Tu peux fumer comme un monsieur des cigarettes

Debout dans le salon, devant mon public imaginaire, je tiens un récital, je donne concert, les lumières sont tamisées, c’est le moment des chansons un peu tristes, les briquets s’allument au fond déjà, je chauffe un peu ma voix, quelques mots pour les remercier d’être là, d’un geste je détache le micro de son socle, et télécommande en main je m’approche du bord de la scène, et dans un souffle je commence ma version d’un medley de Dalida, d’abord seule, les musiciens me rejoignent peu à peu, doucement sans se presser, “ma complainte c’est la plainte de deux cœurs”, je prends des poses lascives de diva essoufflée, mes mains se crispent dans l’air pour marquer le rythme lent des notes que j’égraine, la foule suspendue à ma voix se soulève, ils reprennent avec moi, “c’est la seule chanson du monde qui ne finira jamais”.

Non, ce soir je ne chanterai pas “Mourir sur scène”, j’ai l’âme gaie tu vois, je suis en pleine période Disco, j’ai mis mon marcel à paillettes, celui qui moule mes bourrelets qui refusent de se cacher, comme je m’ennuie un peu j’ai le visage peinturluré, du violet sur les paupières et du rose sur les joues, sous la lumière on ne verra rien, je serai magistrale, je serai magnifique, si je m’essouffle entre deux pas, personne ne me verra, ce concert dans ma tête c’est juste pour moi, après Dalida, sans transition je passe à Sweet Home Alabama, je suis pas encore sure de la set list, je travaille encore le déroulé parfait, il y a les accessoires aussi, cette toque en fausse fourrure me parait pour le moment essentielle, mais tout peut changer, rien n’est figé.

C’est cliché de chanter Dalida, c’est très Filles Perdues Cheveux Gras, j’en ai rien à foutre, si seulement tu me voyais, j’ai le déhanché d’une fille des sables et je secoue la tête comme si ma vie en dépendait, ma main dans mes cheveux se donne un air coquin, je suis ridicule, je suis géniale, je suis moi, je finis échouée sur mon canapé, le sentiment d’avoir vécu, c’est con, c’est rien du tout, c’est l’effet Bambino, c’est prendre le temps de faire n’importe quoi, ca donne la force de faire la queue à la Poste et de payer ses impôts, parce que je sais qu’au fond de moi, je chante aussi fort que je veux.