Rentre

J’ai tourné deux fois à droite, pour me retrouver dans la même rue. J’ai fait le tour du rond point, trois fois. Je ne veux pas rentrer chez moi. Qu’est ce que je pourrais faire. Mettre de l’essence. Regonfler les pneus. M’arrêter boire un café. Avec tous les autres gens qui boivent des cafés pour ne pas rentrer. On soupire presque en cadence. On commande un demi, tant pis. Des hommes seuls surtout. Les femmes sont occupées, elles donnent le bain, elles couchent les petits, elles choisissent le programme télé. Nous on est là. On sait pas bien pourquoi. On fait très bien semblant d’être libres, on regarde passer les filles, mais on sait bien, qu’il faudra, tout à l’heure, rentrer. Garer la voiture, le bip du portail et les escaliers du parking, la grosse clé de la porte, l’odeur familière lessive-purée, attraper un morceau de joue ou de lèvre pour y déposer un demi baiser. Et le silence. Ne rien avoir à raconter. Les journées, pleines de la même chose qu’hier, n’amusent plus personne. Embrasser les enfants. La télé.

Samedi matin la danse, samedi après-midi, les courses et le poney. On a acheté deux voitures. C’est plus pratique. Avant, on se parlait. On a décidé d’habiter ensemble sur l’autoroute, en rentrant de chez ta mère. On avait le temps. On ne le fuyait pas. Ta main cherchait la mienne sur le levier de vitesse. Tu changeais la radio, je ralais. Aujourd’hui, je râle quand tu veux conduire, quand tu bouges mon siège, quand tu touches au rétro. Ma voiture c’est chez moi. Et tu n’y habites pas. Quand on sera vieux peut-être, quand on aura rien d’autre à faire que de se regarder, il faudra bien se forcer. Il faudrait que tu me racontes, ce que tu fais, à quoi tu penses, comment tu voudrais que je te baise, ce qui est important, maintenant. Il faudrait qu’on s’épargne les fuites et le plombier, la varicelle du dernier, l’argent qu’on doit et celui dont on va manquer. Il faudrait qu’on se regarde, qu’on s’attrape, qu’on se serre, qu’on se batte. Je ne suis pas courageux. Tu l’étais. Je crois que tu as compris que je ne changerais pas. Je crois que tu attends, comme moi.

On a l’ennui bourgeois, confortable. On est ce couple là, celui qui arrête de parler au restaurant, qui écoute les conversations des autres, tout est toujours plus drôle à la table d’à côté.  Les vieilles ficelles, les fleurs et les petits mots, tout ca ne fonctionne plus, ca ne compte pas. On flanche. On se décoit. On s’aime, tiédement. Tu ne m’appelles plus en sortant du boulot. J’oublie de te dire quand je travaille tard. Ce n’est même pas une autre. Il n’y a personne d’autre que l’absence de toi. Je suis lâche. Je ne t’en parle pas. Je sors prendre l’air quand tout devient trop lourd. J’attends que tu hurles. Je voudrais que tu me frappes. Qu’on casse quelque chose. L’orage ne vient pas. Tu pars te coucher. Je change de chaîne. Qu’est ce qui m’empêche d’aller te retrouver. J’ai peur au fond, que tu dises non. Alors j’attends que tu dormes pour m’allonger. Tu as mis le réveil. Demain, c’est pareil.

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