An island / A rock

Je cherche les mots pour décoder la beauté. Je cherche les adjectifs et les verbes les plus sincères et les plus clairs. Je cherche à dire ce que je ressens en moi, ce que je vois, ce qu’il se passe dans mon coeur, dans mon ventre, dans ma tête, mais ça ne vient  pas. Je suis trop mobilisée à ressentir, ma peau, mes ongles, mes yeux, il y a trop à faire pour réfléchir et ordonner, penser et classer. Je veux pourtant me souvenir des belles choses, alors je note, je chante, je commence des poèmes que j’ai honte de déclamer, je hurle que ma vie est exactement comme je la voudrais, que je suis enfin arrivée à être moi, et qu’il n’y a rien de plus exaltant, et que si demain est noir, j’aurai la force de m’être trouvée, à force d’en chier. Il aura fallu tout détruire, tout expier, il aura fallu te quitter, il aura fallu trancher les liens et les déclarer cassés pour toujours, il aura fallu apprendre à laisser partir, ouvrir les mains plutôt que de les refermer. Il aura fallu me battre, contre la petite voix qui me répète que je ne suis rien et que je n’y arriverai pas, qu’on est plus au chaud dans le moule des autres, il aura fallu prendre la ferme décision de m’aimer. C’est ma lune de miel personnelle, juste entre moi et moi même. Et je voudrais qu’elle dure, parce qu’on attire le bien en se le souhaitant, je n’y crois pas à ces conneries pourtant. Tout ira bien, même si. Tout est en ordre puisque j’habite enfin dans ma maison, j’ai investi les pièces de mon corps et de ma tête, pas de cartons qui traînent, de vieux dossiers à solder. J’assume pleinement, mes erreurs, mes envies, mes laideurs, mes passés. J’ai usé tant de temps à courir derrière quelqu’un que je n’étais pas, j’ai fait tellement d’efforts pour ressembler à celle que vous vouliez que je sois. C’est terminé.

Auprès de moi, dans la lumière, mes amies, mes soeurs de coeur, celles qui font battre mon sang plus fort, celle qui m’ont aimé malgré moi tant de fois, les très précieuses, les merveilleuses, merci. Pour la route partagée, pour les rires, pour les pleurs, pour les cris, pour les silences, pour la rage, pour la joie, pour ce qui viendra. Des amours, beaucoup, plein, des fidèles et des absents qui reviennent, des douceurs toujours, des découvertes, des neufs qui me font tant sourire que mes joues me tirent, des larmes qui me viennent au moment de jouir. Je suis aimée, et je chéris chacun de ces amours, je tente de les nourrir, des les entretenir, de les faire grandir. Je n’arrête pas d’apprendre, je n’arrête pas d’écouter. Je me nourris de vous, de vos histoires, de vos lumières, de ce que vous choisissez de partager, de vos stratégies subtiles pour m’acclimater. Je me laisse approcher, je n’ai plus peur, venez. Je n’ai plus besoin que les gens soient parfaits, je n’ai plus besoin de serments ou de promesses, j’ai besoin de vous pour les bonnes raisons, pas parce que je crains d’être oubliée. Et si tout cela paraît trop beau pour être vrai, si j’écris un évangile trop simple, pas assez miraculeux pour faire recette, tant pis. Il me va bien, il m’anime, il me transporte, il me protège, il me fait vivre. Je n’ai plus besoin de serrer le corps des autres pour me sentir exister, j’ai conscience de moi, enfin. J’ai besoin de vos rires, de vos colères, de votre tendresse, de vos histoires qui s’imbriquent dans la mienne pour ériger l’autel bancal de nos amours, j’ai besoin de votre peau, de vos odeurs, j’ai besoin de vos cerveaux qui tricotent dans le mien pour me faire avancer. Je n’ai -presque- plus peur d’être rejetée, ou de dire non, j’accepte de ne pas être choisie à chaque fois, je m’autorise enfin à refuser de l’être. Moi aussi, je peux choisir, je peux dire, je peux exister.

