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Like antennas to heaven

Je ne dors plus, ca fait un mois maintenant. Mes nuits n’existent pas. Je n’en fais rien. Je ne dessine pas, je n’écris pas, je ne rêve pas, je ne sors pas. Je me contente de rester là. Immobile. Concentrée. Faire taire l’intérieur de la tête. Un moment d’inattention et tout pourrait sortir, les monstres, la peur, les regrets, la culpabilité, ils sont là, juste derrière. On se regarde, eux et moi. Ils se cachent dans les plis de mon crâne, ils se planquent derrière mes yeux, prêts à bondir, ils m’attrapent le pied qui dépasse de la couette et me dévorent en silence. Mes monstres, recette personnelle, mélanges de visages, de souvenirs, de solitude et d’abandon. Mes affreux, mes chéris, j’ai oublié qui j’étais sans eux. Je les aime, tout simplement car ils sont les seuls témoins, mes seules vigiles. Personne ne me connaît aussi bien qu’eux. Personne ne sait.

Ils sont agités ces temps-ci, car je travaille dur à les laisser s’en aller. A regarder la réalité, sans fantômes et sans effets spéciaux. Alors ils s’accrochent, ils font des caprices, les sorciers. Je me force à pleurer, clous rouillés dans les tempes, je me force à avancer, ils zonent quelque part dans mon système nerveux, mes paupières tremblent. Tout bouge, trop vite pour que mes pupilles s’adaptent, je ne peux plus me regarder. J’ai la nausée, le manège s’est emballé, je veux descendre mais j’ai payé pour le grand frisson, serre les dents, ca va passer. Mon visage m’apparait flou dans la glace, je me trouve changée. Je ne sais plus qui je suis, je reconnais bien mes traits, mais je ne sais plus les animer. Qui-suis-je au fond, sans mes traumas qui font si bien mon identité, qui-suis-je sans ma légende, qu’est ce qu’elle me veut, cette grosse dans le miroir sale, tout est si compliqué.

Je voudrais bien l’été. J’oublie qu’on est aussi très malheureux, l’été. Je voudrais bien la paix en tout cas, ne plus trembler. Tout passe. Tout ira bien, c’est écrit sur la grosse bouée. Je ne me laisse plus le choix, je n’ai pas le temps de laisser passer. J’accepte de chanceler, sans bien savoir comment je vais me relever. Cette fois, c’est juste moi, j’ai compris que c’est une chance de m’avoir dans mon camp, d’avoir arrêté d’espérer qu’on vienne me sauver. C’est joyeux, mais c’est terrible, c’est vieillir. Je porte le deuil, j’en reconnais les étapes, j’en suis à la colère. Un jour les monstres devront se taire, et je vais les pleurer. Sans eux, je suis seule à pouvoir m’accompagner. Sans eux, je n’ai plus rien pour me cacher.

Iphone 5 gratuit

Au magasin derrière le comptoir, je joue un personnage, je joue à la marchande, je sens le client, je le tate et je le retourne, je le vois arriver et je sais déja ce que je vais lui fourrer, c’est comme un jeu de plateforme, plus tu gagnes de pièces, plus ta vie augmente, à chaque client encaissé j’ai comme un rush de points de vie supplémentaire, bling bling les pièces tombent en cascade dans ma poche vide, encore quelques victoires et tu peux passer au level d’après, acheter une arme de poing magique ou une potion de santé. Seulement le client aussi joue dans un jeu parallèle, le souci c’est qu’on ne se comprend pas souvent, on a pas les mêmes règles, nos targets et nos missions sont différentes. Quand je le pousse dans la lave de la surconsommation, il se rattrape à la liane de l’économie, c’est la jungle pour réussir à s’accorder, entre ce qu’il veut et ce qu’il m’arrange de lui vendre, nos objectifs sont éloignés. Le meilleur client, c’est celui qui n’a pas d’argent, c’est bizarre mais c’est la réalité, dans le monde compétitif à aux gadgets technologiques, le pauvre veut avoir sa place, il ne veut pas se sentir lésé, alors il change de portable aussi vite que possible, peu importe le prix et l’engagement sur trois ans, il veut se la péter avec son mobile bling-bling, il accumule les lignes et les combines, l’important c’est d’être comme tout le monde, l’important c’est de participer. Le plus drôle c’est que la moitié d’entre eux ne comprennent rien aux machines qu’ils achètent, les monstres qui habitent nos poches arrières sont de plus en plus gourmands, il faut les connecter et les paramétrer, les synchroniser et les apprivoiser, Iphone sans ordinateur, sans compte Itunes paramètré, sans aucun son téléchargé, juste pour l’objet, juste pour dire qu’on peut l’acheter, Androïd délaissé parce que trop compliqué, envoyé au pays par La Poste pour satisfaire les envies du petit cousin étudiant en informatique.

