Et la nuit

C’est moite dehors. Y’a comme de l’eau sur les trottoirs, pour de faux. Tout est humide. Je ne dors pas. Je ne dors plus. Quelques heures au petit matin, entre deux réveils en apnée. Je ferme les yeux pourtant. J’éteins la lumière. J’avale un comprimé. J’attends. Rien ne vient. Ni hallucinations, ni détente, ni repos. Je ne baille même pas. Je me lève dans le noir, j’allume une cigarette. C’est dramatique de fumer la nuit. Tout est silence. Juste le bruit de la fumée que j’expulse, violente. Juste le bout rouge et énervé du tabac qui se consume pour se refléter dans les écrans endormis. Vite, de la musique, pour accompagner ce plan panoramique sur cette nuit qui s’éternise. People come and go and walk away but I’m not going anywhere. Mettre en scène son tourment, pour se distraire, la voix de Keren Ann pour faire danser les ombres, je m’amuse comme je peux quand le monde s’endort, je cherche la vie dans les images animées, vous êtes tous disparus pour quelques heures, tous absents. C’est bientôt l’heure des espoirs et des bilans, je change de vie chaque matin vers 4h20, demain j’irai, demain je dirai, demain j’oserai, des listes et des croix sur des carnets à peine entamés, que j’oublie pour mieux reécrire, que je cache quelque part entre deux livres, pour que personne ne les lise, surtout pas moi, dès fois qu’il faudrait s’y tenir. La nuit, j’ai de petites illuminations, des eurekas pour pas cher, des révélations, tout est limpide, tout de vient clair, je tire les ficelles qui dépassent des côtés de ma tête, les noeuds se défont, je les tresse, je les sculpte à ma façon, mes petits traumatismes, mes moments cons.

J’aime la nuit, son calme relatif, comme sous pression, ma solitude aussi. J’aime la nuit autant que je hais les jours qui s’étirent sans buts. J’aime la nuit parce qu’il ne s’y passe rien. Je ne me sens pas coupable de ne pas être à la hauteur, puisqu’on ne fait rien la nuit. Pas de compétition, pas d’objectifs, vous dormez, vous ne m’impressionnez plus, je n’ai plus rien à vous prouver, vous ne me voyez plus, vos paupières closes me protègent des jugements, des mots, des vos petites obligations, du temps qui passe même. Personne ne regarde sa montre avant l’aube, avant le réveil. Le temps vous échappe, quand vous ronflez, le temps m’appartient, à moi qui ne peut plus m’endormir, je vous imagine rigides dans vos draps frais, vous les fantômes, moi l’éveillée, j’ai gagné. Je garde vos nuits, j’en fais des découpages, je me dis que j’en profite, pas vous. Je mens bien sur. On se lasse vite de l’ombre. J’envie ceux qui s’endorment, sans chimie, sans bain, sans tisane, sans rituel, sans nounours, les bienheureux, ceux qui bavent sur l’oreiller, qui grincent des dents et qui pètent sous la couette. J’envie ceux qui ne connaissent pas la crainte de fermer les yeux, la peur de s’abandonner au sommeil, de se laisser prendre et manger par lui, je déteste me laisser attraper, il me prend par la cheville et remonte le long de mes cuisses, il me paralyse, je hais ces minutes entre conscience et néant, j’entends des choses étranges, je jure que j’hallucine, je me bats contre la folie, je refuse d’abdiquer ma raison, mes yeux se ferment pourtant, je pourrais hurler, les sables mouvants m’étouffent, je dors. Quelques minutes seulement, je me réveille haletante, défigurée presque, les yeux grands ouverts pour ne pas céder. Il faut que je m’épuise, qu’on m’assome, qu’on me batte, pour que je m’endorme sans lutter.

Alors je reprends le train. Je repars.Si j’avais dit, si j’avais su, si j’avais compris, si j’avais révisé, si j’avais mieux choisi, si j’avais réfléchi, si j’avais dit oui, si tout était à refaire, qu’est ce qu’on dirait en fait ? qu’est ce qui changerait, pour quelques mots, pour quelques minutes, pour quelques points ? Je refais à l’envers la route biscornue, je passe en train devant les gares, les arrêts, les incidents de traffic, je regarde ma vie par la fenêtre, je fraude un peu, pour garder l’honneur, je saute quelques barrières. Je compte les pilones, les réverbères, j’ai toujours aimé compter, c’est rassurant de calculer, savoir qu’il y a 6 peupliers par minute, quand on roule, pour s’apercevoir de la distance avalée, se fixer dans l’espace plus que dans la vitesse, exister pour de vrai, ne pas aller trop vite, regarder les arbres tanguer. C’est un peu comme compter entre le tonnerre et l’éclair, situer l’orage, savoir s’il va bientôt passer, se rassurer, il s’en va, écoute bien, il est loin, il ne reviendra pas. Ce n’est pas une science exacte. Ce sont mes petits arrangements avec le temps qui passe. Je n’ai pas peur de m’écraser.

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