Chèr-e futur-e soignant-e,

On va se mettre d’accord sur un truc. Oui je suis grosse. Et oui ca peut être un truc chiant médicalement. Donc t’as le droit de m’en parler. D’ailleurs si tu m’en parles pas du tout, je vais me dire que t’as du caca dans les yeux, et ca me rassurera pas. T’as le droit de me poser des questions, t’as le droit de me demander si je veux maigrir, oui oui. Mais au premier rendez-vous, alors que tu viens juste de me rencontrer, y’a plein de trucs que j’aimerais que tu prennes en compte. J’aimerais vraiment que tu sois bienveillant-e avec moi. Je sais que t’as des longues journées et que c’est compliqué d’être d’humeur égale avec chaque patient-e, mais essaie, pour moi ? Ne décide pas que j’ai du diabète ou de l’asthme alors que tu n’as pas vu ma glycémie ou que tu n’as pas écouté mes poumons. Ne décide pas que je suis infertile alors que tu n’as pas d’idée sur mon cycle ou mon statut reproductif. Ne me prédis pas du cholestérol alors que tu ne sais rien de ma façon de m’alimenter ou de mes résultats sanguins. Prends le temps de m’écouter, regarde les papiers que je t’apporte, mes analyses, mes radios, mes trucs. Ne me prends pas pour une débile parce que j’ai du gras autour des os, mon cerveau fonctionne, je suis renseignée, alertée, j’ai conscience de mes risques. Si je viens te voir, c’est pour m’occuper de moi, pour me soigner, pour faire quelque chose pour mon corps justement. Alors ne m’envoie pas chier, ne me prédis pas une mort immédiate et violente si je refuse de me faire pratiquer un by-pass. Ne fais pas exprès de rater l’échographie sous prétexte que je suis trop grasse, ton collègue y arrive très bien. Ne me balance pas à la tronche tous les clichés de la grosse, je les connais et je les reconnais, je les supporte, je ne viens pas dans ton cabinet pour être jugée.

Si je viens pour une angine, soigne-moi. Si je viens pour une contraception, aide-moi à choisir, en fonction de mes risques et de mes désirs. Si tu veux parler de mon poids, arrête de penser qu’il faut me faire peur. On me répète depuis mes 6 ans que je vais en mourir. Je sais. Ca ne sert à rien. Ca me donne envie de fuir les médecins, ce genre de discours, de me laisser crever. Foutue pour foutue, qu’est ce que je gagne à t’écouter ? On a pas beaucoup de temps, mais essaie de suivre, les TCA, les traitements psys, marche dans mes pompes 30 secondes avant de me plaquer toute ta clinque sur la gueule. Et puis t’as le droit de pas être d’accord avec mes choix de vie, t’as le droit de penser ce que tu veux, mais t’as pas le droit de me maltraiter. T’as pas le droit de me filer des médicaments qui merdent avec mon traitement. T’as pas le droit de me faire pleurer en me disant des horreurs. T’as pas le droit, pas parce que t’es médecin, juste parce que t’es un humain. Et que ton diplôme, il est chouette, mais sans ca, il sert à rien. Je ne me laisserai pas soigner par un gros connard, je ferai du shopping médical, j’irai de prescription en prescription, de toubib en toubib, je ferai comme maintenant, je passerai par SOS Médecin plutôt que d’avoir un médecin traitant, parce que eux, au moins, ils ont pas le temps d’être cons. J’aimerai bien que tu m’écoutes. J’aimerai bien que tu prennes en compte les spécificités de mon mode de vie, qui ne s’arrêtent pas à mon poids. Ne me dis pas que je n’ai pas besoin de contraception parce que je n’ai surement pas de vie sexuelle. Ne me dis pas que je suis nymphomane parce que je suis bipolaire, ne me dis pas que je prends des risques quand je t’explique que je me protège. Ne me réduis pas à l’image que tu t’es fait de moi, 30 secondes entre ton bureau et ta salle d’attente, la grosse avec un truc dans le nez, ca ne me suffit pas, je suis bien plus. Et je veux bien revenir plusieurs fois pour t’expliquer, si t’as pas tout le temps qu’il faut aujourd’hui. T’es pas mon psy, j’en ai un merci, je vais pas tout te raconter. Juste ce qu’il te faut pour me soigner. Pour une angine, pas grand-chose donc. Pour une contraception, un peu plus. T’es prêt-e ?