Les riches ne sont pas plus intelligents, mais sont souvent plus équipés, la famille se congratule d’être 100% Apple, de la tête au pied, mais le petit dernier fait son rebelle et voudrait un téléphone Windows, parce que c’est plus pratique pour MSN, t’as vu, rien à branler de vos Iphones de boloss, moi j’veux du lourd, du solide, du clapet. Qu’est ce qu’on est cons, avec nos briques d’egos dans les poches, à les astiquer comme des manches dès qu’il pleut, à consulter nos messageries comme si l’avenir du pays en dépendait, mec, t’as cru que tu détenais le code des armes de destructions nucléaires, ta petite coque en caoutchouc serait le dernier rempart contre l’envahisseur à ta vie privée, on protège nos petits secrets, nos petites trahisons, ce message qu’on aimerait oublier, un historique d’une nuit d’insomnie, on met des codes d’accès plus compliqués à taper que les braguettes à défaire. Ton honneur est dans ta machine, moi j’en suis complètement dépendante, c’est stupide, je ne sais plus sortir de chez moi sans musique dans les oreilles, le téléphone contre mon sein, planqué au chaud, nid à radiations il paraît, je m’arrête à la moindre vibration comme une poupée désarticulée, plus de batterie, tout le monde panique, les soirées ne se passent plus dans la cuisine mais autour de la multiprise. On se veut relié au monde, joignable en permanence, on s’enferme dans nos bulles, casques à un demi SMIC bien planté sur le crâne d’adolescents clinquants, même les stoners et les rastas se précipitent sur les stands d’opérateurs plantés dans la boue des festivals de l’été, recharger son téléphone pour continuer à exister, pour montrer qu’on est là où on est, pour se checker, se clicquer, se foursquarer, se retwitter, pour ne rien dire que de la merde, pour ne rien faire que de l’ordinaire.

Last season

J’ai vécu presque deux années sans sortir de chez moi. Enfermée dans un appartement trop grand, n’occupant qu’un tiers de l’espace, recroquevillée dans un coin, attendant que le temps passe. J’ai vu les saisons défiler, l’été et puis la neige, je me suis promis de sortir, je me suis jurée d’essayer. Des centaines de fois, la peur au ventre, j’ai descendu les escaliers pour m’arrêter dans le hall d’entrée, pétrifiée par la peur, incapable d’avancer. J’ai senti mon coeur s’emballer, mes jambes se dérober, j’ai pleuré devant les boîtes aux lettres, dans l’escalier, j’ai appelé au secours, je me suis effondrée, j’ai perdu mon souffle pour quelques mètres à faire. J’ai annulé deux cents rendez-vous, j’ai menti, je me suis cachée, qu’est ce qu’on peut expliquer, qu’on ne peut pas sortir de chez soi, qu’il fait trop peur dehors, que ca ne va pas. J’ai refusé de sortir de mon lit des jours entiers, j’ai prétexté des grippes et des angines, des nuits blanches et des soucis, j’ai esquivé, j’ai supplié de me pardonner, j’ai perdu des amis, je me suis effacée. C’est une saleté de truc, cette angoisse du dehors, cette peur panique de se retrouver seule, livrée au milieu de rien, de tous ces inconnus, de la rue et de ses bruits, et cette sensation de mourir qui n’en finit pas de monter, je suis morte mille fois, je peux le jurer.

Je sortais bien sur quelques fois, en courant presque, le plus vite possible, arriver aujourd’hui à atteindre le tabac, le supermarché, la pharmacie, tout devient un exploit, tout devient un obstacle, je porte ma peine dans mon cabas, je suis incapable de marcher sans mes écouteurs, de la musique trop forte pour oublier de penser, choisir la caisse la moins occupée, ne pas se retrouver coincée dans une queue trop dense, ne pas parler aux inconnus, fuir le monde, rentrer, retrouver mon nid, mon odeur, oublier les ascenseurs, les espaces clos, le métro, je ne suis bien ni dedans, ni dehors, je ne suis bien qu’endormie, quand j’oublie. Alors je dors beaucoup et je me laisse anesthésier par le silence de mes réveils, je vis seule, alors j’écoute mes voisins vivre, je trouve rassurant des les entendre parler, de les entendre tousser, je passe des jours entiers sans entendre le son de ma voix, je deviens folle, je n’ose plus aller pisser, je n’ose plus monter en voiture, je suis enfermée à l’intérieur de moi, et je n’ai plus la force de me battre, je me laisse crever. Des semaines entières passées à craindre d’avoir à parcourir quelques kilomètres pour affronter un rendez vous administratif, des nuits passées à penser à avaler la boîte de Temesta. Je ne chouine pas, je raconte, c’était ca ma réalité, ce néant, engluée, incapable de penser à autre chose qu’à ma peur, incapable de réfléchir, incapable de chercher de l’aide, incapable de me soigner.

J’ai mis presque un an à pouvoir revivre. Pendant ces douze derniers mois, j’ai réappris à évoluer normalement. A ne plus avoir peur. A contrôler mon angoisse. A ne plus penser au pire, tout le temps. A rire. A atteindre le bout de ma rue sans fondre en larmes, sans appeller à l’aide, sans tomber dans les pommes, sans souffrance. Je ne suis pas guérie. Je suis toujours incapable de faire des choses pourtant simples. Je suis toujours en apprentissage. Je ne suis pas encore tout à fait libre. Mais je suis libérée. Je sais qu’il est possible que la peur cesse. Je sais que je ne suis pas condamnée, les murs ne se rapprochent plus sur moi. Il m’arrive de passer des journées entières sans me sentir limitée, des journées soleil, en pleine possession de mes moyens, sereine. Petit à petit, j’arrive vers vous, les normaux, ceux qui ne se posent pas la question avant de sauter dans le métro, ceux qui partent loin sans se retourner, j’arrive et j’ai faim, j’ai oublié des quartiers entiers, mes souvenirs datent de 3 ans, je  veux tout voir. Ils ne sont pas nombreux, ceux qui restent fidèles, à attendre que je fasse mes vrais premiers pas, mais ils comptent plus que tout, ils n’ont pas eu peur, ils ont su comprendre, ils sont forts pour moi. Ils m’attendent, j’y vais.

