Bite et bouffe

Je me demande à quoi il pense quand il me baise celui là, et cet autre encore, quand il regarde ma chatte dans le blanc de la queue et qu’il s’apprête à me saillir, alors qu’il ne connaît ni mon âge ni mon nom de famille, parfois même pas mon vrai prénom, je me demande à quoi il pense, le latex moulé sur son gland hypertrophié, les doigts couverts de mes odeurs et de mes envies, les genoux tremblants enfoncés dans ce mauvais matelas, à quoi tu penses mon gars, à ta femme, à ta mère, à celle que tu baiseras tout à l’heure, parfois juste un peu à moi. Et qu’est ce qui te pousse, comme moi, à te frotter contre la première qui voudra, seulement l’envie, seulement ta bite téléguidée ou le besoin de sentir que quelqu’un existe, que quelqu’un d’autre respire, le besoin inconscient de se confronter à l’odeur du vivant, tout le monde meurt, tout le monde se laisse crever, baise moi encore, appuie tes mains sur ma bouche et empêche moi de pleurer, fais moi jouir jusqu’à ce que je râle, jusqu’à ce que j’en chiale, laisse moi ton odeur, et le plastique brûlé au fond des mes cuisses béantes, monstres violacés, animaux gargantuesques, mange moi avant que je ne disparaisse. C’est le seul moment où je m’apaise, entre deux respirations trop fortes, entre deux gémissements forcés, entre deux spasmes utérins, j’ai le cerveau qui déconnecte, mode off enclenché,  plus rien ne se passe, plus rien ne pense, silence.

Combien de bites faudra t il que je m’enfile, combien de kilos de pâtes, combien de tartines, combien de litres de cyprine, qu’est ce qui me remplira, qu’est ce qui finira de m’apaiser, qu’est ce qui pansera la plaie, comment on soigne le vide, qu’est ce qui vide la boue, qui changera ma merde en eau, qui fera mon miracle, qui sera mon sauveur, bien sur, ne le cherche pas dehors, tout est à l’intérieur, le déclic, le travail sur soi, la thérapie, la psychanalyse, combien de temps, encore ? Et si dedans tout est rien, si dedans tout est creux, que mes cheveux poussent dans le vide, qu’il n’y a rien pour rattraper cet extérieur, et si dedans la lumière est éteinte, trop de travaux, chantier abandonné, ne passez pas la barrière sans vous équiper, casque et chaussures de sécurité, ca souffle et ca siffle, le bruit du vide. Si je ne suis qu’un mensonge, quelques jolies phrases qu’on apprend par coeur pour mieux plaire, des références tronquées, une ville fantôme, jolis quartiers désertés, si j’ai tout jeté, si je n’ai plus rien à donner, qu’est ce que j’en ferai, de cette grosse carcasse vide, de ces organes morts, de ce coeur qui refoule à l’entrée comme un videur connard, de cet acidité qui me bouffe la gorge sans me laisser respirer, de mon ventre énorme, lui aussi, vide.

Faudrait pas écrire tout ça. Faudrait pas le dire. Il faudrait à peine le penser. Aux copines en avouer la moitié. Ne pas hurler le désespoir et la peur. Ca effraie les gens tu comprends. C’est trop intense. C’est trop personnel. C’est trop spécial. Tu en parleras à ton thérapeute. A ton psy. Ou tu te la fermeras. Au choix. Et si malgré ca, personne ne t’aime, si personne ne cherche à percer, à regarder ce qui se passe derrière, si tu rates pour de bon toute ta vie, il te restera les mots des autres, un peu de musique, toujours la même, répétitive, et ton vide à remplir, ton meilleur compagnon, celui qui te garde en vie, à force de le vomir, à force de l’entretenir, tu trouveras bien quelque chose pour te faire du mal, tu occuperas ta peau, tu te sentiras vibrer, et puis tu attendras, enfin, de crever.

