Couloir jour

Salle d’attente d’un hôpital, linoleum jaune passé, fauteuil soudé au sol, table basse en formica, plante artificielle, Voici et Gala. Je déteste attendre, et cette pièce ne m’aide pas, rien qui n’accroche ton regard, rien pour se distraire, juste les paroles étouffées du médecin qui consulte dans la pièce d’à côté. J’enchaîne les parties foireuses d’Angry Birds sur mon téléphone presque déchargé, je gratte un peu dans un carnet, j’essaie de dessiner, le temps ne passe pas, j’ai envie de me casser, seulement je ne peux pas, on m’attend, la prochaine sur la liste, c’est moi. Le toubib est en retard, bien sur, pourquoi ca changerait, à chaque fois je me dis que je vais arriver à la bourre, puisque de toutes façons être ponctuel est juste une politesse illusoire, mais comme à chaque fois, je n’ose pas. Ma dernière clope écrasée devant l’entrée du service il y a plus d’une heure m’envoie des signaux de fumée, je donnerai ma mère pour un café, je suis pas d’humeur à poireauter, j’ai plus envie d’être là, et puis y’a quelqu’un qui se met à gueuler dans le couloir, c’est flippant cette ambiance de no man’s land, odeur de désinfectant industriel et de couche souillée.

C’est une femme celle qui crie. Elle voudrait aller fumer une cigarette, bordel. Elle arrête pas de le répéter. Elle a le droit, d’aller, fumer, une, putain, de, cigarette. Elle, n’est, pas, folle. Ca n’a pas l’air de plaire trop aux infirmiers et aux autres membres du personnel hospitalier. Ca discute pas mal, ca a l’air de s’exciter derrière la cloison en aggloméré. Elle doit avaler son traitement et elle aura le droit d’aller fumer après. D’abord elle doit prendre ses médicaments, c’est pas raisonnable. Et puis fumer, c’est pas un droit, seulement une permission qu’on lui donne, alors elle ferait mieux de se calmer. Je me sens mal. Je ne voudrais pas entendre tout ca. Je ne connais pas la femme qui réclame sa clope à quelques mètres de moi, c’est peut-être une névropathe patentée, c’est peut-être une folle à lier, mais j’ai envie de me lever et de claquer la gueule des soignants, de la prendre par la main, de lui offrir mon paquet et qu’elle arrête de hurler. La discussion tourne en rond, elle veut bien prendre ses gélules, mais seulement après sa clope, c’est comme ca et pas autrement, elle pleure, y’a des coups dans les murs, sourds et inquiétants, et puis le silence, d’un coup. Plus rien, des pas dans le couloir, une porte qui s’ouvre, le bruit d’un trousseau de clés, mais la femme ne pleure plus, ne crie plus, ne parle plus.

Le silence bouffe la salle d’attente, me bouffe, je saute sur mes écouteurs, je ne sais même pas ce que j’écoute, mais il faut remplir le vide, je n’entends même pas la porte s’ouvrir, c’est le médecin qui me tape sur l’épaule pour me signifier que c’est mon tour d’entrer. Je m’assois en face de lui, consultation normale, pas un mot au dessus de l’autre, ordonnance, bonjour chez vous, merci. Quand il se lève pour m’indiquer la sortie, je lui demande si il a entendu ce qui s’est passé juste avant, si il a une idée de ce qui est arrivé à la nana qui gueulait pour cloper. Il me dit qu’elle a probablement été sédatée. Endormie par injection, pour l’empêcher de s’énerver. Qu’elle ira mieux dans quelques heures, une fois qu’elle se sera reposée. Poignée de main, couloir, portes automatiques, de l’air, enfin. J’allume une cigarette et je marche vers dans la cour de l’hôpital. Je pense à cette malade qu’on vient de piquer parce qu’elle voulait fumer. Je suis en colère. La confiance thérapeutique que je pouvais avoir dans mon médecin vient de se briser. Je ne suis pas folle, on ne m’a jamais enfermée. Mais comment remettre sa santé mentale dans les mains d’une institution qui applique aux souffrants une logique de non-droit aussi radicale ? Je déchire consciencieusement l’ordonnance siglée AP/HP. Sans moi les mecs, désolée.