Toc Toc

J’ai un petit morceau de papier coincé dans l’oreille. Ca n’a l’air de rien. Mais je ne pense qu’à ça. Dans mon imagination, le papier se rétracte dans mon conduit auditif, et finit par remonter dans mon cerveau, embolie du cortex et décès immédiat. Je ne sais même plus si l’intrus est encore là. J’ai tout essayé pour le dégager : jet d’eau violent, pince à épiler, incantations voodoo, tige en métal et gel lubrifiant. J’entends encore bien pourtant, je ne souffre pas. Mais comme une rage de dent, comme un mal de dos, ni handicapant, ni fatal, le petit morceau de papier mouillé me tape sur le nerfs, me donne envie de m’arracher l’oreille pour le cramer, tout remettre à neuf là dedans, passer de l’eau de javel et faire sécher, grand ménage de printemps de mon tuyau bouché. Je m’imagine scalpel en main, tour de l’oreille dessiné au feutre gras, ambiance Nip Tuck homemade, devant la glace je n’hésite pas, la lame glisse, je gratte un peu sous la première couche de derme, l’oreille se détache et tombe dans l’évier. Mon conduit auditif est exposé, mon tympan se rétracte, j’aperçois la boule de papier froissé, pince à épiler, alcool à 90°, un dernier geste, je saigne un peu maintenant, mais ca y est, je suis enfin délivrée. C’est un peu radical peut-être, mais c’est proportionnel à mon énervement et à ma gêne. Pas de pitié pour le papier.

Plus raisonnablement, je vais sans doute finir par prendre rendez-vous chez l’ORL, qui m’engueulera vertement d’avoir osé introduire un corps étranger dans le temps sacré de mon audition parfaite, et qui me débouchera de manière hygiénique et indolore pour une somme modique mais non remboursée. En effet, se curer l’oreille à grand coup de carte de visite déchirée ne fait pas partie de mon parcours de santé habituel, je ne suis pas étonnée. Il paraît même qu’il faudrait interdire la vente libre de coton-tiges, tant sont nombreux les accidents comme le mien. La seule différence, c’est que je ne m’arrache pas l’oreille par souci de propreté, il s’agit en fait d’un TOC, un geste que j’ai du mal à empêcher. Me curer l’oreille me soigne et m’apaise, à chaque angoisse, à chaque contrariété, comme un fumeur de shit, je roule un petit morceau de carton ou de papier, et je me gratte consciencieusement les lobes et les cavités. Il m’arrive même de le faire en public, surtout dans le transports en commun, sous le regard ébahi de mes voisins. Je n’ai pas de pudeur, l’important c’est la satisfaction immédiate que je ressens dès l’introduction de l’élément contendant dans mon orifice, comme une bulle qu’on dégonfle, comme un ballon qu’on pique.

Dans ma grande bêtise, une unique satisfaction, celle de ne pas être affublée d’un TOC plus violent, pas de déformation nerveuse de mon visage, pas d’insultes à la Tourette ou de lavages de mains obsessionnels. Juste une manière de plus de me rassurer, une barrière de plus contre la peur panique, une arme supplémentaire en cas de guerre des nerfs. Ca ne m’empêche pas de me maudire intérieurement, et d’avoir envie de me gifler, de me sentir très conne avec mon putain de papier enfoncé, mais intellectuellement, c’est rassurant, ca me permet de relativiser, de me dire qu’il y a pire ailleurs, que je ne suis pas tout à fait niquée. Mais si vous me croisez aujourd’hui, je vous en supplie, un peu de pitié, ne faites pas attention si je passe mon temps à masser mon oreille ou à pencher à la tête de côté, comme un animal un peu stupide qui attend sa paté, bien sur, j’écoute ce que vous me racontez, et je suis ravie de vous croiser, j’ai juste un putain de morceau de papier qui me grignote la santé, d’ailleurs, si vous vous taisez, je l’entends presque bouger, se foutre de ma gueule, et continuer à s’enfoncer.