Et autres contrariétés

Je m’étonne toujours de lire des femmes qui aiment être dupées. Elles adorent, il faut le croire, que l’homme se refuse pour mieux se donner, qu’il feigne l’indifférence pour attiser une flamme érotique, qu’il parle mal pour mieux les chérir ensuite. Je ne parle même pas ici de 50 Shades, d’autres le font mieux que moi. Je parle de ces situations entendues partout, au coin des zinc, dans les bus, quand les femmes parlent à l’oreille mais qu’on entend quand même ‘’il m’a rendue folle, c’était merveilleux’’. Je suis sans doute un robot un peu bête, un bulldozer du sentiment et de la relation, mais je n’ai jamais adhéré aux complications romantiques, aux attentes fiévreuses, aux mensonges charmants, aux manipulations amoureuses. J’aime aimer, et quand j’aime, j’aime le dire, et être aimée en retour. J’aime que moi oui soit franc, que mon non soit plein de sens. J’aime qu’on m’appelle à l’heure dite, qu’on pense à moi de manière régulière et tranquille, j’aime les routines molles et niaises des relations naissantes. Je ne joue pas et je suis mauvaise perdante, on ne gagne donc rien à me balader du chaud au froid, sauf à vouloir me perdre. J’ai conscience de ma valeur, et je supporte mal l’indécision et la tiédeur. J’aime être aimée comme j’aime, entièrement, sans tergiversations d’engagement ou d’amantes passées. J’aime être aimée dans le moment, avec une visibilité souple mais solide sur les jours qui viennent, sans en attendre trop, mais dans l’impatience d’y être.

Je refuse de passer du temps à disséquer les raisons profondes des points de suspensions à la fin d’un message, je ne cherche pas à savoir ce que tu fais quand tu n’es pas avec moi, je remplis mon temps sans toi et cela me va bien. Je suis alors parfaitement vulnérable aux mensonges, je ne m’inquiète jamais de rien, puisque j’aime bêtement, persuadée que mon partenaire me veut du bien. C’est un choix dangereux, mais qui me va bien. Plutôt vulnérable que paranoïaque et perpétuellement malheureuse, du moindre coup de fil, du moindre rendez-vous. Et que pourrait-on me cacher ? Une autre femme, un amant, une vie médiocre planquée quelque part entre le travail et le dîner ? Qu’est-ce que j’y peux ? Oh bien sûr, je pourrais, lire le téléphone, fouiller les poches, éventrer les boîtes mails, mais pourquoi ? Ce n’est pas moi qui me cache, qui trompe et qui ment. Ma vie à moi, continue. Et si je dois découvrir l’infidélité, c’est que mon partenaire est sot. C’est son problème, ses petits arrangements avec sa conscience, et c’est cela que je dois juger. De son manque d’honnêteté, de sa droiture, de sa personnalité. Mais certainement pas de l’usage qu’il fait de son sexe ou du temps qu’il aura passé avec l’autre. Ma vie a continué, pendant tout ce temps. Peut-être était-il dans le vagin d’une autre alors que j’étais occupée ailleurs, à penser à toute autre chose. Et alors ? Dans un vagin ou dans un cinéma, quelle différence ? Il était ailleurs, et a dissimulé cet ailleurs, c’est cela qui m’importe, pas le reste. Je suis peinée par les déclarations viciées, les emplois du temps déguisés, les valises à doubles fonds, je n’aime ni le cirque ni les prestidigitateurs, j’aime ma réalité bien rangée et bien droite dans ses bottes, laissez l’endroit aussi propre que vous l’avez trouvé en arrivant, en vous remerciant.

Je suis une gentille brute en amour, je tombe fort, j’aime vite, je ne me retiens pas. Mais l’amour ne suffit pas, c’est l’âge sans doute qui apprend cela. Je vaux plus que l’amour que je porte. Je vaux plus que l’amour qui m’est porté. Je vaux plus qu’un coup de bite. Mon cerveau, mon âme > mon cul et ma chatte. Je suis essentielle à moi. Pas les autres. Moi. Alors je vais continuer à ne pas supporter les dragueurs et leurs phrases fatiguées, les propositions de 5 à 7 quand madame est au Yoga, les gens qui voudraient bien mais ne savent pas, qui ont besoin de temps, d’espace, de faire un break ou de prendre l’air. Je vais faire exactement comme j’avais dit, en refusant de me compromettre, je ne suis pas une demoiselle à sauver, un bien à acheter, une chienne de chenil à adopter, un fantasme à éreinter, une étape d’une course à gagner, je ne suis pas en attente, je ne suis pas à défendre. Je suis éventuellement la promesse d’un contrat de bonne intelligence. C’est chiant, je sais. Ça ne sent pas la sueur et la luxure, le champagne et les bougies, la cyprine fraîche ou l’absolu. Tant mieux, ça me va.

