Charlie Hebdo

J’étais en pension, j’étais adolescente. Nous lisions les livres choisis par les soeurs, le journal prêté était Le Figaro. Parfois le courrier arrivait ouvert, nous n’avions pas le droit d’écouter la radio. Chaque matin, une nonne venait nous lire un résumé des nouvelles du monde à la fin du petit déjeuner, événements choisis, sans polémique, édulcorés. Charlie Hebdo était interdit, subversif, bouffeur de curés, communiste, gauchiste, mal élevé. Mon grand-père, qui avait décrété quarante ans en arrière que Dieu était mort et que c’était bien fait, prenait un malin plaisir à me découper les meilleures caricatures du Charlie hebdomadaire pour me les envoyer, dans des enveloppes bleues pastel, qu’il scellait au scotch double face. Il résistait  à sa manière à l’envahissement de mon cerveau par la morale bourgeoise et guindée du pensionnat à l’anglaise délocalisé en forêt francilienne. Ces morceaux de papiers choisis, à l’encre grossière qui détrempait le reste du courrier, ont été mon oxygène pendant des années. Je les gardais dans un gros livre de mythologie, mon herbier aux gros mots et aux libres pensées, classés par thèmes, du plus doux au plus corsé. Charlie m’a appris à dire merde, pour de vrai.

En terminale, j’ai le droit à ma chambre individuelle, fini les dortoirs et les inspections de tiroirs. On a même le droit aux posters et aux postes de radios individuels. C’est la révolution. J’achète Charlie toutes les semaines. Les couvertures découpées rejoignent le mur au dessus de mon lit, les dessins et les caricatures sortent de l’herbier pour rejoindre le liège au dessus de l’évier. Je regarde les soeurs aller et venir, pour me dire d’éteindre la lumière ou de ranger, et poser leurs yeux sur les femmes nues de Wolinsky, sur les mecs à poils de Charb. J’ai le droit, je suis en terminale, on ne me demande pas de les enlever. En revenant des vacances de février, les murs sont vides, plus de couleurs criardes, ce jaune et ce rouge si particuliers, tout a été jeté. Les dames nues et les messieurs à poils sont remplacés par une affiche du sanctuaire de Lourdes. Je lis encore Charlie, et j’écris mort aux connes au dos du portrait de Bernadette Soubirou, avec des lettres découpées dans l’hebdo. Rebelle, mais pas témeraire. Je planque Charlie sous mes cours pour le lire tranquille pendant l’étude, j’écrirai pour demander un stage à l’été, sans retour.

J’ai arrêté d’acheter Charlie à ma rentrée en prépa. Cela coïncidait aussi avec ma rentrée dans le vrai monde. Loin de la bulle, loin de l’enfermement, parmi les gens qui pensent et qui parlent différement. Je n’avais plus besoin de m’identifier comme lectrice de Charlie rebelle aux yeux de mes camarades ou de l’autorité. J’apprenais à critiquer, même mes idoles d’avant, même mes couvertures adorées, il faut brûler vos idoles mademoiselle, pour avancer. Le temps a passé, et Charlie est devenu ce faux ami, ce journal faussement drôle, vraiment islamophobe, vraiment transphobe, vraiment misogyne. Tout cela, je ne le voyais pas ado. Je ne savais pas que les transexuel-les existaient. La misogynie était normale. Ca me faisait même rigoler. J’ai grandi, j’ai appris, j’ai écouté. Je voulais récemment qu’on aille les entarter, ou chier devant leur rédac’, pour montrer mon désaccord. Si je n’appréciais plus le travail des hommes et des femmes qui sont morts aujourd’hui, j’ai pourtant passé ma journée à pleurer, à relire leurs dessins, à penser à leurs familles, à percuter qu’on peut aujourd’hui, au coin de ma rue, mourir pour des idées. Bien sur ailleurs, cela existe, tous les jours. Mais ici, en France, juste là. Ca ne pouvait pas arriver. C’est ce que j’espérais croire encore. Merci Charlie, de m’avoir donné mes premiers merdes, mes premiers énervements militants. Merci pour les heures passées à rêver que je n’étais plus enfermée. Merci de m’avoir donné l’espoir de ne pas ressembler au modéle qu’on me proposait. Merci pour mes yeux ouverts, qui ne se sont jamais refermés.

9 réflexions sur « Charlie Hebdo »

  1. J’avais besoin de lire un texte comme celui-ci. L’hommage sonne juste grâce à la franchise. Un merci de plus !

  2. « ce journal faussement drôle, vraiment islamophobe, vraiment transphobe, vraiment misogyne »

    Sérieusement ? C’est ce que vous pensiez de Charlie Hebdo ?
    Les bras m’en tombent de lire ça.
    On ne doit pas parler de la même chose, des mêmes auteurs.

    Jusqu’à aujourd’hui je lisais vos papiers car je les trouve souvent bien écrits. Régulièrement pourtant je suis en désaccord avec certaines de vos idées, certains de vos avis. Mais c’est tout l’intérêt de la chose : le débat entre personnes censées, aux arguments solides, même entre visions très opposées.
    Je comprends aujourd’hui qu’il y a un gouffre, un abyme définitif entre nous. Et ça me désole, croyez-le bien. Je le dis d’ailleurs sans aucune agressivité.

