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Choisis ton arme d’abord, une lame, une pointe, un briquet, la peau appelle le vice, les bras et puis les cuisses, le cutter contre la flamme, rouge puis noir, chauffé à blanc comme ton esprit kamikaze, sans réflechir sans y penser, pose la tranche brulée sur ta peau morcelée, quelques secondes ça suffit, la cloque se forme, l’esprit se vide, c’est presque le paradis. Fix de douleur physique quand dans ta tête c’est trop rude, quand les voix prennent le dessus, celles qui crient et qui t’injurent, tu cries dans le vide, personne n’entend, pas besoin d’asile pour être en chambre capitonnée, la réalité assourdit tes cris, ils heurtent mollement les gens sans pouvoir les inquiéter, c’est rien ca lui passera, laisse la tranquille, viens manger.

Les bras ca se voit, c’est difficile, traumatise tes amis avec ton histoire psychiatrique, non j’ai pas eu d’accident, je me suis pas pris de vitres, c’est la vie et puis mes mains qui ont creusé les sillons, reptiliens sur mes mains, concaves dans mes cuisses, cicatrices indélébiles des nuits noires où j’aurai voulu partir, chaque morsure du compas enfoncé jusqu’au sang, autant de rage qui sort de moi, goutte à goutte, jusqu’à l’épuisement, l’assèchement. Le ventre ton psy dit que c’est sexuel, il paraît que tu as été touchée, par un oncle ou par ton père, il sait pas bien, mais c’est obligé, pas convaincue tu continues, c’est pratique, c’est discret, ca fait plus mal aussi mais c’est meilleur quand c’est fini, ca nique dans la vraie vie, quand tu sors de l’état second de la nuit, marche en pleine lumière comme un crabe pour cause de plaie et de douleur ingérable. Les cuisses c’est la culpabilité, la haine de soi et puis l’ennui, les dessins que tu fais peu à peu, l’étoile et puis le carré, t’as même plus mal c’est juste pour décorer, toucher ton corps comme tu peux, te le rapproprier, ces cuisses m’appartiennent, à moi seule, et j’en ferai ce que je voudrais.

Ca passe quand tu grandis, ca aussi, c’est écrit, un après-midi en manches longues à la plage tu réalises ta connerie, tu caches tes cicatrices, ta honte et l’ado fuckée que tu as été, t’assume pas les traces qui refusent de blanchir, vergeture de croissance, lignes floues, points sanglants et traces brunatres, tu te demandes comment t’as fait pour vivre avec tout ça, ca te saute à la gueule, tu vois plus qu’elles, chaque boursouflure de ta peau qui te rappelle, le soir où t’es parti, la dernière fois, la première fois, et puis les autres fois, tu te remercies d’avoir gardé tes mains intactes, présentables, sociales, aimables, tu te mets à craindre le regard de l’autre, qu’il devine et qu’il te pose des questions, c’est fini tout ça, on en parle plus, fous la paix à mes démons. Ils se réveillent parfois les matins d’angoisse, quand tu te lèves dans le coma et que ta poitrine ne se soulève pas, la douleur entre les côtes, la respiration qui siffle, bloquée, crucifiée, punaisée, impossible d’avancer, alors tu cherches une manière de te soulager, rapide, facile, immédiate, la lame du rasoir cachée, tu t’en souviens bien, tu la veux mais tu résistes, t’es grande maintenant, les adultes ne se charcutent pas les bras.