Toulouse

Je regarde le visage de cette petite fille blonde aux yeux bleus, blonde et morte, ce visage que j’affiche sans aucune décence sur mon mur Facebook comme des centaines d’autres, et je ne peux pas m’empêcher de penser que je fais quelque chose de mal, quelque chose de vulgaire, en les laissant là, leurs faces dévoilées à tous, sans restriction, sans aucune pudeur. Et pourtant j’ai cliqué sur partager, je n’ai pas hésité, pour me souvenir, pour se souvenir, pour mettre des yeux et des joues sur ma peine, pour choquer peut-être, pour que ceux qui s’attachent à polémiquer sur une nageuse anti-jeux-vidéos ou sur la politique étrangère s’arrêtent une seconde et plongent dans leurs yeux ouverts sur papiers glacés, à présent fermés sous la terre d’un cimetière. Bien sur il y a tous les autres, ceux d’ailleurs et puis ceux d’ici, les enfants qu’on brûle, qu’on bat, qu’on sacrifie, ceux qu’on retrouve découpés, violés, dans des poubelles, oubliés, affamés, ils existent, mon coeur est sans doute trop sec ou tout petit pour les y accueillir tous, je n’ai pas le pouvoir de compassion universelle, je suis plus touchée par ce qui se passe là, presque sous mon nez, dans mon pays, dans ma communauté. Et puis peut-être qu’elle me ressemble un peu, Myriam, avec son petit nez et ses cheveux blonds, peut-être qu’elle me rappelle que mes enfants seront juifs, quelque soit ma passion pour le jambon, mon niveau de pratique ou l’obédience de la moitié de leur identité chromosomique. Au lieu de la donner au monde, martyr figé, j’ai envie de la serrer contre moi, de soulever le drap blanc qui doit la recouvrir et de l’emmener danser encore, de l’entendre rire et de lui promettre que de telles choses ne peuvent pas arriver, que le monde est mauvais mais que les méchants sont bien loins, qu’on se serre les uns les autres pour se protéger comme des pingouins, que c’est bientôt Pessah et qu’il faut profiter des derniers pains au chocolats, que rien n’est grave, jamais. J’ai envie de promettre, mais je mens, comme tous les adultes qui refusent qu’on salisse les oreilles de leurs enfants de l’histoire de Myriam, de Gabriel et d’Aryeh, parce qu’il ne faudrait pas gâcher l’innocence, parce qu’il faudrait continuer à prétendre que tout tourne rond, que rien n’a changé, que les enfants sont intouchables, préservés.

14 réflexions sur « Toulouse »

  1. Merci.

    La douleur n’a pas de couleur, pas d’obédience. La haine non plus.
    Une fois encore, tu mets les mots justes sur des choses injustes.

    Merci.

  2. Quelle justesse des mots. Mais contrairement à toi je pense qu’au contraire nous avons tous un visage à mettre sur les victimes. Qu’elles deviennent réelles et non pas simplement des chiffres de plus dans la violence du monde, les victimes innocentes d’un meurtrier fou. Des enfants, quelle horreur mais peu importe leur âge et leur religion. Ces petits anges sont morts à cause de la folie d’un homme. Ces photos d’enfants souriants sont des gages qu’ils avaient une vie, des parents, des amis, qu’ils étaient probablement heureux et que leur mort est injuste. Des vies entières ruinées. Et oui je te comprends, on voudrait les prendre chacun d’entre eux dans nos bras et les emmener dans une danse folle pour entendre leurs rires même si on ne les a jamais entendu auparavant.
    Que le Rabbi, Gabriel, Aryeh et Myriam reposent en paix maintenant. Et que le coupable soit vite retrouvé mais que jamais leur visage à eux ne s’effacent de nos mémoires parce que quelque soit leur religion ce crime reste une abomination.

  3. Je me sens un peu visée, puisque je fais partie de ces parents qui n’ont pas envie de dire l’indicible à leurs enfants.

    Bien sûr que le monde ne tourne pas rond, et pourtant qu’est-ce qui a changé? Ce qui nous touche aujourd’hui en France touche chaque jour des petits israëliens, afghans, américains, et même des norvégiens! Ce qui s’est passé à Toulouse est une abomination, ça ne devrait pas arriver, et pourtant ça arrive. Nous avions eu de la chance d’être épargnés jusqu’ici.