    Ce jour marque ma dernière visite ici. Je me permets également de vous supprimer de ma liste de liens que je conseille sur mon propre site, ce serait de l’hypocrisie totale de vous y laisser.

    Bien entendu, je me doute bien que vous vous en fichez comme de l’an 40, très certainement aurais-je droit à des commentaires haineux juste parce que j’ose dire cela en toute sincérité et je le répète, sans agressivité, mais au contraire avec de la tristesse. Car c’est bien de celà qu’il s’agit. Vous êtes de plus en plus décevante et désespérante, jour après jour, papier après papier.

    Je jette l’éponge et vais voir ailleurs, en des sites à la vision du monde moins sinistrement faussée.

    Vraiment, les bras m’en tombent.

  3. Steph, bien vu, j’en ai rien à foutre, surtout quand on saupoudre son départ d’insultes, ca me donne plutôt envie de te demander de te casser en fait.

  4. a daria, merci,
    à steph

    Je suis Cabu,
    Je suis Wolinski,
    Je suis toutes les victimes,
    Je ne suis pas Charlie Hebdo

    Je suis Ahmed Merabet
    je suis “cet apprenti ‘l’oser’ (…). Ce « gamin paumé qui ne savait pas quoi faire de sa vie et qui, du jour au lendemain, à rencontré des gens qui lui ont donné l’impression d’être important ».1
    Je ne suis pas Charlie Hebdo,

    Car je ne suis pas Philippe Val, Caroline Fourest, Houellebecq, Zemmour, bouteurs de feu imbéciles si dangereux.………….

    Voici le point de vue du Canard enchaîné de ce mercredi 7 janvier, à propos de « Soumission de Michel Houellebecq,
    « Hélas! ce livre, plus malin qu’ambitieux, échappe à toute critique littéraire… Le contexte bloque la rigolade ».

    Voilà ce que j’ai souvent pensé de Charlie depuis ce sinistre et édito de septembre 2001 de Philippe Val, suite aux attentats : « Hélas! ce journal, plus malin qu’ambitieux, échappe à toute critique littéraire… Le contexte bloque la rigolade ».

    Notre monde est devenu un village. Et dans notre village mondial, des centaines de jeunes filles ont été enlevé par les intégristes de Boko Haram. Voilà le dessin de Charlie sur ce fait tragique :negronews.fr
    Si je trouve ce dessin misogyne et raciste, je trouve aussi choquant de se moquer des victimes, pauvres fillettes, enfants victimes de ces fous de dieu, enlevées à leur école pour devenir prostituées.

    Mes propos vous choque davantage que ce dessin de Charb? C’est juste mon avis, et je vous invite à me conredire

    Je vous invite à découvrir le site rezo.net, un recueil des articles les plus intéressants et sensés, dont un en particulier Ces morts que nous n’allons pas pleurer

    mingah

    1 En savoir plus sur Attaque contre Charlie Hebdo : Toute l’actualité sur Le Monde.fr.

    mercedes

  5. ce billet me parle vachement, presque intimement. tout comme toi j’ai connu Charlie Hebdo quand j’étais au lycée, dans un contexte catho de droite où c’était pas bien vu, et idem ce journal a forgé mes premières réflexions critiques. je m’en suis aussi désabonné dans mes premières années de fac (même si pour des raisons différentes). et idem j’ai constaté avec tristesse leur dérive de ces dernières années, leur refus de certaines remises en question et leur cramponement à un certain style dont l’écho social portait désormais dans un tout autre espace que celui qui fut le leur.
    et mercredi j’ai été abasourdi et pris d’un sentiment d’irréalité devant ce qui venait de se passer. l’affection que j’avais pour eux étant ado, la tristesse de leur mort dans des conditions pareille, et la peur pour ce qu’est en train de devenir l’air du temps.
    merci pour tes mots.

  6. Quelles insultes ?
    J’ai beau relire… ?
    Votre réaction est petite, même minable.

  7. j’ai décroché de charlie-hebdo vers 2000,il ne me faisait plus rire. Je me suis retrouvé,une fois,assis dans les gradins d’un spectacle sous chapiteau,vers les quais de la marne.A côté de P.Val,à me demander si je devais le saluer ou pas.Le personnage me semblait déjà sulfureux à l’époque(1997).Je ne lui ai pas serré la main.Un mauvais souvenir en moins.
    Mais j’ai le souvenir du Charlie-Hebdo de la première époque et de ces couvertures à coller partout.(Coluche était en campagne et participait au bouclage de rédaction).Et d’un malin plaisir d’avoir collé,sur une porte de l’église de mon bled, une affiche de Reiser particulièrement irrévérencieuse envers l’église catholique.C’était drôle!l’ombre du général degnôle planait encore sur la paroisse.
    Après ceux qui sont mort et ceux qui viennent de se faire massacré,ils restent plus grand monde.Je viens d’apprendre que RISS,qui est sorti de l’hosto,était nommer rédac-chef.
    puisse t-il entretenir le flambeau de l’irrévérence encore longtemps.
    Si les caricaturistes sont de pauvres mortels,leurs livres,eux,sont immortels tant qu’ils sont lus.Je viens de mettre la main sur l’intégrale de Marie-Gabrielle de Saint-Eutrope de Georges Pichard qui a fait quelques albums avec Wolinski.
    Je m’en vais lire ça en récitant trois avé et deux pater ou le contraire,et zob de dieu!

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