Being Fat

Je suis grosse. Je n’ai jamais manqué de rien. Ni de travail, ni d’amour, ni de désir, ni de sexe, ni d’attention. Je suis grosse et je ne réponds pas aux clichés que les émissions télévisées voudrait véhiculer. Je suis grosse et je déteste les grosses, celles qui se plaignent et qui geignent, celles qui sont persuadées que leurs bourrelets les empêchent de travailler, d’aimer, de baiser, de vivre et de jouir. Pire qu’elles, il y a les petites morues qui n’osent pas se baigner car leur maillot de bain Etam soldé leur moule légèrement le pied de chameau, vraiment elles sont ignobles avec leurs trois kilos en trop, ça bouffe de la salade et du céleri, ca s’enfile des diurétiques et ca chie de l’air pourri, mais surtout c’est persuadé que la vie est foutue, que personne ne voudra d’elles et qu’elles doivent accepter leur sort, les garçons comme des sauveurs, enfin un pénis qui accepte de les bousculer, y’a pas d’amour dans leur vie, juste le sentiment affreux de s’être résigné.

Accepter qu’être gros n’est pas un état transitoire est un acte de foi. C’est arrêter de prier la fée Top Santé, cesser les offrandes sur l’autel des charlatans et des acupuncteurs, envoyer chier la famille attentionnée qui vous demande de continuer vos efforts, c’est pour ton bien, c’est pour être en bonne santé, c’est réaliser que ta vie ne changera pas lors d’un hypothétique régime miracle, que tu ne peux plus fuir devant les excuses pondérales, que tu es seul maître à bord et qu’il est temps de se bouger, qu’à trop répéter que ton poids handicape tu es devenu paraplégique, bloqué dans un schéma de pensée qui t’empêche de te révolter, clouée sur ton canapé à te lamenter, laissant passer les opportunités, bouffant tes regrets dans des orgies de chips.`

C’est stupide et c’est trop simple, mais ce qui compte, ce qui frappe et ce qui te permet d’être, c’est ce que tu cultives à l’intérieur. On est pas beau par hasard, on rayonne du dedans, on donne du sens à notre corps et on l’habite vraiment, on ne s’en détache plus pour rêver à celui qu’on désire, on s’en empare et on le façonne pour qu’il nous rende service. Je déteste les discours sur la beauté intérieure pourtant, je ne bande pas pour les laids, les connards ne m’excitent pas, mais à se couper de son épiderme on oublie qu’il existe, on flotte un peu mollement dans un état second, persuadé qu’on est trop gros pour plaire et que notre corps doit se cacher et se faire oublier. Le corps gros est beau quand il est habité, quand les chairs se font denses, qu’elles se tendent et qu’elles vibrent, quand elles sont caressées et quand elles prennent du plaisir, elles ne sont plus capitons et vergetures, elles ne sont plus désespoir et honte, elles respirent et semblent déjà moins grises, elles se rendent souples, elles savent plaire, quand sa main caresse ton ventre dodu et que tu le laisses faire.