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Des hommes et des mouches

Je suis toujours très étonnée des stratégies employées par les hommes cis pour pénétrer un vagin. Ma condition nouvelle de célibataire me donne la joie de subir ces tactiques ancestrales, sans doute venues de nos aïeux préhistoriques, puisqu’on y retrouve un certain vocabulaire très-chasse-très-pêche. L’homme, brandissant son gourdin de chair, se poste dans l’ombre et attend de voir passer la vulve fraîchement tondue afin de l’assommer et de le traîner à sa grotte. J’exagère, mais c’est finalement l’image que me renvoient les tentatives cocasses de chasseurs de vagins patentés, diplômés de leurs permis de séduire selon les règles patriarcales, avec option Tinder langue renforcée. Je ne me souvenais pas, ou je ne voulais pas voir, à quel point la séduction est un enjeu de l’égalité hommes-femmes. Les hommes cis hétéros perpétuent volontiers les stéréotypes irrespectueux et genrés hérités d’une imagerie oppressive (ca coûte cher de se sortir une petite, le resto le ciné, il faut au moins que je la nique), n’hésitant pas à recourir aux mensonges, à la dissimulation, à la manipulation pour accéder au coït, et restent coincés dans un délire moyenâgeux laissant penser qu’une femme qui dirait son désir de copuler serait une salope, une salie, une fille de moindre valeur, et qu’il serait donc plus chevaleresque, et plus ambitieux d’arracher un consentement sous quelques manières possibles à une femme qui se refuse ou qui fait semblant de se refuser pour entretenir le désir de conquête de son assaillant. Triste monde tragique, puisque cette mécanique fort peu lubrifiée cantonne les femmes dans des petites cases bien fermées, les habitue à chier allègrement sur leur envie et leur consentement, et les conforte dans l’idée que leur sexualité, la manière, la fréquence, le choix des partenaires, tout cela influe sur leur valeur au grand marché de l’accouplement traditionnel. Ainsi, alors que je présentais mon deuxième petit ami à ma grand-mère, elle me servit cette sortie mythique « Y’a tout le train qui va donc te passer dessus, fais attention personne veut d’un produit abîmé. ». Si mon honorable aïeule n’est pas une force vive du changement vers un monde meilleur, elle représente le sens commun, cette petite voix bien bien ancrée dans nos inconscients féminins par des centaines d’années d’oppression. Nous sommes un produit à conserver au frais, ne briser l’opercule qu’en cas de force majeure pour obtenir le mariage et la protection de la bite majestueuse et pourvoyeuse de sécurité. Être une femme désirante, libre de prendre du plaisir avec Paul ou Brahim sans en attendre le partage d’une feuille d’imposition est donc doublement difficile : cela suppose d’être venue à bout de l’éducation à la préservation du joyau virginal de nos cavités, et de rencontrer des partenaires qui n’attachent pas leur numéro de passage dans la file vers ton clitoris à ta valeur en tant qu’individu. Compliqué.

