Souvenirs de plage

Donne moi toutes tes danses. N’en réserve plus pour d’autres qui viendraient. Donne les moi toutes, les valses anciennes, les langoureuses, celles que tu ne sais pas danser, tes pas chaloupés sur le parquet, tes pieds qui frappent la mesure dans le vide, tes ongles sur le guichet. Donne moi ta musique, donne moi ta voix, tes rires, les claquements de tes doigts, donne moi tes hurlements quand tu conduis trop vite la nuit, donne moi tes poings dans mon ventre assez mou pour les encaisser. Donne moi tes bras, que je les noue dans les miens, tes doigts pour que je les mange, donne moi ta langue dans ma bouche, que je te morde, que je t’avale. Donne moi ta peine, ta fatigue, que je la découpe, que je la taille, que je la pulvérise, qu’ils s’envolent tes cauchemars, tes insomnies, donne les moi. Fais moi confiance. Je peux porter pour toi, je peux m’équiper tout terrain, pour quelques jours, pour quelques mois, je peux être la lumière si tu n’en as plus, je peux me frotter à toi, quitte à me brûler les doigts, il me restera les tiens, il nous restera d’autres mains. Donne moi tes soupirs et tes silences, que je les enferme, que je les noie, prends ma gorge si tu veux parler, taille à l’intérieur, serre toi. Repose toi sur moi, de tout ton poids, jusqu’à ce que j’étouffe, jusqu’à ce que je respire dans tes lèvres, jusqu’à ce que je j’étouffe, je n’ai pas besoin d’air. Empale ton nombril dans le mien, cousu serré au point mousse, nos deux cordons morts se réveillent, s’emboîtent et saignent, tu es ma respiration, expire.

Garde tes danses, mon amour, garde les moi encore. Même les dernières, les plus gauches, les fatiguées, les malades, quand tu seras vieux et que nous ne serons plus qu’un souvenir sépia, garde les nous, ces maladresses de vieux amants qui se connaissent trop, qui se cherchent dans l’obscurité quand l’autre s’en va quelques minutes seulement, ces habitudes désuètes, nos politesses secrètes. Garde nos mots, nos expressions, nos mimiques, dans une boîte scellée ne les montre à personne, ils ne sont qu’à nous, écrits à l’encre magique, ils disparaissent aux yeux des autres, ils ne savent pas lire. Plonge toi souvent dans nos souvenirs, dans ces polaroïds que je te vois prendre dans ta tête, ces instantanés de regards, d’instants, ils ne jauniront pas si tu les conserves bien, si tu t’en sers dans les salles d’attentes, dans les heures tristes, si tu es capable de les convoquer en un instant pour t’échapper. Je connais ton sourire, celui qui dit que tout ira bien, celui qui monte un peu plus dans tes joues, celui qui découvre toutes tes dents, je connais les plis de tes yeux quand tu es heureux, je veux les creuser encore, les voir s’enfoncer dans ta peau, je te veux ridé de bonheur, ensoleillé. Et quand tes mains me quittent, qu’elles te brûlent, qu’elles te piquent, qu’elles pleurent un peu, une seconde seulement, qu’elles n’oublient pas qu’elles me reviennent, que tu es à moi.

Et quand tu seras fâché, quand tu partiras, emporte tout cela avec toi. Emporte les boîtes et les clichés, les dessins et les souvenirs, emporte ma chair et ma peau, prends mes yeux, pose les à côté de toi, laisse les seuls un instant, ils savent, ils attendent, ils ont confiance. Pose les, mais ne les perds pas, je te confie nos mémoires comme un trésor, pour les faire vivre, pour en faire des légendes à raconter, pour les embellir ou pour les effacer, elles sont à toi comme à moi, c’est ca notre seul bien, notre patrimoine. Ne les abîme pas, range les derrière tes paupières, dans un carton poussiéreux si c’est trop douloureux, toujours quelque part avec toi. Emmène les à la mer, laisse les regarder l’eau, prendre l’air, s’allonger sur le sable et rêver. Laisse toi rêver aussi. Elles reviendront seules, les images et les mélodies, sans que tu n’ouvres le carton, elles chantent trop fort pour que tu les ignores. Alors tu reviendras, la colère passée, rempli d’autre chose, tu seras derrière la porte et mon coeur battra plus fort.

3 réflexions sur « Souvenirs de plage »

  1. C’est magnifique. Je n’ai pas d’autres mots, j’adore ton style d’écriture. Un grand bravo.

  2. Merci pour ce sublime texte , une fois de plus j’ai la larme à l’oeil en te lisant et pourtant ça me réconforte .

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