Féminisme(s)

C’est quoi le féminisme ? C’est tout et c’est nawak. Ca part d’une idée simple : l’égalité entre les hommes et les femmes. Et puisqu’on parle d’hommes et de femmes, ca s’intéresse aussi à ce qu’on comprend quand on prononce ces mots. C’est quoi une femme ? C’est quoi un homme ? Comment ca se construit ? Comment ca s’éduque ? Le genre, désolée du gros mot. La fin des discriminations genrées. Et puis, fort heureusement, parfois, ca croise d’autres luttes, ca rencontre d’autres militant-es, ca prend en compte les autres discriminations subies par les femmes déja opprimées par le sexisme systémique, pour en citer quelques unes : le racisme, la transphobie, l’homophobie, la psychophobie … Bref. Ca a l’air super cool, on lutte toustes pour la même chose, sortez les cotillons et résonnez musette. On devrait, sans doute, au nom de la grande sororité de genre, pouvoir passer au dessus de ses agacements, de ses revendications, présenter un dos uni et lisse à l’adversaire pour qu’il puisse mieux nous battre. Dans la réalité c’est impossible. D’abord parce que la conscientisation féministe s’opère souvent de manière radicale : je ne vais pas vous refaire le coup de la pilule bleue de Matrix, mais il est souvent impossible de se remettre du caca dans les yeux pour plaire à machin ou à truc, pour enrober son discours de sucre. Ensuite parce qu’avec cette épiphanie féministe arrive souvent la découverte de choses qui révoltent, qui te tordent le bide, qui te font pleurer : plus tu en sais, plus tu en sauras, plus tu veux en savoir, comme pour te brûler un peu plus la gueule, pour ne jamais pouvoir oublier, pour refuser de rentrer dans le rang. C’est sans doute pour tout cela qu’on nous qualifie facilement d’hystéros. Oui, on est au taquet. Non, on ne lâche rien. Ni sur l’humour, ni sur l’avortement, ni sur les tâches ménagères, ni sur le plafond de verre, ni sur la précarisation, ni sur les sans papières, ni sur le viol, ni sur l’accès aux soins, ni sur le harcèlement de rue, ni sur la liberté sexuelle, ni sur le droit de s’habiller comme on l’entend, ni sur la lesbophobie, bref, tu vois le truc, y’a tellement de clous rouillés qui maintiennent les femmes en place depuis des siècles qu’on se déchaîne un peu sur la pince.  La question d’après, celle qui me fâche en ce moment, c’est pour qui devient on militante féministe ? Pour soi, bien sur, parce que ca fait du bien, parce que ca « empuissance », parce que ca libère, parce que ca redonne envie de sortir la tête des épaules. Et puis aussi parce qu’on affirme la place des femmes dans la société en s’identifiant clairement comme féministe, en partageant ses réflexions. Dire clairement à l’usine, au bureau ou en famille qu’on est féministe, c’est déjà provoquer la conversation. Et ce n’est pas toujours facile à gérer. Mais si on peut, si on a le luxe de pouvoir le faire sans craindre pour son intégrité physique ou mentale, ca peut valoir le coup de le tenter. Pour jauger le sexisme qui vous entoure déjà, et puis pour faire parler. Le contre coup du féminisme, si tu es une femme hétéro, c’est que tu vas devoir réapprendre ton rapport aux hommes dans la séduction et dans la relation. Tu vas devoir expliquer ce que tu ne veux pas ou plus. Tu vas devoir être moteur du changement. Parce que ton mec, oh well. Disons sobrement que les mecs n’ont que peu d’intérêt concret à la progression de la cause féministe. Et qu’il va d’abord comprendre qu’il va devoir plus faire la vaisselle et plus s’occuper des gamins avant d’accéder aux révélations anti-sexistes. Ca sera peut-être long. Ca sera sans doute douloureux. Ca vaut le coup. Pour toi. Mais tu l’as compris, il n’est pas confortable de se proclamer féministe, socialement ou intimement, ca remue.

