Funk Funky Fresh

Quand tu viens de Sarcelles et que tu cherches à rejoindre Porte de la Chapelle, tu traverses tout un tas de banlieues. Des banlieues pauvres, avec des barres qui puent et des taxiphones miteux. Des banlieues moins pauvres, avec des petits pavillons en pierre et des écoles municipales gardées par des mamies en uniformes qui se chargent de faire traverser l’avenir de la France à l’heure du goûter. Et puis tu approches St Denis-Stade de France, à ne pas confondre avec St Denis Basilique, ces deux lieux, pourtant voisins, n’ont rien à voir. D’un côté la foule, le marché, les vendeurs à la sauvette, les paquets de cigarettes venus d’ailleurs, la Basilique, le dédale des rues et des immeubles trop bas, l’école de la Légion d’Honneur et ses demoiselles en robes smockées, le métro, ligne de vie jusqu’à Paris, ticket au tarif unique, et si tu fraudes, c’est gratuit. De l’autre, les espaces encore fantomatiques d’une zone qu’on construit, un stade énorme et turgescent vu d’en bas, ovoïde et utérin vu du ciel, l’autoroute et des maisons qu’on détruit, les cafés ouvriers qui finissent de fermer, la poussière d’un siècle qui s’accumule sous tes pieds, amiante et kérosène, n’oublie pas qu’ici sont morts sur la chaîne les maliens et les portugais, les algériens et les kabyles, usines apocalyptiques d’avant guerre, bidonvilles communautaires. Sous l’amas de béton, des milliers de composants chimiques, des polluants, des corps et des poutres métalliques, souvenirs empoisonnés du St Denis usine de France, fierté passée au sépia, programme national de dépollution des sols, et pourtant, des écoles, des bâtiments, ce qu’il y a dans la terre, ce qu’il y a dans le sang des gens.

Quand le tunnel est bouché, tu passes par le ciel, sortie directe sur l’enfer, les travaux et les constructions, sièges sociaux en pagaille, petits cadres en chemisettes perdus dans un terrain vague, cherchant à l’heure du déjeuner le sandwich et la canette qui les fera rêver, ils n’habitent pas ici, ils viennent d’ailleurs, ils ont souffert du déménagement forcé de leurs locaux dans cette zone bon marché, ils détestent St Denis, son RER qui n’arrête pas de planter, et puis il n’y a rien ici, pas d’autres habitants que ceux qui résistent à l’invasion des cols blancs, des talons carrés sur jupe crayon polyester ajustée. Tu ouvres les yeux et mentalement tu fais déja le tri, discrimination visuelle directe, ceux qui restent dormir et ceux qui partent quand la nuit arrive, pas les mêmes habits, pas la même démarche, quand tu rentres à 19h, il n’y a plus personne dans les allées, les rues sont désertées, le personnel de propreté arrive, ceux là sont pauvres, ceux là aussi tu les reconnais, ces mêmes que tu croises dans le premier métro quand tu rentres bourrée de soirée, blouse bleue claire, air propret, épuisés, toujours, les paupières lourdes, réveillés à chaque station par la sonnerie d’alerte des portes qui se ferment, puis se rendorment quelques secondes encore, jusqu’à la prochaine. Ceux là ont le col bleu, ceux là habitent St Denis, Montfermeil.

Rien ne change finalement. On a beau promettre et faire, des politiques de la ville, des efforts d’encadrement, d’intégration, d’amélioration de l’habitat, des « gestes forts », des réhabilitations, des paroles, du vent. On force les classes moyennes à visiter les villes nouvelles, les villes dortoirs, on laisse les mêmes y habiter, ceux qu’on place depuis des décennies dans les mêmes tours, dans les mêmes « résidences », parce que c’est plus pratique, on rassemble les ethnies, avec plus ou moins de finesse, avec plus ou moins de tact, on se retrouve tout de même dans un grand Paris en noir et blanc, en rose et rien, comme ce tramway nouveau qui finira de ceinturer la Ville capitale, on reconstruit les Fortifications, chacun doit rester à sa place.