Je n’ai pas perdu mon temps jusqu’ici. Je ne regrette pas le chemin, les jolies choses, les ombres me semblent moins dures à présent. Je suis le résultat de ces années à me chercher, à me découvrir, à tester les limites de ma raison, de ma volonté. Je suis le produit de mes erreurs de casting, de mes raisonnements à faux, de mes coups de tête, de ma stratégie de l’échec. Je me réconcilie avec celle que j’ai été. Je me raconte mon histoire dans ma tête, et j’essaie de pardonner le personnage principal, elle n’était pas si mauvaise, elle a bien morflé. Je mets de la crème sur mes vergetures, je décore mes cicatrices de petits dessins naïfs. Je me ferai pousser des fleurs dans le vagin si je pouvais. C’est à ce point. Je célèbre le véhicule qui porte cette nouvelle douceur, je remercie les capitons, les os, mes pieds, de me porter. Oh, je suis dure encore pourtant, la douceur ne m’empêche pas d’hurler, de dire qu’il est très sain d’être en colère, d’alimenter mes révoltes, mon bonheur ne m’empêche pas de penser. Il rend ma peau plus épaisse aux injures, mon cuir est tanné, difficile de réussir à blesser quelqu’un-e qui sait profondément qui il-elle est. Tout glisse, rien ne pénètre en moi sans consentement, ni les bites, ni les mots, ni rien. Je suis une île à moi même, en auto-gestion totale, autonomie de pensée et de décision, et je suis décidée à le rester.

Les hommes violent

C’était le 8 décembre 2015, Luc Le Vaillant publiait ceci, je répondais cela. Et dans une diarrhée verbale née de mon illumination soudaine sur le rapport entre l’islamophobie et la culture du viol, je m’épanche de ceci : tous les hommes sont des violeurs potentiels. Je n’ai jamais appris à modérer mes tweets en fonction du média : Twitter est rarement un lieu de débat constructif. C’est peut-être la seule chose que je me reproche. Cette phrase méritait des explications, que je n’ai pas voulu/pu donner, noyée dans la haine, des exemples :

… et toutes les femmes sont des salopes aussi pfff .. pauvre connasse

Du coup, si tous les mecs sont des violeurs, toutes les voilées sont frigides ?

ma phrase aussi etait tte con , ac sa gueule aucun risque de viol bref bonne aprem mdr

Genre un homme daignerai te passer dessus ? Meme en etant sous exta j’pense il hésiterai

Fais toi soigner sale folle.

avec ton visage maudis la grosse pute sans âme

Comment ça elle a des bourrelets sur les joues & elle se permet de dire « ts les hommes sont de potentiels violeurs »?

toi voilée ou pas tqt pas que j’imagine rien de rien

hey toi franchement vue ta race de mort j’preferais que tu portes le voile a jamais

Voilà pourquoi j’aime pas les féministes … Les femmes aussi à ce moment sale chienne va

a meilleure protection contre le viol ? Etre moche et conne 🙂

toutes des putes

J crois pas que qui que ce soit oserais te violer toi

Si c’est toi sur ta PP tu peux etre rassurée le potentiel va vite descendre a 0 en ce qui te concerne.

c est la fille d hitler réouvre les camps mais tu mets des hommes à la place de juifs. Pas drôles sa vie de persécutée

Toutes les meufs sont des grosses génitrices de fils de pute potentielle ou pas?

Je ne te toucherais pourtant pas avec un bâton de 10 mètres de long, même sous la contrainte ou en échange de 10000€

En tout cas t’es pas une victime potentiel toi

Qd tu croise une feministe une salafiste et une truie

Faut être au bout de sa vie pour te violer @dariamarx T’es tranquille avec les musulmans, il touchent pas au porc.

J’préfère enculer un porc que ce truc !

tu peux m’enlever de ta liste, vu ta gueule ca risque pas d’arriver de sitôt

je préfère me branler que la baiser.

une telle vache avec son anneau s’éxpose au salon de l’agriculture.

Ah mon avis toi tu ne risques rien, Deal with it

Aucun mec n’oserait avec ta tronche, t’inquiètes.

Ferme ta grande gueule en chien de bite. grosse pute que tu es.

Ton papa doit être fier de voir sa fille dire des conneries pareilles. Lui le violeur potentiel

kestu raconte tu croi sa fai bander une racli pa consentante?

ca explique que tu soit un enfant de viol alors.

C’est parce que tu ne trouves pas de partenaires sexuels masculins que tu en veux à ce point aux hommes ? 🙁

Pour les féministes qui pratiquent les réseaux sociaux, rien de très étonnant. Le même bingo bullshit patriarcal et ordurier revient à chaque intervention concernant l’égalité hommes-femmes. Top originalité cette fois ci pour moi, les références à mon papa, comme si j’insultais ma propre identité en étant fille de violeur potentiel. Oui, mon père est un violeur potentiel. Comme le sont mes petits-amis, mes amis, mon comptable et mon dentiste. Je n’ai pas de problème à le dire et je ne me sens pas insultée dans mon identité génétique en l’énonçant. D’autre part, si je suis fille de mon géniteur, je suis aussi une personne à part entière. Et cet être subi les pressions d’une société qui dégueule de culture du viol. Je suis la fille de quelqu’un, mais ils sont plus inquiets pour la supposée réputation de mon père que pour le viol en réunion qu’ils me souhaitent. C’est aussi ca le sexisme.

