Lola qui dort

Lola dort et rien ne la dérange. Assommée, exsangue, les cheveux blonds collés sur joues grises, son souffle soulève parfois le tour de lit froufroutant. Ses doigts s’accrochent à un lapin en peluche abîmé, et parfois ses yeux s’ouvrent, vides et opaques, comme pour crier, comme pour se réveiller, mais aussitôt elle les referme, elle dort Lola, elle dort. Au mur, juste au dessus de la porte, son nom en lettre de bois, clouées une à une pendant qu’on l’attendait, quatre lettres peintes à la main, le pinceau posé en équilibre sur un ventre prêt à exploser, la langue pincée d’une maman qui ne voulait pas se tromper. Elle crie Lola, elle crie, jusqu’à devenir bleue, jusqu’à vomir, elle crie depuis qu’elle est sortie, depuis que le cordon enroulé voulait l’en empêcher, elle hurle, elle se tord, elle tousse, elle effraie les babysitters et les mamies mal habituées. Lola n’est pas facile, Lola grandira trop vite, Lola devrait savoir marcher, Lola est en retard, Lola doit consulter, au parc elle est encore la seule à refuser de jouer, perdue dans des pensées magiques que personne n’arrive à attraper.

Les yeux de Lola ne regardent jamais droit. Elle est toujours partie, dans un rêve peut-être, mais souvent ses bras se crispent, Lola voit les ombres et les soupirs. On claque de doigts, on appelle en vain son prénom, Lola, quatre lettres, c’est pourtant simple tu vois, mais le monde est transparent, le monde n’existe pas, reviens Lola, regarde moi, je te parle, Lola. Elle est là, Lola, elle est là, elle le répète machinalement, à force de questions, à force de s’inquiéter. Sa bouche collante reste traîner sur ma poitrine quand je la serre contre moi, ses yeux mouillés grands ouverts sur ma peau, et je sens ses cils délicats battre en rythme avec son coeur, baboum, baboum, baboum. Alors je la serre un peu plus fort, un peu trop fort peut-être, mes mains démesurées sur son dos délicat, et peu à peu son coeur ralentit, ses yeux se ferment, elle dort Lola, elle dort.

Je la regarde marcher, les pieds mal assurés, le nez levé, je l’appelle et Lola ne se retourne pas. Il faut la toucher, poser ma main sur son épaule, pour qu’elle réalise que je la cherche, où pars tu Lola quand tu t’en vas, de quoi parles tu quand je t’entends roucouler, seule assise sur le tapis ? J’ai l’impression d’être celle qui ne comprends pas, toi la savante, moi l’animal bête, alors j’imagine sur mes doigts des signes et des images, je dessine des fleurs que tu t’empresses de raturer, je parle à haute voix, je cours après ton regard qui s’enfuit. On pourrait passer des heures juste là, à faire semblant de se parler, toi dans ton monde, enfermée, moi clown stupide, à gesticuler. Jusqu’à la prochaine colère, jusqu’au prochain cri, jusqu’à ce que la lumière oublie tes yeux, ils deviennent alors noirs, j’ai presque peur de toi. Alors dors Lola, dors, et demain, on verra.

5 réflexions sur « Lola qui dort »

  1. vos textes me derangent, me remuent, me font rire
    je m’en delecte
    merci

  2. Magnifique vrai ou pas… beau texte et éventuellement beau témoignage

  3. J’adore ce que vous faites.
    Chaque mot est une claque dans la gueule et chaque phrase en est une rafale. Très bon pour la circulation et pour le reste. Si j’étais du genre a être fan de quelque chose, je serais fan de ce blog.

  4. Ce texte est magique, je suis revenue le lire ici plusieurs fois. lI me touche tellement, et ce sans que je puisse expliquer pourquoi.

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