Avoir du désir et le dire ouvre aujourd’hui une conversation hallucinante avec la plupart des hommes cis héteros. Il faut ensuite être prête à détailler la moindre pratique, dire si on suce après la sodomie ou non merci, les diverses façons dont on accepte d’accueillir la divine semence, si on a testé l’uro et si on est bi. Il n’est alors plus question de rencontres entre deux adultes consentants qui souhaitent passer un moment d’exploration sensuelle, mais d’un menu grande frite coca light mc flurry à la cyprine, l’addition merci. Si les travailleur-ses du sexe mettent en avant leurs pratiques sexuelles dans le cadre d’un échange marchand entre deux parties, il me semble que la recherche systématique du menu érotique préféré de l’autre appauvrit forcément l’échange. Est ce qu’on peut prendre un café avant que tu me pisses dessus ou est ce que tu es pressé ? Je ne dis pas qu’il ne faut pas parler de sexe, au contraire, dire son envie, ses limites, ce que l’on attend, me semble très positif. Mais le désir féminin n’est pas un détail d’une personnalité, quelque chose qui complète le portrait d’un individu tout entier, il devient l’unique point de focalisation du mâle, salivant déja devant le menu des festivités. Une pratique annoncée est une pratique vendue, et plus la pratique est rare, plus elle devient désirable. Une femme annonçant qu’elle aime pratiquer la sodomie se verra sodomisée avec plus ou moins de douceur et/ou de consentement à la première occasion, la pratique ne faisant plus l’objet de discussion ou de découverte ludique, elle est acquise et donc prenable, pilonnable sans questionnement préalable. La femme qui souhaite que son consentement soit respecté se verra reprocher d’avoir menti si elle refuse une pratique qu’elle avait annoncée comme possible, ou se verra confrontée à des efforts de négociation dignes de Camp David de la part d’un homme décidé à la besogner dans les termes énoncés. Il faut avoir confiance en soi, il faut avoir déconstruit son rapport aux hommes et au sexe, il faut être forte pour résister aux injonctions performatives de nos partenaires. De guerre lasse, disons le, les femmes se font enculer. Et pensent à autre chose.

Je ne crois pas aux hormones qui expliqueraient le manque d’éducation, de respect et d’intelligence relationnelle des hommes cis. Je ne crois pas aux règles qui rendent sales, aux petites filles qui doivent être bavardes, aux femmes obligatoirement « michtoneuses ». Je crois à un long processus d’oppression de la liberté d’un groupe par un autre. A une éducation genrée qui enseigne aux uns à prendre et aux autres à accepter d’être prises. La drague, la séduction la vie intime, rien n’échappe aux injections subies depuis notre enfance. Je repère chez moi, à force de réflexion, les moments où ma volonté se courbe devant l’envie d’être une fille normale, une fille qui dit oui, une fille qui se tait, une fille qui se laisse baiser même quand elle n’en a pas envie. Je résiste parfois, je cède encore trop souvent, parfois même sans m’apercevoir de la violence que je me fais. Cela vient plus tard, quelques minutes ou quelques heures après, cette espèce de culpabilité de ne pas avoir su dire non, de ne pas avoir été assez forte ou alerte pour réagir. D’avoir laissé ce processus de lamination totale de ma volonté de femme gagner. Je m’en veux. J’en pleure, comme une fille. Et puis je me dis que je ne laisserai plus rien passer. Alors je retourne à la case 0, à ne plus rien supporter des hommes qui ne soit pas parfaitement dans le respect de mon individualité. Alors j’ai la tentation de me taire. Mais je me souviens, et je me mords, et je gueule. Et je ne me laisse plus faire. Et je ne veux plus entendre qu’il faudrait être plus souple, qu’il faut accepter les défauts de l’autre. Il ne s’agit pas ici des qualités d’un éventuel partenaire, de savoir s’il range ses chaussettes sales ou s’il sait faire les pâtes à l’ail, il s’agit de ce que je suis en droit d’attendre en temps qu’être humain, en tant que personne vivante. Il ne s’agit pas de qualités qu’on pourrait choisir sur catalogue, mais des caractéristiques essentielles de ce qui rend la découverte de qualités possibles. C’est le préambule à l’amour, celui du corps ou celui des têtes, que de savoir se regarder soi en tant qu’individu désirant et volontaire. C’est un joli préliminaire. Je ne sais pas si c’est tout à fait possible. Après la révolution sans doute, amours et révoltes. Mais je ne suis plus prête à transiger. My way, José.

