Tronche de cake

La tronche du pharmacien. La putain de sa tronche.

Une demie-heure de queue dans la plus grande pharmacie de ma ville de banlieue. Ca parle CMU, prise en charge, tarif d’onglerie et infection nosocomiale, on compare nos photos moches sur nos cartes vitales neuves, on s’emmerde, on touche à tout, on se grille sur la ligne. C’est long ici la pharmacie, parce que 80% des clients ne paient pas leurs médicaments, et que le patron en a un peu assez de se faire niquer sur ses paiements, alors il prend le temps, de remplir le dossier, de faire des photocopies, de vérifier les identités et la véracité des ordonnances, de s’assurer qu’il ne délivre pas du Subutex en dose létale à une camée. Moi je suis riche ici, c’est peut-être le seul endroit, je n’ai pas de tiers-payant à 100%, je paie donc ma part, avec des vrais sous sortis de ma poche, ca se fait tellement rare qu’ils oublient souvent de me faire payer, tellement habitués à délivrer les boîtes sans rien attendre dans le vide poche pose-monnaie. Je ne suis pas connasse, alors je les rappelle à ma réalité, et je dépose mes quatre euros soixante dans la coupelle clignotante aux couleurs des Strepstils.

Aujourd’hui c’est un peu différent, j’ai une ordonnance toute neuve, pleine de nouvelles molécules à tester, des gros mots qui font peur soulignés trois fois par mon médecin énervé : NE PAS SUBSTITUER. Il est comme ça, mon toubib, il a ses lubies, et il n’aime pas qu’on change ce qu’il prescrit, alors il insiste au marqueur jusqu’à en percer le carbone, tout en râlant contre les excipients et les génériques imposés. Sur mon feuillet à entête, les noms des médicaments s’enchaînent, et il ne faut pas être diplômé de la rue des St Pères pour comprendre pourquoi j’ai consulté, j’ai des petits vélos dans la tête, on cherche le meilleur moyen de les arrêter, rien de grave, rien de mortel, juste ce qu’il se doit de stigmatisant, juste ce qu’il faut à mon putain de pharmacien pour qu’il commence à me parler comme si j’avais un retard psychomoteur important. Ca m’a foutu les nerfs, j’avoue, l’attente préalable au milieu des autres clients énervés ne m’avait pas aidé, et quand il m’a demandé pour la troisième fois, baissant la voix comme si je commandais des capotes en plein Vatican, si je voulais SUBSTITUER mon médicament pour le générique, j’ai pas su me contenir, j’ai commencé à hurler, à lui vomir sa condescendance et ses conseils pour débiles dans la gueule, je pouvais pas laisser passer.

J’imagine sa gueule quand il reçoit une ordonnance pour une trithérapie, pour un schizophrène, pour toutes ces autres maladies vraiment graves, vraiment chiantes, vraiment handicapantes dans notre société normalisée. J’imagine sa voix mielleuse et ses explications connasses, à des gens qui sont juste malades, qui ont juste besoin de prendre leurs putain de médicaments, pas de se prendre un sermon de la part du vendeur de poudre de perlinpimpim, pas d’être pris pour des abrutis ou des cas sociaux. J’imagine aussi comme son attitude peut être déstabilisante pour quelqu’un qui vient chercher son traitement pour la toute première fois, encore dans l’angoisse de la découverte de son trouble et de la prescription qui l’accompagne, comme si on avait besoin de subir sa connerie en plus de ça : « Et ca va mieux avec votre petit traitement ma petite dame ? c’est fini les petites idées toutes noires ? », je te ferai bouffer ta putain de blouse blanche par le cul, si tu crois que ma déprime m’empêche de te mépriser, tu te trompes, si tu penses que je n’oserai pas te dire d’aller te faire enculer sous prétexte qu’être Pharmacien te confère le rang d’un petit notable pourri, tu te trompes aussi. Si je ne le dis pas, c’est parce que je suis polie.