En fait c’est simple, je voudrais juste être traitée comme un humain. Si c’est possible. Je voudrais ressortir de ton cabinet sans appeler ma mère en pleurant. Si c’est possible aussi. Je voudrais juste que tu ne me fasses pas mal, avec tes mots ou avec tes mains. Je voudrais que tu me dises honnêtement que tu n’as pas le matériel adapté à ma taille plutôt que de transformer mon bras en aubergine en prenant ma tension. Je voudrais que tu m’avoues que tu sais pas prendre ma tension plutôt que de me trouver 20.18 et de m’envoyer aux urgences alors que tu t’es juste trompé. Je voudrais que tu me dises que tu n’as pas l’habitude de faire un frottis à une femme obèse plutôt que de me faire saigner avec le spéculum. Sois honnête. Je sais que je ne suis pas ta patiente lambda, pas moulée dans la norme. Tu peux pas tout savoir. Peut-être que t’as un-e collègue qui sait mieux, et tu peux m’y envoyer. Peut-être que t’as envie d’apprendre, et que ca peut t’ouvrir des opportunités. J’en sais rien. Mais ne me fait pas payer ton manque d’expérience avec le corps obèse ou ton manque d’intérêt, ou ton dégout. Soigne moi comme un corps de plus, sans me juger. Je prendrai toutes tes recommandations, je t’écouterai, j’irai faire les examens, si j’ai confiance en toi, tu pourras vraiment m’aider, si c’est ce que tu veux au fond.

11 réflexions sur « Chèr-e futur-e soignant-e, »

  1. Beau texte. Une suggestion : Trois lignes avant la fin, je pense que vous êtes en droit d’écrire : « Soigne-moi comme n’importe quelle personne. » Vous n’êtes pas qu’un corps, justement. Loin de là.
    Amitiés et merci
    Martin

  2. Très beau texte, très touchant. Et très vrai malheureusement.
    Je te souhaite du courage et la chance de trouver -enfin- un soignant digne de ce nom (le mien vient de prendre sa retraite je suis dépitée…).

  3. Vous avez toujours les mots, je vous l’ai déjà dit, je me répète …… ne changez rien, vous êtes une belle personne, et ceux qui ne veulent pas le voir, tant pis pour eux

  4. merci pour ce message; on ne soigne pas que de la viande mais une personnes; ca va mieux en le disant et honnêtement j’ai de la chance de ce coté car je me sens respecté par les personnes qui me soignent et parfois je les comprends je dois être très « chiant » et sans doute d’autres ne sont pas toujours bien lunés et un tantinet agressifs alors pour le soignant ce n’est pas des plus agréables

  5. Je viens de lire le comic Bitch Planet, et ça m’a fait clairement pensé à ce que je lis ici, alors je me suis dis que ça te plairait peut-être, parce que ça claque (tout).

  6. Ton texte me parle beaucoup… On a beau savoir qu’il faut être à l’écoute des gens, qu’il faut avoir de l’empathie… Parfois on est maladroits, parfois même méchants parce qu’on ne fait pas attention ou parce qu’on est fatigués. Tu as raison de rappeler tout ça.

  7. Très beau texte. Quelle belle énergie et quelle sensibilité ! et comme monsieur Winckler, un jour j’espère vous vous sentirez bien plus grande qu’un corps tout seul, j’aime répéter à mes clients, amis cette devise : Le Tout est plus grand que la somme de ses parties.
    Donc merci à la grande dame qui croît.

  8. Bonjour,

    J’ai bien lu, j’ai bien compris, aidez moi à résoudre l’équation : soigner tout le monde de la même manière, tout en prenant en compte la spécificité de chacun (et sans stigmatiser…)?
    Avec toute ma sympathie (de blouse blanche – 25 ans d’imagerie)

  9. Dans un autre style, un retour sur ma dernière consulation !

    http://kesskidi.net/Lettre-d-un-gros-a-Sigmund-Freud

    Je n’ai pas été malmené cette fois-ci. Mais j’ai eu la désagréable consultation d’un médecin du travail qui voulait (illico) m’enfermer dans une clinique ! J’ai mis quelques jours à m’en remettre et ma confiance dans les « blouses blanches » a beaucoup baissé, rejoignant en beaucoup de points votre billet.

    Merci

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