 

Nice 11h06

Nous n’irons pas a New York. Nous n’irons pas aux Maldives. Nous ne mangerons plus de sushis. Nous ne nous appellerons plus. Je ne porterai pas ton enfant. Je ne t’attendrai plus au pied de mon immeuble. Nous ne nous aimerons plus. Tu pars, je reste. Peut être le contraire. Je perds le sens du Nord. Je ne sais plus quoi faire de mon corps. Il est ballant, tout entier, lesté de centaines de bulles de plombs, pustules d’avant, kystes de futurs avortés. Il faudra m’en débarrasser, un à un. Il faudra inciser dans le tendre pour me séparer de toi, pour de bon cette fois. Passer la lame entre deux artères descendre vers le ventre, ouvrir en grand. Laisser sortir les humeurs et les vices, les envies et les bis. Nous n’irons plus, mon amour, c’est ainsi, c’est pour de vrai cette fois, tu me l’as dit.

Nous avons essayé avant, partir, se regarder de loin, lâcher la main de l’autre, sauter dans le grand bain. Nous avons échoué, toujours, liés par le nombril, jumeaux maléfiques. Nous n’irons plus, le cordon se disloque, les chairs sont putrides, il faut s’y résoudre, il faut grandir. Tu me serres mais tu n’es plus la. Je serre les restes, les cendres, le vide. C’est rassurant. Ton odeur reste dans l’air encore quelques minutes, c’est comme si rien n’avait changé. Je me gave des dernières molécules de toi, je voudrais les attraper et les enfermer, un bocal pour ma soif, une boîte secrète pour les jours de manque. Nous n’irons plus, tu as raison, tout cela ne mène à rien, tout cela nous pese et nous fatigue. Bien sur nous nous aimons. Bien sur. Et alors. Nous sommes trop vieux pour nous en satisfaire. Nous sommes trop grands pour nous cacher les yeux derrière nos mains collantes, nous sommes arrivés, terminus, fin de la voie, dehors, plus rien.

Tu pleureras longtemps, en descendant du train. Gare de Lyon, RER, quelques minutes pour te refaire bonne figure. Je me pelotonnerai contre la vitre du taxi. J’essaierai de ne pas t’écrire. Je regarderai mon téléphone en espérant que tu le fasses. Tu ne le feras pas, et tu auras raison. Rien ne me consolera de toi. J’irai mieux bien sur, j’irai bien. Mais ta branche restera cassée, elle ne guérira pas. Je te garde tout mon amour. Je te souhaite d’être en paix. Je voudrais pouvoir t’´imaginer heureux. T’imaginer être à nouveau l’homme que tu étais toutes ces années avant nous. Avant la peur et l’ennui et l’angoisse et la mort et les cris et les ratés et les mensonges et le temps qui ne nous oublie jamais. Sois heureux mon amour, nous n’irons pas ensemble, tu iras avec d’autres, j’irai ailleurs peut être, dès que mes jambes me porteront, promis. Maintenant nous descendons du train et le quai tout au bout nous séparera. J’avance a tous petits pas.

Le test

Parfois, cette impression que la vie t’envoie des signes. Comme quand tu couches sans contraception et que tu passes le mois d’après à voir des femmes enceintes partout, que tu comptes et recomptes les jours depuis tes dernières règles, que tu te mets à calculer tes périodes fertiles, à mesurer ta glaire. Des actes que tu poses, des pensées magiques pour conjurer le sort, si je suis blanc d’œuf c’est sur, c’est bon, je suis enceinte, si j’ai le prochain feu rouge, pour de vrai il va m’appeler. Et puis le sang arrive tout de même, souvent avec du retard, comme pour se jouer de ton angoisse, comme pour te faire culpabiliser, tu paies ton inconscience cash sur le zinc avec tes nerfs détruits et tes nuits passées sur Doctissimo. Tu promets, plus jamais. Tu jure même que tu vas changer toute ta vie, que tu vas arrêter de fumer et te mettre au ski alpin, que tu seras gentille avec ta vieille tante et que tu donneras plus à la croix rouge, parce que t’as eu tellement peur qu’il semble très judeo-chrétien de se racheter, de faire amende de son pêché. Et puis, tu réfléchis. Au pire j’avorte. Et alors. Tout le monde avorte. Alors tu oublie d’appeler ta tante et tu ranges tes skis. Et il ne te reste que le souvenir des nuits agitées, les doigts enfoncés profond, trouver ton col de l’utérus et appuyer, comme si tu pouvais empêcher la nidification d’un corps étranger, comme si tu pouvais t’auto-avorter. La vie reprend, mais pas tout à fait pareil. Plus jamais, ou en tout cas le moins possible, on fait des compromis avec nos serments, on se laisse vivre. C’est bien, c’est pas bien, on verra.