Nous vivons dans une société patriarcale et genrée. Les hommes cisgenres sont élevés dans l’idée d’être « des hommes des vrais ». Un homme qui ne pleure pas, qui ne porte pas de rose, qui ne cuisine pas, et qui baise des meufs, ainsi les hommes représentent 97% des agresseurs sexuels. Nous vivons dans une société dominée systémiquement par les hommes : ils gagnent plus que nous, accèdent à des postes plus importants plus facilement, sont à l’aise dans l’espace public à notre dépend. Cette domination s’installe aussi dans les relations hommes-femmes : ainsi 1 viol sur deux est le fait d’un partenaire, et 58% des violences sexuelles ont lieu au sein du couple (source UNICEF – Association Stop Au Déni).Nous vivons dans une société patriarcale, hétérocentrée, ciscentrée, qui n’éduque pas les garçons à ne pas violer. Au contraire, on préfèrera enseigner aux filles à prendre des précautions pour ne pas l’être : ne pas rentrer tard, ne pas mettre de tenues vestimentaires jugées comme provoquantes, ne pas « aguicher » l’homme, se tenir dignement : croiser les jambes, ne pas faire de bruit avec ses talons. On ne dira pas aux  hommes d’avoir une consommation d’alcool raisonnable pour ne pas violer, on dira aux femmes de ne pas boire pour ne pas être une proie facile. La culpabilité des agressions sexuelles est portée par les victimes jusque dans le dépôt de plainte : on demande alors à la femme de préciser ce qu’elle aurait pu faire pour provoquer son agresseur, de décrire avec précision sa tenue vestimentaire. Notre société accepte ce constat comme vérité : les hommes violent, et les femmes se « laisseraient violer ».

D’autre part l’imaginaire du viol, documenté par des films comme Irréversible, laisse à penser que les agressions sexuelles ont toujours lieu dans des lieux propices aux mauvaises rencontres, à l’isolement ou à la consommation d’alcool ou de drogue. On imagine le viol dans un parking mal éclairé par un rôdeur, le viol en boite de nuit par un homme alcoolisé … Mais la réalité du viol est tout autre, comme l’expliquent les statistiques précédemment citées. Les viols sont d’abord commis par des familiers des victimes, et plus particulièrement par des compagnons. Les viols ne sont pas seulement des pénétrations vaginales forcées, mais comprennent les pénétrations avec les doigts, les objets, et les pénétrations anales. Un homme qui force sa compagne à une sodomie lors d’un acte sexuel originellement consenti est un violeur. Un mari qui pense qu’une signature au bas d’un contrat de mariage l’autorise à utiliser le vagin de son épouse comme il le veut sans son consentement est un violeur. Un petit ami qui obtient une pénétration vaginale sous la pression (je vais te quitter / je vais dire à tout le monde que) est un violeur. Un homme peut violer sans même savoir qu’il est en train de le faire, dans cette zone dangereuse où se rencontrer le manque d’éducation au consentement d’un partenaire et la peur / l’impossibilité / l’angoisse de dire NON de l’autre partenaire.

Je ne regrette pas mon tweet. Je continue à penser que les hommes sont des violeurs potentiels. J’espère qu’à force d’éducation, de pédagogie, d’interventions d’associations dans les collèges et les lycées à propos de sexualité, de parents qui élèvent leurs enfants dans les valeurs de l’égalité homme-femme, et peut-être d’un sursaut miraculeux du gouvernement et plus particulièrement de l’éducation nationale et d’un hypothétique véritable ministère du droit des femmes, la situation changera. En attendant, je continuerai de parler de viol, et à parler aux femmes de leur droit à dire OUI comme de leur droit à dire NON, de la possibilité de l’autodéfense. Je continuerai à penser qu’il n’y a rien de plus sexy qu’un consentement affirmé, qu’il n’y a rien de négociable dans le sexe, et que nos sexualités n’ont pas à être régies par la pénétration. Vous me pensez radicale, je me pense réaliste face aux menaces concrètes qui pèsent sur le corps des femmes.

Vous vous sentez attaqués dans votre orgueil d’homme quand j’énonce que vous êtes un violeur potentiel ? Faites le tour de votre histoire sexuelle, posez-vous les questions qui vous mettent mal à l’aise, consultez ces 100 questions sur le consentement, évaluez vos comportements quand vous êtes ivres ou sous emprise, interrogez vos ex partenaires. Remettez-vous en question.