Lecture musicale de La Petite Communiste Qui Ne Souriait Jamais

D’abord on voit une petite fille, une longue natte, une frange sage, une robe noire. Entourée par l’obscurité de la salle, elle s’élance dans sa lecture comme si elle avait attendu longtemps, derrière les rideaux, trépignant, qu’on arrive pour la regarder. Peu à peu, les gestes la transforment, graciles les mains qui entourent son corps, les bras esquissent une arabesque qu’on pourrait croire compliquée, on en voit que le début, on imagine la suite. La musique saccade les mots qui saccadent la danse pudique de Lola, elle dessine en quelques pas un ballet tout entier, on voit les gymnastes talquer leurs paumes, on entend les pas sur la poutre, les juges se lèvent quand elle s’exclame, la scène neutre devient stade. Elle chante, elle nous tourne le dos, est ce qu’elle chante pour elle, pour nous, pour Nadia, est ce qu’elle est Nadia, les mollets musclés dans des chaussures plates, à genou sur le parquet, le roumain comme si on le comprenait, l’ombre du Camarade, les images des JT de mon enfance, Bucarest, les charniers, les petites filles blondes émaciées sur des tapis de danse, les jeux olympiques, l’exigence d’une idéologie qui ne supporte pas la faute, il faut porter l’image de la réussite communiste, ne parlez pas de bonheur, c’est bien plus compliqué.

La voix de Lola, puissante ou enfantine, j’ai du mal à choisir, c’est sans doute qu’il ne faut pas. Les respirations entre les strophes, en apnée jusqu’au prochain mot, elle ne fait pas Barbara, elle chante la solitude comme elle toute seule, j’ai quelques larmes à ce moment là. Je ne sais pas donner d’âge à Lola. Est ce qu’on peut habiter dans Nadia Comaneci, même trois soirs seulement, sans que cela change profondément le dedans ? Est ce qu’on peut dire à la fois la dictature, la mort, la censure, le froid, mais aussi la vie, la fuite en avant, l’enfance, la certitude d’absolu quand on se projette tout petit vers plus grand, plus tard je serai libre ou roi, infirmière ou soldat, plus tard dans une forêt, j’oublierai qui je suis pour passer à l’Ouest, je n’aurai pas le choix. Elle dit l’identité, Lola, celle qu’on refuse à ceux de l’Est, la mémoire que nous voulons imposer, nous, occidentaux, à ceux qui se souviennent vraiment, à ceux qui ont vécu le communisme dans leurs chairs et dans leurs joies. Il nous est plus facile de tout jeter, de dire l’atroce, le ridicule, que de laisser à ceux qui savent la complexité de leurs souvenirs, de leur histoire. Elle raconte avec le souci de ne pas mentir, c’est peut-être pour ca qu’elle chante, l’émotion est plus nette parfois quand elle ne s’accompagne pas de mots compliqués. Elle t’invite dans un univers compliqué, elle ne fait qu’ouvrir la porte, à toi de faire le reste, laisse toi un peu rêver. Goodbye Lenine, j’ai le crâne en sépia, je vois les rues droites et vides des grandes cités radieuses, la Corée du Nord me revient parfois, j’imagine Nadia, je mélange tout, je m’éloigne du sujet, c’est ca aussi la force de l’objet.

La Maison de la Poésie était le lieu parfait à cette incarnation du livre. La poésie, celle qui fait un peu grincer les dents tout en brisant les coeurs, la poésie des petits riens et de la dernière goutte de café, celle de la poussière et des choses sales mais jolies, elle était là ce soir. Ca n’était pas désespérant, ca aurait pu, ce n’était pas léger, c’était dans cet entre deux confortable et familier des insomniaques, quand tu sais que ta nuit est foutue et que tu décides de veiller, de relire un livre adoré, d’écrire juste pour le plaisir, parce que l’aube semble loin et que demain sera difficile. C’était des morceaux collés sérrés ensemble de choses belles, d’abord tu ne vois pas bien l’image qu’ils dessinent, tu crois le puzzle raté, mais soudain la lumière change et les contours se forment, délimitent un instant suspendu de beauté. Elle finira en Bulgare, une chanson douce amère, pour ce que j’ai pu percevoir, ca disait peut être le contraire, comme une berceuse pour te consoler que cela soit déja fini, qu’il faille dèja abandonner Nadia et Lola dans la salle que la lumière vient déranger, dehors tout continue, j’emporte avec moi tout ce que j’ai rêvé.