Long is the road

Tu pleures dans le métro, tu sais pas pourquoi, tu sors du boulot, et d’un coup, ca te tombe dessus, t’essaie de résister mais c’est pas la peine, t’as beau serrer la mâchoire, jouer avec ton téléphone, changer de musique, plisser les yeux, tu sens que ca monte et tu peux rien retenir, tu voudrais pourtant, ne pas te livrer à ces inconnus, ce vieux qui prend toute la place de l’autre côté du strapontin, la nana d’en face qui est beaucoup trop belle pour pleurer, qu’est ce qu’elle a à chialer cette grosse morue, ca se fait pas, comme ça en public, pour rien, sans raisons, en plus j’ai pas de mouchoir, je vais finir écarlate et échevelée, le corps secoué par des sanglots qui partent des pieds, qui remontent et qui me donnent le hoquet, j’ai pas envie mais je contrôle rien, ca coule sur mes joues et ca tombe le long de mon manteau, tout le monde me regarde, j’ai honte, j’ai froid et je voudrais sortir de là, encore six stations, résiste, les inconnus peuvent bien se moquer de moi, peut-être qu’ils ont envie de pleurer eux aussi, que tu pleures pour ces vingt personnes qui n’osent pas.

Journée de merde, journée pourrie, la tête qui tourne et les yeux dans le gris, mes jambes tremblent, la bouche sèche, l’angoisse au bord des lèvres, envie de mourir mais pas assez, moment de répit, tu crois que c’est parti, et puis ca revient comme une vague souillée et dégueulasse, ca t’emporte et tu voudrais te cacher, creuser un trou dans le parquet et t’y recroqueviller, attendre qu’on vienne te chercher, qu’on te prenne par la main et qu’on t’emmène, là où t’as pas mal, là où rien ne t’atteint jamais, au fond de ton lit, dans le noir protecteur de ta chambre familière, les ombres et les lumières que tu connais par cœur, le bruit du radiateur et les talons de la voisine, les sons sourds qui te parviennent comme dans le ventre de ta mère, être petite encore, enfant et protégée, ne pas avoir des choses à faire, ne pas avoir besoin de lutter, rester immobile des heures et puis des jours, s’enfermer en soi-même, ne plus rien dire, ne plus parler, atteindre la fin du cauchemar, du mal-être, buter encore une fois le chien noir et sa cohorte de fantômes, assurer le minimum vital, se concentrer sur respirer, se souvenir de boire et de pisser, j’ai pas envie d’y retourner, je suis bien dehors, j’ai pas envie d’arrêter de vivre, de rire, de ressentir, mais j’ai putain de peur d’être au bord et je flippe.

J’ai pensé à ça toute la journée, le sentiment obsédant que tout recommençait, que j’étais grillée, foutue, usée, incapable au bonheur, bonne juste à me jeter, j’ai revu les semaines sans me laver, les yeux exorbités, tes forces qui te quittent et tu peux rien pour les rattraper, j’ai vu l’angoisse qui me scie le ventre et qui me rend malade, qui fait courir à mon cœur des sprints intolérables, j’ai chialé dans ce putain de wagon, devant toi peut-être qui t’en fout, qui m’a déjà oublié, je me suis raccroché à l’espoir que peut-être quelqu’un viendrait me chercher, à la descente, un visage et des bras, la douceur confortable du creux de son épaule, il était là et j’ai explosé, j’ai hurlé et j’ai pleuré, j’ai déchargé toute ma peur, toute ma journée, j’ai vomi la terrible noirceur d’être seule sans lui, je me suis accroché à son bras et il m’a conduit jusqu’à mon lit, il m’a déshabillé, comme si j’étais ivre, comme si j’étais défoncée, comme une enfant endormie qu’on porte vers son lit, surtout ne rien brusquer, des gestes lents, la voix assurée, il m’a dit tout ira bien, dors ne t’inquiète pas, tu verras bien demain, il m’a dit qu’il serait là, quand je dors, quand je crie, quand je me réveille aussi, il a dit tu es belle ne t’inquiète pas, les chiens on les achève, mêmes les noirs, même les bâtards, on les crève et on les enterre, je monte la garde je le laisserai pas rentrer, si il pousse la porte je le tue, je te sauverai.