Carte du tendre

Moi ce que je voulais, c’était un peu de tendresse, pas seulement baiser, c’est con mais au bout d’un moment, le sexe est triste, il ne te raconte plus rien, moi je voulais des bras et des sourires, que quelqu’un prenne le temps de faire semblant de me plaire, je voulais de la tendresse mais ca ne se fait plus. Peut-être parce qu’être tendre c’est compliqué, parce qu’on se livre plus en soutenant un regard ou en murmurant qu’en défonçant des culs, qu’il faut plus d’intimité pour être tendre que pour la plus profonde des sodomies, parce qu’on ne fait finalement que se masturber dans l’autre en attendant que le temps passe, et que c’est triste, tout ce vide. Je ne voudrais pas être vide, intéressant choix de mot pour une grosse dirait mon psy, je ne voudrais pas être vide et ne rien vivre que des bonheurs faciles et instantanés, figés en poudre humide comme ces soupes dégueulasses qu’on te refourgue à la cantine. La tendresse, ce mot à la con, loin des montages de cagoles enflammées qui déclarent par photo montages leur amour éternel au premier kéké, ce truc doux et dingue qui te pousse à te poser à côté de quelqu’un, juste pour être bien.

C’est peut-être ce qui fout tout le monde le cul par terre devant des videos de Free Hugs, ces inconnus qui proposent à d’autres inconnus de les serrer quelques secondes contre leur coeur, cette tendresse humaniste, gratuite, je te serre parce que je te reconnais, et que tu mérites d’être serré, c’est débile de le décortiquer, ca devrait être évident. Et pourtant, des millions de vues, de commentaires émus, juste parce que tu prends quelqu’un contre toi, sans penser un instant à lui sucer la bite ou à explorer son vagin, à lui tirer des tunes ou même à connaître son prénom, juste la force stupide du lien qu’on crée en s’autorisant à être tendre, pour rien. Bien sur ca ne change pas le monde, je ne crois pas aux énergies décuplées par le frottement des corps, mais ca change le cours de la journée, un hug, un calin, un coup de fil, un baiser. T’es pas obligé d’y croire, tu peux même trouver ca niais, à chier, mais ca fonctionne, méthode approuvée, quelques secondes de calme, la possibilité d’être soi, la chaleur de l’autre qui colle à ton pull quand tu t’en vas. J’aime poser ma main sur l’épaule de ma mère quand elle conduit, c’est mon truc à moi, ma tendresse, même si elle ne le sait pas. J’aime serrer mes amies contre moi, fort, jusqu’à ce qu’elles s’en aillent asphyxiée. Et j’aime être serrée.

Je me demande ce qui merde à l’intérieur pour qu’on se refuse tout ca. Pour que certains aient peur de se montrer tendres, doux, parce que tu comprends, elle va s’attacher, elle va se faire des films, et puis je suis pas comme ca, la tendresse, on ne me l’a jamais donnée. Pour que certaines se blindent derrière des couches de béton armé, maquillées à l’acide, le cynisme d’abord, le doux, jamais, ou alors en privé, quand elles pleurent, quand elles se laissent enfin aller. Je me demande pourquoi je ne peux pas écrire de jolis billets amoureux parce que j’ai peur d’être traitée de romantique mongole, de niaise à tête de licorne. Pourquoi je ne suis pas cette fille qui organise de jolies surprises, pourquoi je préfère faire rire plutôt que de me laisser toucher. Y’a la peur, le manque de confiance en soi, la culture du LOL, l’impression de toujours tout faire foirer. Et puis le monde qui tourne mal, avec des cadenas sur les poubelles pour empêcher les pauvres de voler des produits périmés, ce genre de nouvelle hyper violente qui me fout des crampes, la boule au ventre, envie de dégueuler, de me mettre en colère, pas de m’attendrir ou de baisser ma garde. Tout me fait violence, sans exagérer, j’ai presque honte de mes envies de tendres, alors je les remballe, et je regarde ceux qui savent kiffer.

Bonus

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Barbecue

Je rêve d’un grand incendie. Je rêve de me foutre le feu à l’intérieur, que ca brûle bleu. Craquer une allumette, danser sur les cendres, ca sent la viande morte, le cadavre, la chair dégouline et la graisse suinte brillante, tombe en grosses gouttes molles à mes pieds. Les morts sont raides, froids, engoncés dans des boîtes, climatisés à jamais, je voudrais brûler, je voudrais vivre, quitte à disparaître, quitte à hurler. J’ai vu le cadavre de cette femme qui venait de sauter de sa fenêtre, encore trop bien coiffée sur le trottoir mouillé, comme si la chute avait suspendu le temps, sa chemise encore consciencieusement rentrée dans son pantalon pincé, il y a encore une minute elle se penchait simplement au dessus du vide, pour calculer sa mort, pour anticiper le bruit de ses os sur le bitume glissant, elle a rentré sa chemise dans son vêtement, pour s’assurer qu’elle resterait digne, les cheveux attachés sur son crâne fracassé. Elle était là, entière, comme intacte, son sang seul continuait à vivre sans elle, elle se répandait là, devant sa porte d’immeuble, la tête d’abord, et puis une marée sombre sous son dos brisé. Je me suis demandée si elle avait débranché le téléphone, si elle avait pensé à écrire ses dernières volontés, ou si elle avait sauté, prise à la gorge par son grand incendie, calcinée de l’intérieur avec rien pour l’apaiser.