    Pour autant, quel bien cela ferait-il à ma fille de 5 ans de connaître les détails de l’histoire? Si elle y est exposée, je tâcherai de mettre des mots sur ce qui dépasse mon entendement. Ai-je besoin d’aller au devant? A-t-elle besoin, du haut de ses 5 ans, de savoir que chaque jour des enfants sont tués, victimes de la barbarie, de l’appât des hommes pour le pétrole et le pouvoir, du manque de soins ou d’accès à l’eau et la nourriture?

    Il ne s’agit de l’élever dans une bulle, ni de préserver son innocence à tout prix. Mais dans quelle mesure cette information anxiogène peut-elle l’aider à avancer dans la vie?
    Quand sa grand-mère est décédée, elle est venue avec nous à l’enterrement, nous avons répondu de notre mieux à ses questions, il ne nous serait jamais venu à l’idée de faire autrement ou de lui cacher quoi que ce soit. Mais nous avons avancé à son rythme.

    Si elle nous pose des questions nous y répondrons de notre mieux. Est-il pour autant indispensable, à 5 ans, de lui délivrer l’information?

  4. Je réalise que, sans TV ni radio ni volonté spéciale d’aller sur des sites d’infos, je me retrouve exposé à cette histoire par les réseaux sociaux.

    Mine de rien la puissance du Share c’est de me mettre le nez dans ce que je ne suis pas allé voir par moi même.

    Et là aussi, je ne sais pas si j’aime bien ou non, que le fait divers vienne me chercher, mes amis complices.

  5. Il ne s’agit pas de révéler les détails atroces de l’histoire, ni de lui donner une description de la petite fillette, agonisante, au sol. Ce n’est pas nécessaire.

    Mais n’éteignez-vous pas la télé pour ne pas que votre enfant tombe sur les images de ce drame? Si oui, ne peut-on pas considérer que c’est cacher ce qu’il se passe réellement dans le monde?

    Non, je n’ai pas d’enfant, mais je peux vous affirmer que je n’aurais pas aimé connaître de la vie que mes livres Walt Disney. Je pense que le drame, la haine qui peut-être en chaque être humain fait partie du monde qui nous entoure. Pourquoi, parler de la mort d’un être cher qui meurt de vieillesse, de maladie… Et pas la mort d’enfants, qui meurt du mépris des humains envers d’autres humains -sans distinction de religion-? Parce que oui, le monde est ainsi fait et un enfant doit y être préparé. Sans le traumatiser. Mais il y a toute sorte de mots que l’on peut dire à un enfant, en fonction de son âge et qui allège le drame, sans avoir à l’effacer complètement, de peur de blesser l’innocence, ou de traumatiser un enfant.

    Le traumatisme, c’est surtout de grandir sans savoir ce qui se trame autour de nous. Et de pas s’en être protéger.

  6. Merci de mettre des mots si jutes là où je suis tellement incapable de les trouver… et qu’aucune des victimes de ce monstre ne soient oubliées, jamais.

  7. @Sabrina : moi non plus je n’aurais pas aimé vivre dans un livre de Walt Disney. Ne serait-ce que parce que certains méchants sont vraiment très méchants.

    Plus sérieusement, je suis d’accord sur le fond avec ce que vous dites. A un moment ou un autre, il faut préparer nos enfants à la réalité du monde qui nous/les entoure. Même si, en temps que mère, notre première impulsion est de les protéger.
    Il y a des tas de choses qu’on peut entendre à 5 ans. Mais ça? Je n’en suis pas certaine…

    PS j’avais de grands principes concernant la télé avant d’avoir mes enfants. S’il en est un sur lequel je n’ai pas transigé, c’est le contenu de ce qu’elles regardent. La place d’un enfant de 5 ans n’est pas devant le JT…

  8. « que c’est bientôt Pessah et qu’il faut profiter des derniers pains au chocolats » –> C’est la première fois que je souris en pensant à Toulouse.
    Merci … pour Myriam 🙂

  9. Pas grand chose à dire de plus.
    Forcément, le meurtre d’enfant est la chose qui m’est la plus insupportable au monde, et j’aurai aimé être sourd et aveugle hier, quand le compte rendu des témoignage du massacre à l’école fut rendu public. Viscéralement insupportable.
    Mais être sourd ou aveugle ne fera pas changer le monde.

    Et si la violence de l’acte et l’horreur nous projettent dans l’événement tout le sens à vifs. Si nous ne pouvons nous empêcher de réagir à l’émotif -et c’est bien ainsi, car à ne rien ressentir nous serions des monstres. je ne peux m’empêcher de penser que toutes les cinq secondes un enfant meurt parce qu’il n’aura pas eu accès à de l’eau potable, et ce : dans la plus grande indifférence (ou presque).

