Usurpation d’identité

Il se prenait pour Gainsbourg, avec son blazer trop grand, des barres. Il se prenait pour un monsieur en zizis de cuir noir, trop cirées pour être honnêtes, l’étiquette mal grattée sous la semelle nickel, la clope savamment accrochée à sa lèvre hydratée, il se voulait dandy, il était à peine lascar, les cheveux senteur croûtes de lait, coiffés, décoiffés. Zizis tristes et chaussettes noires, il glissait sur le parquet sale se traînant la réputation d’un roquet, le regard torve et l’appétit mondain, le déni pratique de tout ce qu’il ne comprenait pas toujours à portée de main, comme son appareil photo vintage aux couleurs passées, il se voulait trendy, il n’était qu’une copie, lavée, délavée. Je me méfie des gens aux dents trop blanches, obsédés par le brillant de leurs canines, miroirs de leurs âmes imparfaites et de leurs ambitions trop nettes, arrivistes gingivaux, dégoutants du dedans, haleine fétides, entre le gratte cul et le gratte papier, romancier du rien, chantre de l’inutile, 140 caractères remplis d’air.

Entre deux compliments fats, le dandy se rebiffe, il veut être sale, il veut s’encanailler, il traîne dans les bars glauques pour apprendre la vie, recueille en confidences les histoires tristes de jeunes filles fraîches, laisse fondre son whisky dans les verres à fonds lourds de leurs paternels. Il aime les grands appartements de ceux qui ont réussi, le design et les fauteuils clubs usés, il s’invite pour ne pas dire qu’il squatte, pied à terre pratique pour s’imaginer rentier. Sa veste roulée en boule sous sa tête, il contemple les poteaux qui défilent dans son idTGV, ambiance zen, retour en province, case départ, quelques jours pendant lesquels il dira son dégoût et sa haine de la plèbe. Sa playlist calée sur les compilations hipsters-chic, il jette négligemment Sartre et les Inrocks sur sa housse de couette Tintin, sa maman refuse depuis peu de faire son linge, il paraît qu’il est trop grand, qu’il faudrait penser à travailler. reprendre des études ou déménager. En fermant les yeux, il est encore à Paris, et les posters d’équipes de foot déchirés sur ses murs d’adolescent passionné se transforment en ombres sexys, parisiennes nues sous leurs trenchs et ingénues à déniaiser.

Dans quelques années seulement, quand les poches retournées et les poils soyeux ne suffiront plus à ferrer, quand les multiples strates de son répertoires seront épuisées, il pleurera derrière son bureau en formica ses années de débauche, glorifiant ses conquêtes et encensant les soirées à cartons où il eut la chance d’entrer. Le jeune garçon dans le vent mute en adulte dégonflé, rêves de gloire avortés, goût métallique du mauvais gin qu’on dilue faute de quoi dans un jus d’orange concentré, il avale à grosses gorgées son apéritif au cocktail dinatoire de son entreprise. Une fois pinté, il racontera encore une fois les mêmes anecdotes usées à ses collègues blasés, il en rajoutera presque, entre bruitages et grands gestes, production américaine pour récit hagiographique de ses souvenirs de nique, rien n’aura vraiment changé.

5 réflexions sur « Usurpation d’identité »

  1. Je me pose une seule question… Avec un tel style, qu’attends tu pour publier un livre ?…

    cath 😉

  2. J’ai du mal à voir le type mais je vois très bien sa déchéance.
    T’as oublié de mentionner les dvd pornos qu’il stocke, seul moyen de réveiller la bête…

  3. J’adore c’que vous faites. Je suis d’accord. Écris un livre. Si tu en as déjà écris un, donne moi le titre. Si on ne te publie pas, publie-toi toi-même. Et donne moi le titre. Je suis prêt à changer de genre, à passer du genre de mec à pas être trop fan pour devenir le genre de mec à être fan.

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