Enjoy the silence

Je déteste la solitude et pourtant je la recherche, j’aime penser seule, parler seule, écrire seule, je ne partage pas la musique qui me fait vibrer, je la garde pour moi comme un secret, mes livres sont rognés, cornés, fatigués, je ne le prête pas pourtant, ils sont lus, dévorés, relus et digérés, mon appartement c’est mon antre, quand tu viens je me sens dérangée, je veux pas que tu vois mon merdier, mes trucs et mes piles, le courrier entassé dans l’entrée, ni ouvert, ni trié, la télécommande scotchée, la grotte dans ma chambre, mes 3 bouteilles d’eau, mes mouchoirs et mon ours en peluche, chez moi c’est mon refuge, je m’y planque quand j’ai mal, quand je vais pas bien, quand je chouine, si tu viens, s’il te plaît, ne touche à rien et repart vite.

Quand je suis dans un groupe, j’essaie d’être sociable, je claque des bises et je raconte des conneries, j’essaie de m’intéresser, en vrai je suis pétrifiée, sortir de moi me demande un effort terrible, je m’arrache de l’intérieur, j’ai l’impression de me mettre en scène, réfléchir à ce que ferait une nana cool si elle était à ma place, qu’est ce qu’elle dirait, de quoi elle parlerait, j’ai ce complexe affreux, l’impression paranoïaque que personne ne viendra jamais vers moi, alors je provoque, je cherche, j’en fais trop, je parle trop fort et je bouscule, si tu me plais et que j’ai envie de t’embrasser, je sais pas faire, je te propose direct de te sucer.

J’aimerai trouver le juste milieu, le sens kantien de l’équilibre, être moi sans réfléchir, la scénographie de la sociabilité me fatigue, j’ai trop d’informations qui me submergent, le tri est trop difficile à faire, je prends les gens en pleine gueule et ils me retournent à chaque fois, en bien, en mal ou en pourri, en tout cas je ne les oublie pas. J’envie et je hais les communicants, ceux qui savent parler de la pluie et du beau temps, qui se lient d’amitié en dix minutes, ceux vers qui on va naturellement, qui donnent envie, qui savent sourire, je me sens toujours de trop, toujours mal placée, toujours décalée, je sais pas faire simple, l’alcool la nuit ca aide mais ca n’enlève pas l’essence de mon souci, une timidité maladive que j’enfouis sous une tonne de connerie.

J’ai toujours besoin d’en faire plus pour me sentir à la hauteur, le complexe de la grosse fille par excellence, c’est pas original, c’est tout à fait triste, comme si pour me faire pardonner de mon monstrueux physique il me fallait compenser, composer, impossible d’être juste moi pour être aimée. Si je tombe amoureuse c’est une torture, je me plie en douze pour te plaire, je te singe et je t’imite, persuadée que ce n’est pas moi que tu aimes en moi, mais le reflet que je t’offre de toi. J’ai pas encore appris à être vraiment seule dans mon corps, dans ma tête, débarrassée des autres moi, l’allumeuse, la salope, la drôle, la déprimée, la cynique, la méchante, la généreuse, la connasse, elles m’habitent et me plantent des aiguilles dans la moelle épinière, elles me font fléchir et m’oublier, je voudrais les vomir, les tuer, mais elles me protègent et je les connais, elles sont autant de facettes de moi avec lesquelles jouer, elles sont moi et je suis elles.