    Hors de question de minimiser la gravité ni l’horreur de ce qui est arrivé : il n’y a pas d’échelle à l’insupportable. Mais j’ai vu de toutes part des chai e de commémoration fleurir sur les réseaux sociaux lors du tragique accident de car -qui n’était lié qu’à la fatalité- j’en ai vu bien moins pour ces meurtres -qui nous mettent tous en cause en tant qu’humains- et pour les autres ?
    Pour les autres rien, à par quelques engagés qui ne se contentent de réagir à l’événement, ni à l’émotif.

    L’événement passe. L’émotion s’oublie. Pour le reste, il faut encore et encore agir au quotidien dans le silence des médias et loin de l’émotion.
    Pourtant ces morts là me font aussi mal sinon plus encore.
    Parce que mon confort d’occidental se paye en partie de leur sang.

    (Excuse moi d’envahir ton espace avec ce message que je ne pensais pas devenir si long et décousu).

  10. Ton texte a fait monter mes larmes. Je n’en peux plus de l’horreur quotidienne. Viols, meurtres, attentats, terrorisme, guerres, kamikazes, …. Il n’ y a plus que ça. Plus jamais de bonnes choses. De jolies choses. On ne nous bombarde que de sang, de tripes, du malheur des autres.

    Je rejoins Souristine. Je ne me sens pas capable de parler de ça avec ma fille. Et si je peux l’en préserver, je le ferai. Je trouve qu’à son âge, elle est déjà bien assez confrontée à la violence du monde. Au même âge, je n’en avais encore autant avalé qu’elle. Est-ce nécessaire d’en rajouter une couche supplémentaire? Qu’est ce que ça lui apportera de savoir cette horreur-ci?

  11. Merci pour ton très beau texte.
    Il y a juste une chose que je voudrais dire: la famille des victimes s’oppose à ce qu’on montre leurs photos. Moi aussi j’ai voulu les publier, pour les mêmes raisons que toi, mais nous devons respecter leur volonté.
    Désolée de t’embêter avec ça, ce n’est en aucun cas pour chipoter, et je lirai et relirai encore ce que tu as écrit.

  12. Pour qui, comment quand et pourquoi ?
    Contre qui ? Comment ? Contre quoi ?
    C’en est assez de vos violences.
    D’où venez-vous ?
    Où allez-vous ?
    Qui êtes-vous ?
    Qui priez-vous ?
    Je vous prie de faire silence.
    Pour qui, comment, quand et pourquoi ?
    S’il faut absolument qu’on soit
    Contre quelqu’un ou quelque chose,
    Je suis pour le soleil couchant
    En haut des collines désertes.
    Je suis pour les forêts profondes,
    Car un enfant qui pleure,
    Qu’il soit de n’importe où,
    Est un enfant qui pleure,
    Car un enfant qui meurt
    Au bout de vos fusils
    Est un enfant qui meurt.
    Que c’est abominable d’avoir à choisir
    Entre deux innocences !
    Que c’est abominable d’avoir pour ennemis
    Les rires de l’enfance !……. »Perlimpinpin » de Barbara

    Merci François Morel d’avoir mis, ce matin sur France Inter, des mots sur mes émotions.

  13. @Niña : Je trouve François Morel très pertinent ces temps ci. Ses mots sont simples et justes et ils me touchèrent aussi. Espérons qu’il ne connaisse le sort des autres chroniqueurs qui le furent sur cette même antenne.
    Il est humain conscient et à chaque chronique essaie de remuer ce qu’il reste de conscience et d’humain au fond de nous.
    Un beau travail que d’essayer de faire ouvrir l’esprit.

    Trop de nos semblables ne sont conscients que par flashs, au coups des sentiments et des émotions, alors que se ressentir humain est un vécu de tous les jours.
    Combien d’entre eux ne sont plus que des ludions égotiques ballottés de sensationnel en tragique au rythme des « grands médias » ?

    Ce qui s’est passé là blesse violement à l’âme (rien de religieux à ce terme). J’aimerai croire que ces morts intolérables auront au moins réveillé les consciences, mais à le croire j’aurai trop peur de me leurrer. Et je crains que nos concitoyens ne retournent à leurs indifférences, leurs égoïsmes et leurs haines tranquilles.

    Pas assez de gens pour agiter les consciences. Trop de gens pour les exploiter.
    C’est ce qui rends certains espaces du Net si essentiels.

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