Ceci n’est pas un exercice

Je ne sais pas pourquoi, aujourd’hui il ne dit rien. Il se contente de hocher la tête, au rythme de ma voix, quand il sent que j’attends une réaction, un avis. Il se contente d’être là, mais il ne dit rien. Alors je demande, une fois, deux fois, cents fois. Je cherche, je me roule par terre, je menace, je plaisante, je crie, mais rien ne sort. Il est beaucoup plus fort que moi, muré dans son silence, dans son humeur, sans avoir besoin de dire, sans avoir besoin d’écrire, il attend que ca passe, il sait que ca s’en ira. Pour l’instant il se tait, parce qu’il n’y a rien à dire, ou qu’il y aurait trop à expliquer, parce que c’est trop douloureux, ou peut-être parce qu’il ne sait pas, il se contente de rester confortablement installé avec lui-même, avec son petit nuage noir au dessus de la tête. Je ne sais pas faire ça. Tout déborde chez moi, trop fort, je pleure comme je pisse, je gueule pour rien, je m’énerve rouge cerise, le malheur me rend idiote, désarticulée, le bonheur m’abrutit, l’entre-deux m’ennuie, je ne me satisfais jamais de mon état, comme si il y avait toujours quelque chose de mieux après lequel courir, quelque chose à changer, à optimiser. Je n’ai pas sa patience, je ne sais pas attendre, je n’aime pas demander, je ne sais qu’exiger.

C’est masculin, ce truc de ne rien dire. C’est féminin, ce truc de tout vouloir savoir. Cliché. J’essaie pourtant de le préserver de mes attaques fulgurantes de connerie hystérique. J’essaie de le laisser vivre, respirer. Il me le rend bien, et se contente de rester à côté de moi lorsque je déverse ma tonne d’obsession cyclique et de névroses patentées, sans chercher à analyser, ou même à comprendre. Il écoute. Il prend ma main, et il me laisse parler, me taire, pleurer. Il a l’habitude, il sait que rien n’est vraiment grave, qu’il faut s’inquiéter de mes silences, pas de mes cris. Quand je m’emporte, souvent, il me fait les gros yeux, il m’en veut de me laisser atteindre, de me laisser toucher, il me voudrait plus sélective dans mes rages, et moi, je crie, plus fort encore, parce que je voudrais qu’il me défende, qu’il décrète que la terre entière m’emmerde, que le monde est rempli de blaireaux malfaisants, qu’il leur casse la gueule, tous, un par un. Mais ce n’est pas sa place, et il refuse d’ailleurs de l’occuper, il me laisse avec mes idées fixes, mes combats, il ne les partage pas tous, il en comprend certains, il m’apprend à temporiser.

Je ne parle pas souvent de lui, parce que ma pudeur s’arrête là. Parce qu’il est trop précieux pour que je le partage. Parce qu’il n’aime pas ca. Parce que j’ai du mal à définir ce qui nous lie, si fort, si profond. Nous n’étions pas faits pour nous aimer, cela ferait une jolie phrase, une jolie entrée pour le début de notre histoire. Mais depuis qu’il lui arrive de lire ce que j’écris ici, j’avais envie de laisser une trace de son caractère indispensable, j’avais envie de le dire, comme une déclaration fondamentale. Il manquait quelque chose aux histoires que je raconte ici, c’était lui.