La poisse

J’ai la poisse en ce moment. Pas la petite poisse passagère, celle qui te frôle seulement, que tu sens à peine, celle dont tu te moques avec grâce avec tes potes le soir venu. Non non. La poisse, la vraie, celle qui colle aux chaussures et qui sent le pet, celle qui ne te lâche pas, t’as beau gratter, t’as beau exfolier, y’a rien qui sort, elle est passée sous ta peau, tu la vois bouger en transparence, comme un putain de gros vers exotique, ceux qui pondent des oeufs dans tes plaies pour se reproduire. La plupart des gens pensent que la poisse est une sorte de hasard à l’envers, un peu comme le blanc et le noir, il y aurait la chance et la poisse, ces deux forces qui s’affrontent dans l’univers et qui te tombent sur la gueule un peu comme elles veulent, sans que tu puisses contrôler ou te mettre à l’abri. La fiente de pigeon sur ton manteau quand tu pars en rendez-vous par exemple, ce truc dégueulasse et complètement  inattendu,  voilà le vrai visage de la poisse pour eux. Mais comme je suis une torturée du crâne, j’ai une autre version. Je pense que je suis responsable de ma poisse. Que je l’attire et que je la nourris. La malchance chronique comme affection longue durée.

Je n’ai jamais rien gagné. Pas à la kermesse de mon école primaire, où déguisée en gitane j’effectuais pourtant avec ma classe une chorégraphie pleine d’entrechats et de pas chassés sur un podium de fortune, devant les yeux enamourés de mes parents divorçant. Non, ce jour là, j’ai pris une claque, et j’ai fini l’après-midi dans ma chambre parce que j’avais mangé l’intérieur des pièces en chocolat qui composaient mon accoutrement de diseuse de bonne aventure. Ce qui aurait du être une après-midi pleine de rires, de jeux de chamboule-tout  et de pêche aux canards dans une bassine s’est transformé en Tchernobyl familial, tout ça pour une histoire de cacao fondu sur mes doigts. Si j’avais eu l’intelligence d’accomplir mon méfait jusqu’au bout, si j’avais pris la peine de bien refermer les coques dorées des pièces et de me laver les mains après ma boulimie secrète, l’histoire aurait été toute autre. J’aurai couru à travers la cour comme une chèvre sous amphétamine, dans la joie et la bonne humeur, j’aurai participé à la bagarre générale aux pistolets à eau, et j’aurai peut-être fini par me faire des amis dans ma classe. Mais non. Même pas la chance du débutant pour la petite Daria. La poisse totale, mais la poisse méritée, enfin, c’est en tout cas ce que je pensais du haut de mes 9 ans. Inutile de dire que je n’ai jamais rien gagné aux jeux de grattage, au loto, au bingo, aux concours organisés sur les blogs pour gagner un cure dent ou une fiole de merde parfum fleuri. Rien. Je tente le diable deux fois par an au Casino, dont je repars invariablement avec la même somme qu’à l’entrée. Aucune perte, aucun gain, juste deux heures à jouer, à perdre un peu et à gagner chichement, qui me permettent de ne pas vomir ma rage sur le tapis rouge de l’entrée de l’établissement.