Quand tu t’es avouée à toi même et à tes proches que oui, tu croyais en l’égalité hommes-femmes et que tu voyais vraiment pas pourquoi on te refusait la stérilisation volontaire à 31 ans parce que non, t’es bien sure, tu veux pas de mômes, tu vas avoir envie de discuter avec des gentes qui pensent comme toi. C’est normal. Ca fait du bien de se retrouver dans un espace de parole où tu n’es pas sans cesse remise en question. Ca fait du bien de pouvoir poser son masque de combattante dans un endroit safe, et de trouver des solutions, des motivations, des informations, auprès de gentes concernées. Et puis tu vas avoir envie de -faire du féminisme-, pas comme on fait de l’escrime ou de l’équitation, parce que ca te prendra aux tripes, que ca sera plus qu’un hobby, ca te réveillera même peut-être la nuit. Alors tu vas chercher le meilleur endroit, l’association, le collectif, le groupe, l’initiative qui te ressemble le plus. Tu vas croiser un peu de tout. Le paysage du féminisme en France est large, un peu chelou aux extrêmes, et carrément agaçant quand t’as une idée claire de ce que tu cherches. Il faudra te poser des questions. Qu’est ce que tu peux apporter ? Qu’est ce qui te motive le plus ? A qui veux tu t’adresser ? Tu voudras tout faire. La manif contre le viol et l’atelier sur le consentement actif, le groupe de parole sur le foulard et la rencontre avec cette autrice féministe, tu traîneras sur Demosphère à la recherche de nouvelles activités, tu voudras tout apprendre, tout rencontrer, tout connaître. Et puis ca t’épuisera. Alors tu feras un break. De trois heures. Et tu recommenceras. Et tu devras répondre à ces questions : mon féminisme est il abolitionniste ? mon féministe est il psychophobe ? mon féminisme est il blanc ? mon féminisme laisse t il la place aux femmes trans ? mais surtout à qui s’adresse mon féminisme ? Aux hommes ou aux femmes ? Aux dominants ou aux dominée-s ? Est ce que je suis convaincue que la pédagogie féministe sauvera le monde, et permettra aux hommes dominants de changer leur coeur et de marcher vers la lumière ? Est ce que j’ai envie de me concentrer sur des actions par et pour les femmes ? Est ce que je souhaite faire des compromissions pour que mon message soit mieux entendu ? Est ce que je pense que l’objectif justifie tous les moyens de communication ? Quel est le fond de ton engagement ? Quelle est sa forme ? Rassure toi, tu peux changer d’avis en cours de route. Tu peux, (tu dois), te remettre en question, souvent. Tu peux t’apercevoir que tu as choisi les mauvais-es compagnon-nes de lutte, tu peux t’apercevoir que c’est trop dur ou trop chronophage, tu peux arrêter un peu, tu peux reprendre 23 fois. C’est normal et légitime. Tu rentres en féminisme avec toute la force de ta conviction, toute l’énergie de ta volonté à aider et à t’aider toi même. Tu te rendras compte que tu as le luxe d’être une militante. Que des milliers de femmes n’ont pas ce luxe, n’ont pas accès aux ressources, n’ont pas le temps, n’ont pas la disponibilité, ne veulent pas risquer de se mettre en avant ou de s’exprimer. Ca te fera honte d’en être encore là. Ca te donnera encore plus envie de gueuler parfois. Tu te rendras aussi paradoxalement compte que militer pour l’égalité des droits et contre le sexisme n’est pas un luxe mais une urgence absolue. Tu vivras avec ces contradictions. Et ce qu’elles révèlent en toi.