19 réflexions sur « Bite et bouffe »

  1. Poignant. Criant. De vérité. Ça m’a retourné le bide, merci pourt autant de sincérité, c’est rare.

  2. On ne se connaît pas, mais … Envie de te dire… Pour moi, la jeunesse a été bizarre. Ajh, j’ai 40 ans et ce qui donne du sens à ma vie, dans l’ordre ou le désordre j’en sais rien: mes enfants (13 et 8 ans, même si certains jours outch c’est pas facile d’être parent), mon Jules, mes amis, les apéros, la course à pied, les voyages (loin, longtemps), le vin, le chocolat.
    Je suis plus vieille que toi, alors j’ose te dire: je te souhaite les mêmes jolies choses que j’ai la chance d’avoir et aussi de trouver du bonheur dans la construction, sur du long terme. Tu as du talent, de le sensibilité, une visible intelligence, tu es jolie, drôle, vivante. Y a quelque chose qui t’attend quelque part, c’est sûr. Bon j’ai fini de faire ma vieille bique, bravo pour ces mots, bien écrits, comme d’habitude.

  3. Putain, c’est magnifique, c’est tellement ça ! Tu m’as fait chialer, Daria, c’est malin.

  4. J’aime bien ta langue cru et concrète.

    Pas de la crudité prétentieuse et creuse des grandes poseuses pseudo-littéraires qui se la joue mon cul-ma vulve-mon œuvre, ni de celle vulgos, des romans à la « Police Mondaine » dont les pages transpirent le vieux foutre rance et l’after-shave bas de gamme.
    J’aime tes mots parce qu’ils sonnent droit, direct là où ça doit sonner. taillés dans viande de l’âme, parfois au taillés hachoir, parfois ciselé sur les franges de nos fragilités.

    On en redemande !

  5. « de ce cœur qui refoule à l’entrée comme un videur connard »…
    Tu nous tues, Daria. Trop de talent, ça fait mal aux yeux comme de regarder le soleil en face. On avait perdu l’habitude de lire ça, d’accord avec le commentaire précédent sur ce point. Le vide ce n’est pas toi. Le vide, c’est toutes les conneries de ces opportunistes qui n’ont rien à dire et qui le disent mal. Toi, tu es trop pleine de tout, c’est pas pareil.

  6. « Et qu’est ce qui te pousse, comme moi, à te frotter contre la première qui voudra »
    C’est le vide. Combler le vide, le néant, le silence, la mort.
    Et pouvoir baiser, c’est déjà un luxe…
    Combien n’ont que leur frigo pour ami?
    Et les p’tites pilules du bon docteur…
    Une pour oublier qu’on est triste, une pour oublier qu’on existe…
    Et la meilleure, celle qui fait dormir, qui apporte le sommeil, la Nuit.

  7. C’est très dur de commenter tes billets sans y dire trop, sans en rajouter, sans tout ramener à soi, sans se livrer comme ça en public. Et puis ton texte se suffit à lui-même, pas besoin de rajouter par dessus sa propre peine, son propre vide. Courage. Il paraît qu’il faut tenir. Merci en tous cas.

  8. la même claque que quand j’ai découvert Virginie Despentes,
    « Baises moi » ya quelques années maintenant,
    je vous trouve des points communs

  9. « Le sexe, est un égoïsme partager. »

    a quoi pense t’il ? a lui.
    et aussi un peu a toi…

    …enfin, a toi avec lui, une « toi » que tu ne connais pas, celle qu’il imagine.
    Mais je l’espère, qu’il aime et chérie de tout son « lui ».

    y a t’il vraiment une différence entre deux partenaires quand leurs désir égoïste se mêle entre possession et soumission de/à l’autre ?

  10. Que dire…

    Je passe ici ce soir par hasard. J’ai dix ans de moins que toi et je me reconnais tellement dans tes mots (maux), dans ces états que tu décris. C’est difficilement explicable mais c’est rare de se retrouver à ce point dans les phrases de quelqu’un d’autre, et ce soir j’en avais particulièrement besoin. Je te remercie pour ça.

  11. Merci pour ce coup de poing dans la gueule. Ca pique mais ca reveille!

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