Je connais les incendies, ceux que mon cerveau déclenche parfois, quand les molécules s’emmêlent stupides autour de mes synapses trouées, comme des centaines de bougies d’anniversaires magiques, celles qu’on achète  pour faire enrager le petit dernier, tu perds ton souffle, tu postillones sur la crème pâtissière, elle ne s’éteint jamais. Imagine une chambre noire, son ampoule rouge et son ambiance ouatée, et soudain des milliers de clignotants, des stroboscopes, sans prévenir l’incendie reprend, explose tes pellicules, tout est gris sur le papier révélé, plus rien ne s’imprime à la surface, tout est contenu dans les éclairs qui s’acharnent à te dévorer la cornée, tes yeux ne fixent plus la couleur, alors tu te regardes l’intérieur, tu te concentres pour éteindre les flammes, mais rien ne fonctionne jamais. Alors comme les fous, tu te mets à parler trop fort, à fermer les yeux et à taper dans les murs, parce que rien ne contient le feu, rien n’arrête la destruction enclenchée, tu cherches le sommeil, tu dors le jour parce que la lumière se superpose à ta douleur et que tu la confonds presque avec du bien être, l’obscurité force le contraste, la nuit  l’incendie est plus fort que jamais.

Je voudrais brûler d’un incendie franc, me consumer et disparaître. Une fois réduite à rien, une fois poussière, sang séché sur viscère molle, il n’y aura plus rien à contenir, rien à réprimer. Une sorte de retraite bouddhiste fulgurante, ascétisme garanti, retrouvez votre concentration et votre ligne grâce à nos dix méthodes faciles vers l’ataraxie. Crac, une allumette, bien sur c’est douloureux, on ne quitte pas facilement des années d’ego et de stimulis inutiles, ne plus rien ne ressentir c’est compliqué, mais avec de la bonne volonté, vous allez y arriver.

Chère Delphine Desneiges de Cosmopolitan

Madame,

Le 25 juin 2012 vous vous fendez d’un article intitulé « Les rondes et la mode ». Je suis moi même de consistance molle à très molle. Je m’empresse donc de lire avec intérêt votre billet, que je me permets de reproduire ici en italique. Il est ligne ICI.

Je dois avouer avoir d’abord réagi de manière un peu franche. Je pense que « bande de trous du culs » a été mon premier sentiment sur Twitter. Votre texte est d’une telle hypocrisie que j’ai failli m’étouffer dans ma tartine de saindoux. Et puis, sans doute prise d’un élan soudain de charité, j’ai décidé d’éclairer votre vessie à l’aide de ma lanterne.

Reprenons donc.

Malaise. Et débat : ce matin, à la rédaction, nous recevons un communiqué de presse intitulé « 1er shopping avec mannequin pro taille 48 ».

Soit. L’info est en effet intéressante en soi. Sauf que… Le côté racoleur nous interpelle.

(Vous pouvez voir le shooting ici : Ma Grande Taille)

Tiens, je trouve ca rigolo « racoleur » comme choix de mot. La pub Gleeden, par exemple, jouant sur l’infidélité, je trouve ça racoleur. Une fille en vitrine qui propose ses charmes, c’est du racolage. Une couverture de New Look avec « Les photos des seins de Kim Kardashian », c’est racoleur. Quand je lis vos dossiers de sexologie, pleins de clichés, d’informations erronées, d’idées sexistes pour « pimenter sa relation » ou « satisfaire ses fantasmes », je juge cela racoleur. Mais une mannequin en 48 ? Vraiment ? C’est l’association de la taille et du mot mannequin qui vous fait vomir ? Vous ne vous imaginiez pas qu’une femme « si grosse » puisse prétendre au statut de mannequin ou qu’elle puisse porter à elle seule une marque et une campagne ? Qui racole ici, Madame la journaliste ? Vous sans doute, en mettant ce communiqué de presse en question. Ou en vous prenant en photo sous tous les angles en portant un masque de tête de mouton, mais c’est une autre histoire.

 

Oui, il y a définitivement trop de mannequins bien trop maigres dans les pages des magazines, oui, les filles shootées sont très loin de refléter la réalité, et oui, la mode exclut bien trop facilement les rondes. Tout cela, on ne le sait que trop. Lorsque l’on élabore un dossier mode, on tente, à notre petite mesure, de régler ce différent, même s’il n’est pas toujours évident – pour ne pas dire franchement difficile ! – de trouver des visuels de jeunes femmes plus en chair que celles que l’on a coutume de voir partout, tout le temps.

Donc si je vous suis, c’est uniquement de la faute des annonceurs, des marques, des méchants grands de la mode, si je n’ai pas ma place dans les pages modes de votre magasine ? Vous, vous luttez pour mon bien, vous vous imposez régulièrement au sein de votre rédaction en levant le poing, l’autre main fermement ancrée sur vos hanches de prolétaire en colère. Mais bien sur. Et les séries modes, shootées sur de jolies plages par des mannequins de 16 ans aux formes inexistantes, cela n’a rien à voir avec Cosmo. Et les photos en maillot, ou pour présenter des bijoux, tout cela est uniquement le fait des grands vilains de la mode. Mais alors à quoi servent les pages « fashion » de votre magasine ? Elles ne sont qu’un vulgaire catalogue. Le Diable en Prada m’aurait il menti ? Il n’existe pas de casting pour votre encart mode ? de prises de vues ? de prêts de créateurs pour vos pages ? Les journalistes, les rédacteurs en chef, n’ont donc aucun pouvoir sur ce qui est publié ? Allons. Soyez au moins honnête.

