Le commercial

Il est arrivé drôlement fier de lui, avec son costume brillant cintré et ses pompes cirées, du gel dans les cheveux et l’attaché case en skaï sous le bras, prêt à dégainer. Quand j’ai ouvert la porte, il m’a demandé si j’étais seule, si mon mari travaillait, et pourquoi il n’était pas là. Je ne suis pas mariée, et cet appartement est aussi à mon nom, j’ai trouvé ça étrange, peut-être voulait-il s’assurer que je ne vendais pas sans le consentement éclairé de mon amant, peut-être craignait-il que je me casse à Honolulu avec les maigres subsides de la transaction, je n’avais pas encore compris le caractère profondément caricatural de sa question : il voulait juste parler à un homme, parce qu’un rendez-vous avec une femme, ca compte à moitié moins. Et comme le petit commercial n’est pas là pour rigoler, il est drôlement ennuyé d’avoir seulement MADAME en face de lui, il craint que je ne sois pas en possession de mes moyens, que mon utérus bariolé de gloire m’empêche de prendre une décision rationelle, ou tout bêtement, que mon époux tyrannique me batte dès son retour pour avoir osé faire pénétrer un mâle dans notre humble demeure. Ou alors il me prend pour une conne.

Il avait la bonne accroche du Jean Claude Convenant du 9-5, mon petit commercial, il mettait des adverbes partout au milieu de ses phrases, il m’a parlé des américains, ces salauds, des clients qui sont des « orientaux » qui aiment par essence, donc, marchander et faire de bonnes affaires, il m’a complimenté sur la propreté de mes sols, comme si j’avais atteint le graal de la domesticité en faisant briller mon parquet flottant, il m’a dit que ca se voyait tout de suite, que je savais tenir une maison, que ca se perdait, que je pouvais pas imaginer les appartements qu’il pouvait visiter, vraiment, les gens se laissent aller ma petite dame. Il avait un peu peur du chat, parce qu’il y en a qui mordent, alors je faisais des grands gestes pour écarter la bête, et il fuyait par petits pas chassés sur le parquet (propre donc), c’était un joli ballet absurde vraiment. Il a demandé à faire « le tour du propriétaire comme on dit dans le métier », il se dandinait à l’entrée des pièces, comme si le mouvement rotatif de ses genoux lui permettait d’enclencher quelque chose dans son cerveau, dynamo improbable. S’en suit une mise en scène géniale : le commercial voit le balcon, il dit donc « Vous avez un balcon ? » et attends patiemment que je réponde par l’affirmative à l’évidence. Le commercial voit une baignoire, il dit donc « Vous avez une baignoire? » et attends encore une fois que je réponde à la question avant de griffonner « BAIGNOIRE OUI » dans son petit dossier. Il répète ce même mécanisme avec chaque élément, et moi je réponds, oui, j’ai une porte, oui, j’ai une chambre, oui, j’ai une aération, je le conforte, il a bien vu, ses yeux n’ont pas trahi, il peut valider, c’est permis.

Installé dans son rôle d’homme dominant de la maison, il revient dans le salon, tire une chaise, et s’installe à ma table. Je suis peut-être chiante, vieux jeu, ou bien élevée, mais j’aurais aimé qu’il me demande la permission d’étaler sa merde publicitaire et son petit cul sur mes chaises avant de les investir. Il pousse le vice, il est à l’aise, il me propose de m’asseoir,  »vous allez pas rester debout pour qu’on discute ». Non, évidemment. Je maintiens une saine distance de sécurité d’une chaise et demie entre moi et l’ennemi, craignant ses postillons, et j’écoute le discours le plus décousu et le plus sexiste de ma courte vie de consommatrice. En effet, si je décide de confier mon bien à ce type, il va gagner de l’argent sur la vente, je suis donc sa cliente, enfin c’est ce que je croyais. Le commercial va prendre le temps de m’expliquer que je n’y connais rien, qu’il faut lui faire confiance les yeux fermés, qu’entre la mairie et les américains, la situation immobilière actuelle est très compliquée, et que de toutes façons il repassera demain pour parler à mon mari, qui lui, sera surement d’accord avec ce qu’il dit. Je n’ai toujours pas de mari, et mon mec me supplie par texto de ne pas le soumettre à l’épreuve de la rencontre avec ce con. Je refuse, je dis donc que c’est moi ou rien, je suis obligée d’inventer, de dire que MONSIEUR n’a pas le temps, qu’il est très occupé, qu’il va malheureusement falloir se résoudre à traiter avec moi, rien n’y fait, ca sera lui ou rien, mon avis ne compte pas.

