La lutte finale

Partout, partout, partout, sur les sites féminins écrits par des pigistes qui rotent de la bière, dans les féminins papiers servis par des industriels de la mode et de la beauté, sur les blogs d’échangistes débutants et de mélangistes distingués, partout la même course à l’orgasme, les mêmes signes à identifier pour savoir si votre partenaire a pris son pied, la langue froide, les doigts de pieds recourbés, les gémissements et la respiration, les spasmes vaginaux et les exercices du périnée, questionnaire à choix multiple pour une obsession unique, jouir et faire jouir, avec des instruments, avec ses doigts, en parlant ou en baisant, mais faire jouir à tout prix, monter sur le podium de l’amant le plus gradé, se donner de la peine, faire des expériences, se concentrer, se renseigner, étudier sa proie et ne pas la relâcher avant qu’elle ne crie sa joie suprême, son bonheur total, son abandon sous caresses parfaitement maîtrisées. Certains ne s’en cachent pas, ils servent la même technique approuvée par une béta-testeuse à toutes leurs partenaires : cunnilingus sous forme d’alphabet, pince de crabe avec rotation du poignet, alternance savante de mouvements giratoires et de pénétrations endiablées. Le même menu, dans le même ordre, avec chaque nana, la procédure reste la même, de peur de sortir du chemin pavé de cyprine qui l’emmènera vers la reconnaissance ultime, le big O de sa victime. Technicien du cul, tu me fais sourire.

Jouir, c’est bien. C’est même nécessaire. Biologiquement, cela libérerait tout un tas de substances bénéfiques, des molécules qui font sourire, des fluides qui lubrifient l’humeur. Et plus simplement, ca fait du bien. Ca relâche les muscles après une tension, ca fait du chaud dedans, ca monte sans s’arrêter, je ne vais pas faire une description imagée de mes orgasmes, on sait tous ce que ca fait, ou plutôt, on a chacun notre manière de se laisser emporter, de se laisser vibrer à ce moment précis. Contrairement à ce que l’industrie du sexe voudrait nous faire croire, on peut le faire en silence, dans un murmure, sans rien exprimer d’autre qu’une respiration légèrement modifiée. On peut jouir sans se toucher, on peut jouir seule ou mal accompagnée. Finalement, pour quelqu’un qui connaît son corps, jouir, c’est facile. Laissez moi seule pendant 180 secondes et je peux y arriver, pas d’objets nécessaires, ni même de partenaires. Je suis physiquement certaine de ce qui va fonctionner, je connais la physiologie de mon orgasme, et le chemin le plus court pour y arriver. Je ne suis pas thérapeute des gonades, mais si j’avais un conseil à donner à toutes me soeurs frustrées de ne pas jouir, ce serait d’abord d’apprendre à s’en donner seule, comme une grande, sans rien attendre de personne. Une fois débarrassée de l’aspect technique du geste, c’est à mon sens seulement à ce moment que commencent les choses sérieuses : le meilleur moyen d’y arriver.

Beaucoup d’hommes pensent qu’il est castrateur pour une femme de se faire jouir seule. Ils pensent que leur masculinité et que leurs divins appendices sont les seuls à posséder ce pouvoir unique. Ils veulent se sentir responsables de notre plaisir, de nos ressentis, de notre sexualité. Ils « donnent » des orgasmes comme on distribue des cadeaux à Noel ou des bons points à l’école. Combien d’amants à la petite semaine sont très fiers d’annoncer à leurs potes qu’ils « ont fait jouir 3 fois de suite » leur copine, ou qu’elle a « gueulé comme jamais » ? Ils sont très loin de la vérité, ces petits Roccos au rabais, plus proches des lapins Duracel que de gourous du tantrisme dans la réalité. Je persiste à penser qu’on ne fait pas jouir une femme qui n’a pas décidé de vous offrir ce plaisir. Qu’on ne donne pas d’orgasme à l’autre, mais qu’on reçoit au contraire ce qu’il veut bien nous donner. En tant que femme, je m’autorise à me laisser jouir avec un partenaire qui le mérite, non pas parce qu’il aura déployé toute l’étendue technique de ces capacités, me retournant sans cesse dans des positions impossibles et me couvrant de cadeaux vibrants et colorés, mais parce qu’il aura su provoquer en moi l’envie de me laisser m’y abandonner. C’est en prenant le contrôle de ma sexualité, et en décidant, de manière consciente ou tout à fait par hasard, que je suis prête à donner le droit à un homme de me donner de plaisir, que j’ai découvert à quel point l’orgasme pouvait être plus fort, plus profond, plus long et plus entier. Le processus peut sembler trop pénible, je l’explique sans doute peu clairement, mais la décision se prend en  moins d’une seconde, toutes les raisons sont bonnes pour se laisser aller. Si je n’ai besoin de personne pour avoir un orgasme, je prends beaucoup de plaisir à laisser mon partenaire m’en donner.

4 réflexions sur « La lutte finale »

  1. Exactement. Pas un mot à retrancher ni à ajouter.
    Avoir un orgasme avec quelqu’un c’est surtout savoir recevoir … Et je n’en ai jamais donné de meilleur qu’à celui qui savait recevoir, qui a accepté de s’y abandonner réellement. Il y a encore moins d’hommes que de femmes je crois qui savent faire ça. Jouir mécaniquement, sans beaucoup de plaisir, c’est ce que font beaucoup d’hommes … Fort peu savent réellement accéder au plaisir.

  2. Tout est dit. Vous avez mille fois raison. De 20 ans plus jeune, j’eus quémandé vos faveurs, avec l’espoir de cet honneur.

    Mais rappelez vous, quand l’homme prends de l’expérience, l’affaire est symétrique.

    Bien à vous
    Beaucoup de jouissances, par les amants qui le mériteront.

  3. Joli dernier paragraphe.
    (« Rocco au rabais », c’est chouette à prononcer en plus, on a envie de le hurler).

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