Nadia

Je suis allée chercher Nadia au travail. Je l’attendais en grillant clope sur clope, assise sur un morceau de banc cassé, le sac en toile calé entre mes genoux. Elle est sortie, d’abord elle ne m’a pas vue, elle partait, j’ai sifflé. Elle s’est retournée, et un moment, un pas seulement, elle a hésité. Elle me regardait, mais son corps entier était engagé dans la fuite, vers le métro, vers les autres. Je me suis levée, j’ai pris son bras sous le mien, et je l’ai entraînée vers la voiture. On va où, elle m’a demandé ca, l’air de ne rien savoir, elle qui savait tout, toujours, elle avait ses yeux fous, ses yeux inquiets, tu verras, j’ai dit, tu verras. On est montées dans la voiture, elle s’est calée contre la vitre, j’ai balancé le sac sur la banquette arrière, j’ai démarré. J’ai allumé une clope, ouvert la fenêtre, il pleuvait, les gouttes sont venues mouiller ses cuisses, juste assez pour que je les regarde. Ses cuisses grasses moulées dans un collant opaque, sa jupe de secrétaire froissée, ses mains crispées autour de la ceinture de sécurité. Je l’ai cognée. Une fois, de la main droite, au feu rouge. Pas très fort. Juste pour qu’elle range ses cuisses. J’ai fermé le poing et j’ai cogné au hasard, les yeux sur la route, sans regarder. J’ai pris le périph Porte Dorée, j’ai allumé la radio, il continuait de pleuvoir, j’ai remonté la vitre.

J’ai pris l’autoroute. Ca m’énervait qu’elle ne me regarde pas. Qu’elle ne regarde pas la route. Qu’elle ne dise rien. Moi je fumais, en écrasant mes clopes sur le tableau de bord, le cendrier dégueulait. Enlève ton collant, je lui ai dis. Enlève ton collant putain. Elle s’est mise à chialer. Pour rien. Elle chialait. Enlève ton collant j’ai dit en levant la main. Elle a commencé par enlever ses chaussures. Balance les par la vitre. Balance les je lui ai dit. Et cette conne, elle chialait encore, avec ses grands yeux mouillés, arrête la voiture, arrête la voiture elle disait. Balance tes pompes ou je nous plante. Là, dans le pilier du prochain pont. Je nous plante à 130. C’est ca que tu veux ? Elle a enlevé ses ballerines à 10 balles. Elle a ouvert grand la vitre. Il pleuvait fort. Elle les tenait sur ses genoux, serrées. Jette les putain. Jette les ou je nous plante. Elle en a jeté une. Puis l’autre. Elle a fermé la vitre. Elle m’a regardée. Pour la première fois depuis Paris. Blanche, mouillée, dégueulasse. Pourquoi tu fais ca ? Pourquoi tu fais ca ? J’ai empoigné fort le volant avec la main gauche, j’ai levé l’autre, et j’ai cogné, encore. Une fois. Deux fois. Je ne sais plus. Parfois ma main cognait ses joues. Parfois je me prenais l’appuie tête, en hurlant de douleur. Enlève ton collant maintenant, et donne le moi, je lui ai dit. Elle a pas discuté. Elle s’est contorsionnée sur le siège, elle avait l’air conne, désarticulée. Elle a roulé son collant en boule et elle l’a posé sur mes genoux. J’ai continué à rouler, son collant dans ma main, en le respirant par bouffées, en sentant l’odeur de sa chatte dans ma bouche. Elle avait arrêté de chialer. Elle saignait du nez. Elle a cherché des mouchoirs dans son sac. Cette fois la nuit était tombée. J’ai toujours bien aimé conduire la nuit. Les lumières de la route, les stations services, ca me plaisait. J’avais l’impression d’être dans un film.