J’ai donc pris rendez-vous entre couilles, histoire de m’en débarrasser, j’ai cédé, il m’a tendu sa carte, et il m’a marqué l’heure et le jour du rendez-vous au dos, comme chez le médecin, pour que je m’en souvienne bien, comme si j’allais pouvoir effacer cette douloureuse demie-heure de ma mémoire, comme si les femmes avaient la capacité de mémorisation d’un poisson rouge, je ne sais pas. Il a serré mollement ma main, il m’a dit de « transmettre le bonjour à MONSIEUR, surtout ». Une heure après, je le rappelais, pour lui dire qu’on ne travaillait pas avec les cons, il m’a demandé le numéro de téléphone de mon mec, pour lui expliquer la situation, je lui ai raccroché au nez.

17 réflexions sur « Le commercial »

  1. Je pense que c’est juste ce messieurs qui est si bête et sûr de lui qu’il ne peut imaginer que quelqu’un d’autre soit aussi intelligent que lui. Alors plus…

  2. Ce qui me choque le plus dans l’histoire c’est qu’il ait pu entrer… Perso, ce genre de connard reste sur le pas de la porte…

  3. Ma compagne, récemment, a refait ses papiers. Franco-belge née en belgique, elle doit justifier désormais de sa nationalité française (ça, c’est juste parce que ça me révolte) aussi s’est-elle rabattue sur la possibilité d’un passeport belge.

    Au consulat, parmi les détails a fournir il y a : « pour les femmes, nom et prénom du chef de ménage »

    Il y a encore du chemin à parcourir.

  4. J’espere au moins que tu as demande la permission de Monsier pour ecrire ton post:-)

  5. et si il tombe sur une madame célibataire il demande a traiter avec son papa je présume?

    les beauf sont partout! restons sur nos gardes!

  6. Le genre de bonhomme qui si tu lui fais une remarque te dis qu’il n’est pas misogyne hein, il aime les fâmes
    C’est juste que « pas de zizi, pas d’avis »

  7. @Thoerry

    Ta compagne pourrait écrire son propre nom pour répondre à la question débile, ce serait une manière efficace de protester.

  8. J’admire ta patience, je lui aurai envoyé ses quatre vérités – avec tout plein de sarcasmes dedans pour bien me soulager – à la gueule avant de lui montrer la porte avec mon index et en le menaçant de lâcher mon terrible félin sanguinaire sur lui (puisqu’il a l’air da

  9. (j’ai eu un problème en cours de frappe de mon précédent commentaire ^^ »’)
    J’admire ta patience, je lui aurai envoyé ses quatre vérités – avec tout plein de sarcasmes dedans pour bien me soulager – à la gueule avant de lui montrer la porte avec mon index et en le menaçant de lâcher mon terrible félin sanguinaire sur lui (puisqu’il a l’air d’en avoir peur).

  10. Nom de dieu, le mec il fléchit jamais, il note pas les appels à l’ordre, il continue et fonce jusqu’au bouquet final : demander le gsm de monsieur. Mazette tu as chopé un beau specimen là..

  11. Hélas ! Trois fois hélas ! C’est malheureusement une attitude que j’ai beaucoup vue chez les commerciaux.
    L’anecdote qui me revient en mémoire remonte à quinze ans. Mes parents cherchaient une voiture, et la seule question posée à ma mère concernait le choix de la couleur, mon père ayant droit à un exposé copieux sur les caractéristiques techniques de la machine, alors qu’il n’y connaissait franchement pas grand-chose.
    Je pensais naïvement qu’on avait avancé depuis.

  12. J’ai fait aussi cette expérience…
    Et le pire, c’est un couple de 2 filles : le mec perd les pédales et ne sait plus à qui s’adresser. C’est rigolo à voir d’ailleurs.

  13. Hey, cela me rappelle une délicieuse visite d’appart avec un proprio plein de délicatesse également.
    Visite en couple, mais il s’adresse à moi pour me montrer, gonflé de fierté : la planche à repasser où je pourrai repasser, le placard à balai où je pourrai ranger mes balais, la super cuisine où je pourrai préparer de bons petits plats pour mon homme, et termine, tenez vous bien, par le bout de balcon « sans vis à vis, donc je pourrai étendre mon linge nue, comme ça je bronzerai en même temps »

    Le petit bonus plaisant : il a pris le temps de nous rassurer : c’était un immeuble bien, très calme, que des gens tranquilles, petits couples comme il faut, pas de ces gens qui font des gosses, ah, quelle horreur, ces trucs tellement bruyants… Ça ne se voyait pas encore, mais nous faisions cette visite avec nos jumeaux en cours de préparation dans le tiroir. Jubilatoire !

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