« Rome ne s’est pas faite en un jour » : c’est un fait, cela prendra plusieurs années avant que tous les acteurs du secteur de la mode intègrent que les lectrices en on assez de voir des photos de jeunes femmes faméliques qui ne leur ressemblent guère.

Selon Wikipedia, Cosmo existe depuis plus d’un siècle aux USA, et depuis 1973 en France. Le problème de la place de la femme et de sa représentation est au cœur des réflexions de nombreux mouvements depuis bien plus longtemps. Si l’ensemble de la population française continue à grandir et à grossir, les mannequins que vous choisissez pour vos images ont eux connu une baisse sensible de leur âge et de leur tour de taille. Vous n’êtes pas là pour rendre un service aux femmes, pour leur ressembler ou pour leur plaire, mais bien pour les conforter dans un perpétuel malaise, une perpétuelle insatisfaction sur leur physique et sur leur mode de vie. Ainsi, le corps moyen de vos lectrices ne correspondra jamais à celui de vos modèles, et le shopping proposé dans vos pages sera toujours au dessus de leur budget. Il s’agit de vendre du rêve, certainement pas d’être bienveillant, de se rapprocher de la lectrice. Cessez de mentir, de proclamer votre volonté universaliste de représenter toutes les femmes. Vous mentez. Vous le savez, non ?

 

Pour autant, faut-il toujours et systématiquement mettre en exergue les rondes lorsqu’on leur consacre une série mode, par exemple ? Et, plutôt que de dédier une série aux rondes, ne peut-on pas, au contraire, les intégrer aux côtés de mannequins plus en phase avec les silhouettes « moyennes », sans être rachitiques ? En d’autres termes, doit-on forcément passer pas une phase de « discrimination positive » pour faire avancer les mentalités ?

Quand je vous lis, j’ai l’impression que je prends un cours de coréen avec Kim Jong Il. Vous qui pratiquez depuis des années dans votre magasine des choix éditoriaux visant à discriminer et à ostraciser les femmes qui ne rentrent pas dans votre prisme de la normalité, vous souhaitez aujourd’hui donner des leçons d’intégration ? J’ai lu Cosmo UK, US et Fr pendant toute mon adolescence.Vos éditions anglo-saxonnes font parfois l’effort d’intégrer des femmes aux physiques différents dans leurs pages, et donnent assez fréquemment des conseils de mode jusqu’à des tailles 54 ou 56, mais je ne me souviens pas d’avoir une seule fois trouvé quelqu’un qui pourrait me ressembler dans les pages de l’édition française. Vous n’avez pas l’air de souffrir de votre apparence, si j’en crois votre blog personnel, et les marques que vous portez me laissent penser que vous devez vous trouver fort à l’aise dans les pages que vous défendez. Ce n’est pas mon cas, ni celui de toutes les femmes qui dépassent la taille 42. Cela fait un paquet de monde. Vous avez su nous conseiller les dernières diètes des stars, comparer les produits protéinés aux sachets solubles, vous nous avez convaincu qu’on allait vraiment perdre 4 kilos en une semaine sans les reprendre, qu’on pouvait avoir l’air mince en choisissant bien nos couleurs, vous nous avez vendu la maigreur comme rêve ultime, comme quelque chose de facile, quelques jours de régime, un peu de volonté, quelques abdos et des litres de crèmes pour le corps caféinées. Bien sur vous avez pondu quelques articles sur le zen, le yoga, le fait de vivre en paix avec son corps, de s’aimer, mais faites un ratio, combien de haine, de régimes restrictifs débiles, et combien d’aide réelle ?

 

Vous évoquez les silhouettes moyennes. Je suis d’accord. Qu’attendez vous pour le faire ? Combien de femmes en taille 42 avez vous affiché dans vos colonnes cette année ? Combien de femmes en taille 42 ont été mises en valeur dans des pages mode ? Combien ? Combien de modèles ont plus de 20 ans ? Combien sont noirs ? orientaux ? Quelle diversité offrez vous ? Quelle normalité ? Dans quelle monde vivez vous pour si mal le copier dans vos pages ?

Vous évoquez la « discrimination positive ». Vous la jugez inutile. Injuste peut-être. Vous parlez des mentalités. Vous avez donc conscience du poids de ces fichues mentalités sur les femmes jugées rondes, grosses, obèses. Vous savez lire, et vous avez donc consulté les études sociologiques récentes qui prouvent qu’elles sont discriminées à l’embauche et au long de leur carrière. Vous ne le savez peut-être pas, mais laissez moi vous apprendre qu’elles le sont aussi médicalement, dans leur parcours de soin, et de manière flagrante dans leurs parcours de procréation assistée (FIV). Je vous passe les petits ennuis du quotidien, les injures, les blagues, les moqueries, l’adolescence. Les rondes ne sont pas toutes Beth Ditto. Elles n’évoluent pas toutes dans un monde parfait de tolérance et de petits poneys. Elles n’ont pas toute le cran nécessaire à l’affirmation de leur condition. Elles ne sont jamais mise en valeur. Nulle part. A part peut-être sur des sites pornos, ou des hommes ont le bon goût de se masturber sur leurs corps pourtant jugés imparfaits par des magazines comme le votre. Alors avant de l’ouvrir sur la «  » » » »discrimination positive » » » » » » », peut-être pourriez vous faire l’effort de vous interroger vraiment sur la réelle discrimination. De vous y intéresser. D’écrire sur le sujet. De vous sensibiliser.  Ne prenez pas les choses à l’envers. Ne pensez pas que les rondes ont tout gagné, qu’il n’y a plus rien à faire, parce que vous dansez sur les Gossips et que vous trouvez Marianne James géniale. Ne changez pas l’ordre des douleurs et des priorités.