Un peu avant Rouen, je suis sortie de l’autoroute. Je ne savais pas bien où on allait. Je me suis enfoncée par la nationale, j’ai tourné à droite, au hasard, arrivée au premier bled, j’ai pris la route la moins éclairée. J’ai ouvert la vitre en grand. Ouvre ta vitre, je lui dit. En grand. On a roulé comme ca, l’air de la nuit, de la campagne, j’ai allumé une clope et je lui ai tendue, elle a fumé doucement, en regardant les étincelles de ses cendres s’émietter. J’ai tourné encore, à droite et puis à gauche, jusqu’à ce qu’il n’y ai plus que des champs. J’ai arrêté la caisse sur le bas côté. J’ai laissé les phares éclairer la nuit. On sort j’ai dit. J’ai chopé le sac par derrière, je suis sortie de la voiture, j’ai ouvert sa portière. Sors. Elle voulait pas. On va faire quoi. Qu’est ce que tu vas me faire ? Elle chialait encore. Ferme ta bouche. Ferme ta bouche je lui disais. J’ai attrapé le collant, tends tes mains. Donne ta main. J’ai pris sa main. Elle voulait sortir. Je la bloquais. Tu vas aller où. Tu vas aller où là à moitié à poil ? J’ai tordu sa main, son bras. Jusqu’à ce qu’elle la donne. Je l’ai attachée avec le collant. Les deux poignets. Ensemble. Lève toi maintenant. Elle s’est levée d’un grand coup. Je la tenais par les cheveux. J’ai relevé sa jupe sur son cul. Je vais compter jusqu’à 3. Je vais compte jusqu’à 3 et je vais te lâcher. T’as intérêt à courir très vite. Je t’aime, je t’aime, elle chialait, pardon, elle bavait, ca dégoulinait sur son menton, elle était couverte de pleurs, de morve et de sang. Je sentais ses cheveux craquer un à un sous mes doigts, s’échapper de ma main, casser. J’ai commencé à compter.

1. J’ai ouvert sa chemise de l’autre main, les boutons ont sauté d’un coup. Tu m’aimes aussi, elle dit, tu m’aimes aussi, souviens toi, et moi je t’aime, tu peux pas me faire de mal, tu veux pas, dis le moi que tu m’aimes. Je t’aime j’ai dit. Je t’aime.

2. Je suis derrière elle, elle est cambrée sous ma main, je l’enlace pour atteindre sa poitrine, je passe ma paume dans le bonnet de son soutien gorge, sa tête se pose sur mon épaule. C’est presque fini, je lui dis, c’est presque fini, arrête de pleurer, je lui dis tout ca à l’oreille, elle n’entend que ma voix de toutes façons, rien que ma voix et le tic toc des phares. Ses jambes lâchent, elle s’effondre, j’ai ses cheveux dans ma main. Elle est à quatre pattes dans l’herbe. A mes pieds. A 3 je veux que tu coures. Le plus vite possible. Je lui dis ca. Sauve toi.

3. Cours. Cours putain. Au début elle ne bouge pas. Je lui fous un coup de pied au cul, elle s’étale un peu plus loin. Cours, mon amour, cours. Cours putain. Salope. Connasse. Cours bordel. C’est moi qui chiale presque maintenant. Cours. Pourquoi elle bouge pas ? Ca m’énerve. Tu m’énerves je lui dis. Je commence à lui taper dans le flanc. Mes pieds rentrent dans sa chair, elle se déforme à chaque impact. Elle ne crie plus. Peut-être qu’elle est déjà morte. Je me suis penchée, elle me regardait un peu. Je me suis assise dans l’herbe. J’ai pris sa tête sur mes genoux. J’ai passé mes doigts sur son crâne, dans ses cheveux, jusqu’à trouver l’endroit lisse, la mèche qui avait cédé sous mes doigts. Je la caressais doucement, en lui racontant qu’elle était bête, que tout ca c’était sa faute, elle bougeait un peu la tête, comme pour dire que j’avais raison. T’es belle je lui disais, t’es belle allongée comme ca, et elle voulait pleurer mais elle n’y arrivait plus. Alors j’ai reposé sa tête, délicatement, sur les herbes hautes, j’ai arrangé ses cheveux en couronne autour de son visage, j’ai reboutonné sa chemise, j’ai redescendu sa jupe. T’es belle, t’es tellement belle. J’ai attrapé le sac, j’ai sorti mon arme. Du sang coule de ses lèvres fermés. J’ai fermé ses paupières, comme si c’était une poupée, elle n’a pas résisté. J’ai posé le canon entre ses yeux, elle a du le sentir, son corps a tremblé, ses doigts prisonniers se sont tordus. J’ai dit, viens, on s’en va. Et  j’ai tiré.

9 réflexions sur « Nadia »

  1. C’est tout simplement, incroyable, cela semble écrit d’une traite. j’étais totalement captivée. Respect, tes mots m’ont percé.

  2. Le grand Henry Miller commence ainsi l’un de ses livres, « Tropique du Capricorne » : « Il n’est que de vomir l’âme, et le reste suit. » Il voulait dire par-là qu’il faut vomir AVANT d’écrire, pas PENDANT.

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