Je n’ai donc pas de période de chance. Je n’ai que des périodes neutres, où il ne m’arrive rien, et des périodes de crasse absolue. Cette semaine par exemple, mon fidèle Macbook qui sortait tout juste du SAV après un changement de disque dur et de carte mère, a décidé que le rétro-éclairage de l’écran, c’était vraiment trop fatiguant. Plongée dans le noir subite. Panique. J’avais justement à rendre cette semaine plusieurs fichiers sur Excel, avec des centaines de minuscules cellules à remplir avec exactitude. Je ne perds pas espoirs, et me rabat sur mon petit E-pc à l’écran timbre poste, où je me nique la rétine avec la foi du charbonnier jusqu’à l’accomplissement de ma tâche. Au moment même où j’allais envoyer le résultat de mon labeur à mes différents clients, c’est la Freebox qui décide de déconner. Je respire, j’appelle mon fournisseur, qui m’annonce 5 jours de délais pour une réparation. Je respire encore, ou plutôt je me mets à hyper ventiler,  et je tente donc de me connecter au réseau Free Wifi qui traîne dans mon immeuble. Et c’est là que le port wifi de l’ordinateur de poche à l’écran diabolique cesse de fonctionner. Cassée la carte. Fritas les bananas. Tout se brise virtuellement entre mes doigts boudinés. Je suis en retard sur mes boulots à rendre, je cours au cybercafé pourri de ma ville, uniquement fréquenté par les pères de famille accros au porno, qui viennent se faire plaisir sur une IP masquée.  Je réussis à négocier un câble réseau à la sueur de mon porte monnaie, parce qu’on ne prête pas ces choses là, c »est une question de sécurité vous comprenez, je le branche, je démarre. ECRAN BLEU. C’est après une heure de négociation et de tâtonnements avec une machine dont je ne parle pas le langage, des larmes ravalées et les regards dégueulasses de mes collègues onanistes, que je réussis à récupèrer mes fichiers et à les balancer à mes clients (qui commencent à ne plus croire du tout mes aventures informatiques, et qui donc, dans la suite logique de cet épisode de poisse, vont sans doute arrêter de me faire travailler).

Moralité : non rien. Juste enculée de poisse de merde.

10 réflexions sur « La poisse »

  1. Ah bah oui mais ma ptite dame, on peut pas étre intelligente ET chanceuse… faut pas pousser mémé dans les orties. La chance, c’est pour ceux qui peuvent pas s’en sortir autrement.

  2. Je m’y reconnais un peu dans ce post. Il y a deux sortes des gens. Ceux qui sont nés « sous la bonne étoile » et ceux qui ont la poisse. J’ai la poisse.
    Et j’ai beau faire les choses bien, carrées et tout… Poisse ne veut pas me lâcher. C’est un peu ma BFF.

  3. Il y a plein de moments où la poisse est absente, mais il n’y a pas de quoi en faire un billet.
    J’ose pas dire « bonne chance »

  4. Il y a deux sortes de gens, comme dirait Wendy. Ceux qui voient les signes et ceux qui les ignorent. Pour une raison qui m’est inconnue, tu as droit à trois ou cinq feux rouges dans ton boulot cette semaine mais tu persistes et finis par gagner (?), sauvant (?) ainsi ce travail que, visiblement, tu n’es pas censée faire (là c’est moi qui me permet de parler au nom de Qui Tu Veux en majuscules)
    Et puis il y a les autres gens, comme moi (je ne suis pas un saint) : on écoute les signes, les phrases, les trucs qui nous font comprendre que nous allons dans le bon sens. Les coïncidences, les « ça c’est marrant ». Ils ne sont pas forcément toujours rassurant et, parfois aussi, sont même sacrément angoissants. Mais ils me poussent au bon endroit. Où je suis moi.

    Je ne souffre plus de malchance depuis que je suis attentif. Mais ce que je vois me pousse au pas dans la vide, allez, neuf fois sur dix.

  5. @ashorlivs CE N’EST PAS DE MA FAUTE CETTE FOIS CI. non mais.

  6. Oh là là … je lisais ce billet tranquillement ce matin en attendant mon train, et les yeux rivés sur mon portable j’ai marché sur un oiseau mort. La poisse.

  7. Je me demande si je fais bien de leaver une reply… parce qu’après tout, on sait pas si c’est contagieux ce truc… même avec du tranxène en suppositoire… en tout cas j’aime beaucoup !

  8. La poisse!? elle m’aime!! et puis elle est jalouse,si madame la chance me fait un petit coucou,madame la poisse se venge.Heureusement j’ai un ange gardien qui Bosse Sans répit pour un peu atténuer les dégats.

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