Tu vas t’énerver. Beaucoup. Peut-être que ta colère passera, et qu’elle te permettra d’accéder à un autre état de conscience ou je ne sais quoi. Si t’es comme moi, ca n’arrivera pas. Au pire tu fatigueras. Mais ton potentiel d’agacement va se démultiplier. Parce que tu vois. Parce que tu constates. Parce que tu te heurtes. Au sexisme systémique. Aux mecs dans l’espace public. A la publicité. A la télévision. En politique.  A ton mec. A tes potes. Aux autres meufs aussi. A celles qui refusent l’idée des axes de domination. A celles qui ont tellement bien intégré la misogynie rampante qu’elles deviennent les pantins volontaires d’un système pourri. A ton incapacité de changer les choses pour celles qui ne peuvent pas être féministes parce qu’elles en craignent trop les répercussions. Aux autres féministes, celles qui refusent les droits aux travailleur-ses du sexe, à celles qui refusent de croiser les luttes, à celles qui te reprochent d’être proxénète, pute ou mac. Tu deviendras parfois une caricature de féministe. Tu t’emporteras pour une énième blague. Tu ne sauras pas laisser pisser. Ca te bouffera, mais tu ne pourras pas t’arrêter. Tu perdras ton temps. Tu arrêteras d’être consensuel-les ou pédagogue. Enfin moi, j’ai arrêté.  Peut-être que toi, tu y arriveras. Moi je me radicalise. Ca fait peur ce mot. Je sais. Je n’ai pas appris à arrêter de desservir ma cause dans les yeux du public non averti. Je crois toujours que le sexisme ne disparaîtra pas en lui chantant des chansons ou en pactisant avec lui, mais que c’est pas la force que les femmes obtiendront le respect puis l’égalité. Je ne parle pas de mettre des pains à Orelsan. Je parle de la mise en oeuvre d’un rapport de force. D’une pression sur les dominants. D’une surveillance de chaque instant. Je parle d’éduquer les femmes, de leur permettre d’accéder à des outils simples de compréhension et de détection du sexisme et de l’oppression. Je parle d’espaces non mixtes, où la parole se libère sans crainte, où les petites épiphanies peuvent se laisser éclore. Je parle de la généralisation du consentement actif à tous les aspects de la vie, apprendre aux femmes à dire OUI ou NON  à leurs médecins, à leurs enseignants, à leurs curés, à leurs amant-es, à leurs employeurs, leur donner les ressources nécessaires pour appréhender les conséquences de leur consentement, les accompagner. Voilà, ce sont mes ambitions. Voilà mon féminisme. Quelques phrases seulement pour un programme immense. Il m’aura fallu des années pour en arriver là. Des années à dire des conneries. Des années à refuser de me rendre compte que je faisais aussi partie du problème, des années à m’éduquer, à utiliser d’autres mots, à m’ouvrir, à sortir de mon éducation. Et je n’ai pas fini. Et je doute. Et je me sens souvent conne. Et je peux dire sereinement aujourd’hui que le reste ne m’intéresse pas. Qu’il y a d’autres féminismes. Certains me font gerber. Certains me renforcent et m’encouragent. Certains donneront même l’impression d’être efficaces. Certains le sont.  Je ne crois pas dans la sororité des militant-es féministes. Je ne crois pas à la sororité. Je crois au rassemblement des dominé-es concerné-es par leur survie. Je crois qu’on aide mieux quelqu’un-e quand on a soi même rencontré un problème, qu’on a réfléchi. Je crois à l’entraide féministe. Je crois à la bienveillance éclairée et à l’exigence.

(Quand j’emploie femme dans l’article, j’entends femme cis ou trans, sans distinction particulière sauf précision)

5 réflexions sur « Féminisme(s) »

  1.  » Je ne parle pas de mettre des pains à Orelsan. Je parle de la mise en oeuvre d’un rapport de force.  »

    Ben franchement camarade, c’est bien dommage. Parce que premièrement les deux ne sont pas mutuellement exclusifs, et ensuite si par hasard tu changes d’avis, je suis motivé pour un petit commando action pétage des dents blanches d’Orelsan, perso. No problem. Et ça changera pas la face du monde, mais la sienne si. X-)

    Sinon super texte, comme souvent ce que je lis ici. Bonne continuation.

  2. J’avais lu ce billet il y a bien longtemps, alors que je commençais à m’intéresser au féminisme. Je ne l’avais pas lu jusqu’au bout, chose enfin faite aujourd’hui. Malgré tout, il m’avait rassurée et invitée à poursuivre ma route. Merci d’avoir su si bien mettre en mot ce que je ressentais à l’époque, et bravo.

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