 

Ces questions méritent d’être posées. Car, si nous sommes les premières à vouloir que les séries mode nous ressemblent davantage (on est toutes loin de faire une taille 36 à la rédaction !), il nous semble bien que de se servir des rondes comme axe de communication ne sert pas franchement les rondes, justement…

Sérieusement, toute démagogie journalistique mise à part, quand parlez vous des grosses ? Des rondes ? A part pour évoquer la chirurgie bariatrique, le cul de Kim Kardashian qui la classerait dans la partie obscure de la force, les régimes, ou les 2 ou 3 starlettes qui connaissent des problèmes de poids ? Quand avez vous de votre plein gré fait réaliser une série de mode avec des modèles Plus Size (c’est à dire portant plus qu’un 42) ? Quand avez vous mis en lumière des rondes sans y être forcés par l’actualité, une mode ou une chanteuse ? quand avez vous pris vos responsabilités ? quand avez vous mis en œuvre quelque chose de concret pour répondre aux questions que vous lancez dans votre article, pleine d’une naïveté presque touchante ? Plutôt que d’interroger vos lectrices, qui sont certainement une majorité à ne pas ressembler aux modèles que vous proposez, pourquoi ne pas vous interroger vous, les professionnels, les journalistes, les stylistes ? Qu’attendez vous pour faire cessez l’hypocrisie ? Qu’attendez vous pour nous faire exister, pour de vrai, dans vos pages, sans nous stigmatiser, sans nous étiqueter ? De quel coup de pouce divin avez vous besoin ? A quoi sert votre article ?

 

 

 

Scrapbooking

J’ai l’impression de le connaitre. J’ai l’impression de l’avoir déjà touché. Quand sa main frôle la mienne, je ne tremble pas, je me demande quand il reviendra, quand ses yeux du dedans s’ouvriront pour lui raconter nos rencontres irréelles. Je me demande évidemment s’il ressent tout ça. Je guette les coins agités de ses paupières et ses mains qui ne se posent jamais la où je les attends. Je le regarde me regarder, et mes yeux se perdent par dessus son épaule, je ne suis déjà plus là.

J’ai l’absolu facile, je suis peut-être sorcière. Il me semble facile de dire les gens qui comptent seulement quelques minutes après les avoir serrés. Ni naïve, ni obsédée, ils vont comme ils viennent, et le sentiment de les avoir au creux de mon ventre me suffit souvent. Ils ont été, ils sont, ils seront, ils ne font que passer, les définitions et les temps a conjuguer ne troublent pas mes certitudes. Je sais, parce que je sens. Parce qu’on me le souffle. Parce qu’on me le frappe dans le cœur. Parce qu’on me l’encre quelque part d’invisible. Je suis tatouée des pieds à la tête de ces noms d’inconnus, de ces surnoms que je donne à ceux que je croise, pyrogravure magique indolore dans ma chair molle, fille croisée au Luxembourg l’été dernier, regard clair et sac en macramé, discussion sur l’Angleterre, repartir ou rester, ton nom sur ce collier cheap qui ne cesse de griffer ton décolleté, un café, un numéro tronqué, retour au noir, fin de l’acte premier. Pourtant je me souviens, je te garde et je te préserve dans mon placard à petites surprises jolies, confiture cannibale pour petits déjeuners solitaires, j’ai des petits pots de sangs pleins mes étagères.

C’est idiot de s’attacher aussi vite à ceux qui passent sans s’arrêter. Ils me préviennent pourtant, elles disent leurs habitudes et leurs tourments, surtout ne m’en veux pas, surtout ne crois pas ce que je te dis, surtout oublie le son de ma voix, mais pourquoi se laisser attraper, pourquoi se laisser toucher, si on ne peut rien garder, même pas l’emballage bruyant de la surprise, plié dans les bons traits en plusieurs couches, rangé à jamais dans une boîte qu’on oublie. J’accumule les souvenirs, je les confonds parfois avec des rêveries, je confonds volontiers ce qui aurait pu être et ce qui a été, je colorie au feutre usé les contours flous d’une amitié ou d’une relation, je gomme les jours de colère, je surligne et je scrapbooke comme une ménagère docile, des couronnes de petites fleurs en papier entourent les photos jaunies. Je voudrais une sépulture décente pour ceux qui s’en vont, qui sortent de ma vie pour ne jamais y retourner, qui vivent ailleurs, sans moi, les enterrer proprement, avec couronnes et grands discours, musique et tremblements, dire adieu, c’était bien, surtout ne reviens pas, oublie moi.

