Ex-Fille de Pute

Mon boulot c’était de te faire cracher, plus vite les mots, moins vite la conclusion, fais plus de vente et n’oublie pas qu’on a une promotion, j’en ai rien à foutre de toi, je veux juste que tu  lises bien ton script, que tu sois poli et que tu n’ailles pas pisser en dehors des horaires désignés, ici c’est l’usine tertiaire, vous êtes tous des numéros, noms de codes sur mon écran, je surveille la production, 6 appels argumentés à l’heure sinon j’arrête ton contrat, l’intérim c’est facile, c’est souple et je te met la pression un peu plus vite, je te convoque dans mon bureau et je te soumets à la question, je te fais écouter sur bande tes hésitations, t’as peut-être bac+8 et t’as dix ans de plus que moi, j’en ai rien à branler, mon plateau c’est chez moi, je suis le chef de ma division et j’impose ma loi.

J’ai 40 places à remplir pour demain, je lance une opération de recrutement et je reçois en entretien groupé, pour commencer à vous humilier je vous fais faire une dictée, comme ça je dégage tout de suite les illettrés, en entretien face à moi tu vas comprendre que je ne plaisante pas, t’es là pour en chier, ici tout est minuté, les syndicats dans la corporation ca n’existe pas, et si tu te plains ton contrat me permet de faire n’importe quoi, tu signes quand même parce que t’as besoin de taffer, tu passeras des coups de fil pour moi 5h55 d’affilée, je peux pas te faire travailler 6h  en continu, c’est la loi il parait, alors on la nique 5 minutes avant, pas la peine d’aller consulter, ici on sait ce qui permet de vous enculer, le micro-onde cassé dans la salle de repos pour ne pas payer d’indemnités déjeuner, le code du travail, t’inquiète, on connait.

J’ai l’air d’adorer te faire du mal, t’interdire d’aller cloper et te presser pour aller chier, si seulement tu savais, comme j’en ai rien à foutre de placer mes 350 rendez-vous par jour pour mon client cuisiniste, comme je voudrais être ailleurs et pouvoir mieux te parler, seulement moi aussi j’ai la pression, un connard de chef qui me pousse au fion, des collègues un peu facho qui t’appellent le bicot, j’ai pas la gueule de me révolter, j’ai pas les couilles, alors je laisse pisser, je fais des briefs de connasse où je te reproche de mettre trop de temps à raccrocher, je pète les plombs parce que t’as l’audace d’arriver en dernier, je vois ma prime qui s’éloigne avec tes raccrochages au nez, je sais que je toucherai rien, c’est pas calculé pour qu’on puisse gagner, nos salaires sont indexés sur des objectifs fantasmés, je sais que le tien c’est le SMIC et vingt centimes, tu touches rien pour tes efforts et pour tes nerfs que j’abime, j’ai l’impression de plus savoir faire rien d’autre que surveiller, compter et gueuler, contremaitre du XXème siècle, je peux plus me blairer.

Il m’aura fallu six années pour comprendre que je me détestais, ce boulot à la con, cette position de chef des cons, des années passer à me demander comment te faire travailler plus en te payant moins, à monter des opérations dans des pays où l’heure est payée au prix du quart d’heure chez nous, tout ça pour sucer, un peu plus, avaler des couleuvres et faire bander mon patron, être celle qui fait peur et qu’on ne veut pas croiser dans les couloirs, celle qui vire à tour de bras parce que son chef a mal calculé son ROI, qui s’en fout quand tu chiales en sortant d’entretien, parce que si tu pars, c’est plus facile pour moi, pour les papiers tu comprends, y’aura moins de blabla, je suis pas assez méchante, ou pas assez brute, j’ai pas tenu, j’ai tout cassé, un jour de ras le bol, maintenant j’écris et je survis, et c’est juste ce qu’il me fallait.