se faisait oppressante, presque douloureuse, l’envie d’être vilaine, c’est bête, l’envie de sortir pour un instant de sa vie presque parfaite, du quotidien, de la pizza du samedi soir et du coup de bite qui suivait. Être quelqu’un d’autre, pour une après-midi. Elle se mettait à rêver de chambres d’hôtels glauques, d’inconnus rencontrés sur le parking, d’un prénom qu’elle s’inventerait, peut-être même une perruque, devenir Valérie, une quarantenaire flamboyante qui se fait prendre au détour d’une allée. Les fantasmes ne suffisaient plus, ils s’incrustaient dans son quotidien, dans les embouteillages pour aller travailler, elle n’allume plus la radio, elle n’en a plus rien à foutre des informations, elle pense à Valérie, aux hommes et à leurs odeurs, elle respire mieux quand elle se sent sexuée, entière, prête à glisser, à se donner.

C’est pas de sa faute. Et puis personne n’en saura rien. Elle s’est organisée. L’après-midi posée en demi RTT, les enfants à l’école, son mari bloqué sur un chantier. L’homme qu’elle va rencontrer n’est pas d’ici, de passage uniquement, elle ne le reverra jamais, elle essaie déjà d’oublier son prénom, elle répète son nouveau prénom en boucle, elle ne veut pas se tromper. Sa seule peur, ne pas vouloir revenir. Prendre goût à sa nouvelle identité, continuer à chasser, continuer à rouler, laisser derrière elle ce qui la définit, son titre de propriété, son certificat de mariage, ses enfants, plus rien ne semble compter. Elle paie la chambre en espèces, pour une nuit, sans bagages, ca la fait sourire. Par habitude, en rentrant dans la chambre, elle allume la télévision, une cigarette et délasse ses chaussures. Elle éteint son portable, et regarde la fumée monter.