Prophylactique prophétie

Je la regarde haleter. Je m’emmerde. Je sens les coups de reins de l’autre qui se voudrait viril, mouvements tectoniques des chairs, son ventre empaqueté dans le mien, sa cuisse reposant mollement sur mon genou, position compliquée pour threesome vulgaire. Je suis trop mesquine pour baiser à plusieurs, ou alors il me faudrait des centaines de partenaires, puisque personne ne jouit vraiment lors d’orgies grandioses, on regarde les autres qui regardent les culs nus et transpirants des autres, on fait de la performance, on se crée des souvenirs, les partouzes sont aussi sexuelles que des premières communions, on fait la queue pour recevoir son quart d’heure de gloire, on finit avec quelque chose d’aigre coincé entre les dents, une capote sérigraphiée comme souvenir au fond du goodie bag, la tête farcie des hurlements surjoués d’une trainée écartelée, écervelée. Je regarde les gens baiser et tout me paraît violent, tout me paraît grotesque, je glousse sous mon aube de dentelle cheap, les poses et les mots sont copiés de vidéos trop courtes et de films mémorisés à grand renfort de boîtes de kleenex premier prix, poubelle remplie de fantasmes morts et de sexualité sur fond de musique d’ascenseur, sur le troisième orgasme, j’envoie un bon beat sale de funk qui casse, qu’est ce que je fous là.

C’est un peu comme baiser devant la télé, quand tu t’emmerdes et qu’il fait trop pauvre pour sortir boire des coups, que tu secoues mollement la queue tiède de ton amant dépité devant une énième coupe du monde au rabais, que tu suces sans croiser son regard, parce que tu ne le fais pas pour lui, pas de mise en scène de fellation putesque,, les yeux dans les siens, la langue sur le frein, tu lâches tes cheveux et tu la colles à ton palais, tu te demandes en combien de secondes tu le feras bander, tu sais pas si tu le feras jouir, mais c’est toujours un bon quart d’heure de niqué sur cette nuit qui n’en finit pas de coller, la chaleur, Ruquier qui va commencer, est-ce qu’il reste du pain pour demain, le chat miaule sur le balcon, les tâches soudain phosphorescentes du canapé, lumière bleue, police scientifique, c’est du propre, acheter du Fabulon, finir de lui lécher le gland et puis prétexter une envie de pisser, arrêter sans s’excuser. C’est la clope qui tu allumes sans en avoir envie, celle qui te déchire la gueule et que tu finis par écraser, celle que tu regretteras en fin de soirée, quand ton paquet sera vide et le tabac fermé. C’est le coup de bite de l’ennui, du glauque et de la lumière bleue de l’écran, c’est le goût du sperme dans la bouche de la ménagère de moins de 50 ans qui veut négocier sur le programme télé. Ca sert à rien mais tu le fais.

L’actrice s’acharne depuis 10 minutes sur l’engin monstrueux de ce mec qui ne fait même plus semblant de s’intéresser à ce qu’il fait, je suis fascinée par ses cuisses qui s’agitent, ses genoux qui plient encore pour repartir, petite fusée moche, petite boîte à musique gore, à qui tu penses quand tu t’empales pour 500 balles, à quoi tu penses dans le métro quand tu rentres, le cul encore ouvert sur le strapontin libéré par la mamie qui descend à Nation avec son chariot plein de Bibles, à quoi on pense, pourquoi on fait ce qu’on fait, si seulement on avait l’intelligence et le courage de se regarder faire les choses, de ne plus fermer les yeux devant notre mollesse, notre dégoutante et dégueulasse compromission permanente avec ce qu’on est. Alors peut-être, nous pourrions arrêter de nous lancer le bec devant comme des oiseaux mazoutés dans une piscine de merde encore plus toxique que nos biberons en parabens et capotes en plastique, peut-être qu’on verrait la lumière, ou qu’on crèverait les yeux ouverts par le soleil.

Sa mère

Moi j’ai toujours préféré les parkings aux plages, les usines aux musées, les quartiers sales aux dessous chics, comme si j’étais pas faite pour rentrer dans le rêve des autres, celui qu’on te raconte petite fille, les études longues et le gentil mari, l’appartement cossu et la voiture tableau ronce de noyer inclus. Je me demande comment on fait pour formater correctement les enfants, quand on a la chance d’être né ici, blanc et en bonne santé, quand les petits trop nourris n’ont d’autres préoccupations que l’heure de leur prochain biberon, comment j’ai pu passer tout à fait à côté de tout ce qui paraît cool quand on grandit, les pulls Barbie, les anniversaires, les meilleures amies, les bonbons et les pyjama parties. Petite je me trimballais déjà ce corps pas tout à fait adéquat, cette grimace gauche et crispée pleine de timidité, et la certitude que je n’étais pas vraiment normale, que les années seraient longues avant que je me fasse des amis, des vrais, avant de me faire adopter pas ces gens qui avaient déjà tout compris à la vie. Mes parents ont bien essayé de me coller des cousines dans les pattes pendant les vacances, des plus belles que moi, des plus grandes, des plus dégourdies, mais notre patrimoine génétique n’a pas suffit. Je jouais bien la comédie, il le fallait bien, devant ces adultes émerveillés de me voir si entourée, une maison pleine de copines et de cousines convoquées par ma mère sans même me consulter, tu auras des amies ma filles, tu t’amuseras et tu partageras, c’est comme ca. Et puis il y avait toujours une pauvresse à sauver, une ado contrariée que ma mère prenait quelques mois sous son aile comme un projet, persuadée d’être damnée pour avoir avoir divorcé, faisant de moi l’enfant unique type de ma génération, elle semblait se racheter une conscience en gâtant l’orphelin et la rejetée, m’inventant pour quelques temps une fratrie imaginaire de bras cassés.

