Je me balade.

Je me suis trompée à la mairie, je suis descendue vers Stalingrad au lieu de filer vers Colonel Fabien. Avant, on évitait ce coin là, l’armée des ombres squattait sous le métro, surtout la nuit, c’était il y a dix ans, quand les crackeurs étaient assez riche pour pousser le caillou intramuros, maintenant ils sont à Saint Denis. Dehors la misère, c’est joli ou presque maintenant, ca se gentrifie comme il faut dire, on a presque plus peur le long du canal, tout change, je vieillis. Je prends à gauche, le long de l’eau, je me souviens cette soirée hip-hop trouvée dans Lylo, un soir de rien faire, les bières tièdes quand il commence à faire chaud à la sortie de la fac, je me souviens avoir marché là, avec quelqu’un qui est mort maintenant, sans que j’arrête pourtant de le chercher partout. Les feux sont tous verts, je file, y’a des gens en terrasse, avant on fumait dedans, je crois que c’était moins bien. Je pleure, d’abord à cause du vent, et puis parce que je me rends compte que ca fait des années que je n’avais pas fait ce trajet seule, des années que je ne voyais pas le Paris que je voulais voir, parce qu’il me fallait demander à quelqu’un de m’accompagner, de m’emmener, de me tenir la main. On ne prend pas le temps des autres juste pour dire qu’on aimerait aller flâner au hasard, on se concentre sur l’essentiel, les rendez-vous, les obligations, on s’adapte au trajet et au goût de l’autre, on ne peut pas regarder la ville changer. Paris m’a manqué, pourtant elle était juste là, à mes pieds, tout ce temps, sans que je puisse en profiter, sans que je puisse me perdre, m’asseoir à une terrasse pour regarder les gens passer, il y avait trop de bruits dans ma tête, je n’entendais rien de la rue, seulement la peur, seulement l’angoisse, l’impossibilité d’être au milieu d’une foule sans hurler à la mort, la paralysie complète devant la porte d’entrée.

A droite le Bataclan, mes meilleurs concerts, ceux qui sont chargés de sens, à gauche la synagogue libérale où le portable de la Rabba sonne pendant qu’elle monte à la teba, le kiddoush au pain complet juste sorti du sachet, au loin Bastille.Combien de rencontres ratées commencent sur les marches de cet opéra, combien d’inconnus se cherchent du regard, se reconnaissent et s’embrassent, combien de fois j’ai posé mon cul tout en haut pour regarder danser, taper sur des percussions, manifester. Ligne droite ou presque jusqu’à la Seine, c’est beau les ponts la nuit, les thés trop sucrés de la Grande Mosquée, les mains de la masseuse qui brisent un par un les noeuds dans mes mollets, les femmes transpirantes enveloppées de leurs paréos, le rassoul, les nues et les habillées, les grosses et les minces, les moineaux qui dévorent des morceaux de baklavas, l’ombre du figuier. L’enfer du couloir de bus, je vois les phares des voitures d’en face arriver, j’ai le frère d’Annie Hall et ses yeux fous dans les miens, et si je ne ralentissais pas, et si je ne me rangeais pas. Décélérer, consciemment, se forcer à serrer les doigts sur la poignée, rien n’est romantique dans l’odeur de la chair explosée sur un capot fumant, rien ne justifie de penser à cela maintenant. Gobelins, comme une frontière, à gauche l’avant, le quartier chinois, la fac, les pétards pré-roulés de la nuit que j’allume en sortant du métro à 7h45 pour rester défoncée pendant mon premier TD, mon prof d’histoire moderne préféré.  A droite, Censier, les terres des autres, le pub irlandais tout en haut de la rue qui monte, ce mec qui m’explique qu’il veut absolument me dessiner, les brunchs encore saouls au Pain Quotidien, les cours de tango publics sur place du marché. L’immeuble d’Elie, avec la piscine tout en haut, je me demande ce qu’il fait, à chaque fois que je passe ici, je me souviens.

Je grille toujours le feu devant la Santé. Beaucoup par bêtise, un peu par solidarité. Je me plais à penser qu’un enfermé remarque mon manège et s’en amuse, c’est stupide, les cellules ne regardent pas le boulevard, pas de distractions pour les prisonniers. L’urinoir old-school est taggé PIPI, au cas où l’on voudrait s’y arrêter pour autre chose, l’institut protestant d’études supérieures me fascine, il semble cacher un jardin extraordinaire. Denfert, il me semble avoir toujours habité par ici, le lion est mon poste douane, j’ai trop de choses à déclarer, je pleure toujours, je ne sais plus pourquoi, peut-être parce que les lumières sont plus jolies brouillées. Je repasse devant mon vieil appartement, celui au rez-de-chaussée, celui de la collocation, des voitures qui rentrent dans le salon, du jardin privé, de mon chien qui aboie sans cesse sur les voisins avinés. Devant l’immeuble il y a ce banc, j’y suis encore, cette nuit d’hiver où plus rien ne fait sens, où je me perds dans mon quartier, je ne reconnais plus les immeubles et les rues, je suis en train de tomber malade pour de vrai. Je passe le périph’, Conforama, c’est idiot comme on se souvient des choses, ce canapé choisi ensemble, c’était il y a un siècle, mais c’est toujours aussi frais, le nom du commercial et son accent étrange, ta main qui serre la mienne pendant que la barrière du parking se lève. Une dernière ligne droite, pour la gloire, pour voir si je passe les 50 km/heure, pour prendre dans la tronche l’air de la nuit, pour sécher mes joues.J’ouvre le parking, j’ai arrêté de pleurer.

5 réflexions sur « Je me balade. »

  1. Contrairement à toi je n’ai pas les mots ni le talent pour dire ce que je ressents à la lecture de chacun de tes posts mais je finis la plupart du temps avec la larme à l’œil et celui ci me touche particulièrement alors je te dis simplement : merci.

  2. Ce sont toujours des textes fluides, humains dont la lecture fait mon bonheur. Il y a des mots, il y a du sens, il y a du style. Je lis encore et encore.

  3. T’as un beau style dommage qu’il y ait tant de « je ». Pas d’imagination. Pas d’avenir.

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