Lettre à Luc Le Vaillant

 Monsieur,

Votre chronique du jour dans Libération est une insulte aux femmes, et plus particulièrement aux femmes musulmanes. Vos mots obscènes, la sexualisation à outrance de la femme que vous imaginez regarder, tout cela ajoute à la nausée collective que nous ressentons déjà tous-tes au lendemain du premier tour des élections régionales. Vous avez pris un plaisir voyeur et quasi-pornographique à décrire cette femme, qui ne vous a rien demandé. Vous avez projeté sur elle vos fantasmes, vos délires laïcards, sans vous inquiéter une seconde de ce que « la femme en noir » peut réellement vivre, ressentir, croire. Vous vous servez de votre plume pour lui coudre une veste de contention solide, dont elle ne pourra jamais s’affranchir. Vous enfermez cette femme dans vos préjugés et votre ignorance. Vous êtes responsable des regards mauvais, des agressions, des crachats, des appels au meurtre, des insultes, entendus par cette femme quasi quotidiennement dans les transports au commun. Vous êtes responsable de la sexualisation du corps des femmes dans l’espace public, puisque nous ne sommes à vos yeux que chair, « cuisses, bourrelet, fesses, seins ». Le journal Libération et vous-mêmes assurez ensemble la responsabilité de la diffusion de vos idées nauséabondes, de cette mare puante où croupissent la culture du viol et l’islamophobie, et d’où fleurissent les enfants déformés de vos haines, que nous retrouvons dans nos urnes.

Cette femme choisit librement de ne pas montrer son corps dans l’espace public. Est-ce donc cela qui vous rend si amer ? Vous aimez sans doute regarder les femmes, vous ne vous en privez pas dans votre texte, imaginer leurs formes, vous me direz sans doute que c’est « la nature de l’homme » ou que c’est un « réflexe de français ». Vous imaginez pour elle « une ceinture de chasteté explosive ». Que faut-il comprendre ? Que c’est sa volonté de chasteté qui vous fait exploser sans doute. Son vêtement, son foulard, vous signifie nettement que vous n’avez pas accès à une sexualité consentie avec elle. Vous choisissez donc de vous emparer de sa sexualité. Vous choisissez de sexualiser un individu qui refuse de l’être. C’est donc cela la liberté ? Imposer son désir ? Rangez vos érections de fond de wagon, vous ne trompez personne. C’est la liberté des femmes à choisir leur mode de vie qui vous agace. C’est le choix de cette femme, celui de rester modeste, et de vivre selon les préceptes d’une religion que vous ne comprenez pas, qui vous rend fou. C’est son refus symbolique qui prive votre cerveau de son afflux sanguin normal. Le foulard, le vêtement modeste, cet attachement à garder son corps pour soi ou pour un être choisi, ça vous fait bander, disons-le. Vous êtes sans doute parmi ces millions d’internautes qui tapent le tag #beurettes dans Youporn en secret. Le choix des femmes de s’afficher dans l’espace public comme refusant une quelconque intimité physique avec vous, cela vous frustre, cela vous excite, vous pervertissez donc leur image à la faveur de vos fantasmes sexistes.

Monsieur, après les attentats, vous nous encouragiez à nous « embrassez comme des pervertis » pour faire la nique à la mort. Permettez aux femmes, portant le béret, le foulard, la coiffe ou le crâne rasé, de choisir leurs partenaires de perversion. Permettez-nous de vivre sans nous soumettre à votre idée pleine de couille de ce qu’est la liberté. Ne nous permettez rien, nous en prenons le droit. Penser que vous soumettez les femmes, et plus particulièrement les femmes qui portent le foulard , à la double peine du sexisme et du racisme, et que vous n’y voyez aucun inconvénient, m’est insupportable. Penser que Libération pense qu’il est utile de relayer votre opinion au lendemain des élections m’abasourdit. Vous ne pourrez pas baiser toutes les femmes, Monsieur Le Vaillant. Même avec votre imagination. Même avec votre esprit. Vous ne pourrez pas deviner toutes nos formes, explorer tous nos corps. Nous ne le voulons pas. Nous ne sommes pas consentantes. Laissez-nous vivre. Laissez nous nous couvrir et nous découvrir comme nous le souhaitons. Laissez nous donner du sens ou pas à nos vêtements. Laissez-nous croire, laissez-nous boire. Cessez de penser que vous comprenez les femmes, musulmanes ou juives, en mini-jupe ou en jean. Vous ne comprenez rien. Ni aux discriminations terribles qui pèsent sur les épaules de mes sœurs musulmanes, ni sur les oppressions subies tous les jours par les femmes de toutes confessions ou mode de pensée. Vous êtes un homme cisgenre blanc typique. Il y a vous et votre bite. Ne parlez donc que de cela à l’avenir.