Ma mère devenait la confidente, l’alliée, celle à qui on peut tout dire. Moi je n’avais rien à dire. Et surtout pas envie de parler, surtout pas de moi, surtout pas de mon père, surtout pas de ce à quoi je pensais. Il y avait tout le bruit rassurant des autres pour nous éviter de nous regarder, tous les mots de ces filles qui se déversaient dans l’oreille de ma mère jusqu’à ce qu’elle en oublie de m’interroger, jusqu’à ce que le son de ces blablas adolescents couvre le gong sourd et puissant de l’absence, du manque, du père qui disparaît, de la vie qui s’écroule, d’une enfant qui refuse de dire, qui fait l’huitre, qui ressemble trop à son géniteur, qui n’arrête pas de grossir, qui cesse de ressembler au portrait parfait qu’on avait dessiné. J’étais jalouse bien sur, de ma mère, si parfaite, belle, cultivée, mince, douée, qui semblait arriver à se faire aimer de toutes sans se forcer, la mère de Daria, elle est vraiment trop sympa, on vient de loin profiter de sa compagnie, la consulter, lui parler, et moi je suis là, sur le tabouret d’à côté, la clope au bec, j’acquiesce. Je partage mes « amies’ avec ma mère. Je n’ai pas le choix. Seule je n’ai pas de quoi les retenir, de quoi les intéresser. Je ne suis pas assez pour motiver leur amitié. Je ne sais pas si c’est vrai. Mais c’est ce que je ressens profondément dans ces instants. J’envie mes amies, qui vivent leurs premiers amours, leurs premiers baisers, tandis que je reste comme une baleine autiste sur le côté. Je jalouse ma mère qui porte sur elle le masque du bonheur et de la réussite. Je n’ai pas le recul pour comprendre. Je ne lis pas encore entre les lignes. Je suis aigrie. Mais je fais semblant. Parce que mon rôle n’est pas celui ci. Parce que je suis celle qui est toujours en forme. Toujours partante. Toujours de bonne humeur. La rigolote. Celle qui est toujours là. Lassie chien connasse.

Je ne suis plus aigrie. Je suis un peu amère. De n’avoir pas su profiter de ces années. De me rendre compte 15 ans après de ce qui aurait pu être, de ce que j’ai laissé filer, par bétise, par timidité, par jalousie, par incapacité totale à profiter de l’instant sans me projeter dans un scenario catastrophe pour les heures d’après. Je me console bien sur en pensant qu’on est tous idiots entre 12 et 17 ans. Je regrette de ne pas l’avoir été vraiment. De ne pas avoir fait de vraies grosses conneries. Je rêve parfois que j’y retourne, dans mon corps tout juste formé, avec ma hargne et mon caractère de maintenant, je rêve que je ne m’écrase plus, que je parle, que j’ose, que je ne me laisse plus faire, que je dis, que je me révolte, que je me laisse aller à cette fichue crise d’adolescence qui me prendra trop tard quelques années après. Je m’imagine plus petite encore, je m’invente une enfance. J’ai la particularité d’avoir complétement occulté mes premières années. Mes premiers vrais souvenirs arrivent vers 9 ans, au divorce de mes parents. Avant, tout est permis. Peut-être bien que j’avais même un pull Barbie.

The truth about Polly Maggoo

Oui je passe une bonne journée, sauf qu’il n’y a rien dedans, alors je n’ai rien à raconter. Il y a les petites bonnes nouvelles, les éclats de verre dans le pied, les cascades du chat, les médicaments qui me font gerber, les heures de sommeil à rattraper, cette fatigue qui m’attrape dès que je me lève pour ne plus me lâcher. Il y a le temps qui passe et mon horloge détraquée qui arrête de compter, un jour ou une semaine, après tout, quand il n’y a rien, quand rien ne t’anime, quand rien ne t’intéresse, quand tout est accessoire, qu’est ce que ca peut changer ? Je voudrais qu’on arrête de me demander comment je vais, parce que je vais toujours mal, que c’est ca la putain de vérité, et que les infimes variations de mon humeur bloquée à grands coups de molécules ne me permettent plus de jouir de quoique ce soit, ni d’un livre ni de la bite, ni d’un déjeuner au soleil, ni d’un bon film. En attendant que « ca » passe, je suis emmaillotée dans une camisole protectrice, un mou salvateur qui me permet de ne plus avoir envie de me déchirer la peau à grands coups de couteau cranté, qui m’évite les crises de larmes et les angoisses ignobles, je ne crains plus le noir, je reprends l’ascenseur, mais en échange je ne ressens rien, ni le bien ni le mal, ni l’envie ni le charme. Je suis protégée de l’intérieur par ma couche d’antagonistes et autres thymorégulateurs, je n’ai jamais été aussi bien, c’est vrai, tellement bien que j’en regrette de ne plus en chier, de ne plus chialer devant la publicité pour les croquettes, de ne plus m’émouvoir d’un rien, de ne plus m’amouracher du premier croisé. Je suis mal, mais cliniquement très bien, alors contentons nous du bien mou, au lieu de chercher à s’épater sans cesse, à faire mieux, à faire plus, à faire plus vite, soyez indulgente, qu’il dit le vieux, laissez vous dormir, laissez vous être fatiguée, cessez de lutter, acceptez que vous n’y pouvez rien, alors je prie un peu, donne-moi la sérénité, d’accepter toutes les choses que je ne peux changer, donne-moi le courage de changer les choses que je peux, et la sagesse d’en connaître la différence.