Et puis il y a l’autre test, celui du VIH, des maladies sexuellement transmissibles. Une histoire qui se termine, un partenaire qui s’oublie dans une autre, une envie de passer à la chair, il y a deux cents raisons de le passer, toujours  valables, toujours bonnes. Testons nous, donc. Ca c’est la théorie. Dans la pratique, il me faut quelques jours de torture mentale pour franchir le pas. Il me faut réviser toute mon histoire sexuelle, faire une liste des pratiques, évaluer le risque, c’est le rationnel. Et puis l’irrationnel arrive. Je m’ausculte. Les ganglions. Les lésions. La respiration. Je perds mes cheveux. Google : perte de cheveux + VIH. Je me regarde dans le miroir. Est ce que j’ai l’air malade ? Je sais pourtant que personne n’a l’air malade. On est con quand on a peur. Je le sais, dans mon cerveau. Je l’ai appris. Mais là, impossible de me connecter à la raison. J’ai 8 ans d’âge mental et j’ai peur. Alors je réussis à me convaincre que je suis porteuse du virus. J’y crois. Google : trithérapie. Je me prépare à l’annonce. Je me demande si je vais pleurer devant le médecin, si j’ai le droit à un verre d’eau et à un mouchoir. Je répète mentalement ce que je vais dire à ma mère. Google : annoncer séropositivité. Assieds toi, faut que je te parle. Je vais la tuer c’est sur. Pourtant on vit avec le VIH. On vit de mieux en mieux même. Mais on en meurt aussi, toujours. Tout ira bien maman, je te jure. Une grande respiration. Je sors la calculette. Combien de gens ont été dépistés l’année dernière ? Google : CDAG dépistage nombre 2014. Combien de gens ont été déclarés positifs ? Google : CDAG positif vih 2014. Des pourcentages. Des règles de trois. Google : règle de trois. Peut-être que j’ai une chance. Peut-être que je serai gentille avec ma vieille tante et que je me mettrai au ski alpin. Si j’ai une chance. Si tout va bien.

Et un matin sur Twitter, tous, toutes, vous parlez dépistage, vous parlez VIH et IST. Et chaque onglet que j’ouvre me parle Sida. Ce sont les signes. Les mêmes. C’est le moment. Quelque chose veut que j’y aille. Maintenant, tout de suite, sur l’instant. Il faut savoir, impossible de continuer la torture mentale, les scénari de remise des oscars. Pause déjeuner, CDAG, des tas de gens, des vieux des jeunes des femmes des hommes des blancs des racisés des seuls des couples des costumes des jogging des mocassins des attachés cases des mini jupes des voiles des blondes des roses des gros. Tous blancs comme des linges. Tous hyper concentrés sur leurs téléphones ou sur un point fixe imaginaire droit devant. Tous dans une bulle d’angoisse. Tous un petit carton anonyme dans la main, quelques numéros attachés à notre sang. On attend. Je passe avec le médecin. Quels sont mes risques ? Il décide ensuite des examens à pratiquer, VIH, Syphilis, hépatite ? Attendre encore le prélèvement. Regarder émerveillée le va et vient de ceux qui viennent chercher leurs résultats, leur entrée, défaits et exsangues dans le bureau du médecin, leur sortie glorieuse, petits pas de danse de joie, sourire à l’assemblée, tout va bien j’imagine. Quelle chance. Je voudrais déjà sortir de ce bureau. Bientôt. D’abord la prise de sang, une infirmière tellement douée que je ne sens même pas l’aiguille, je range mon petit carton précieusement, mon sésame pour la santé. Trois jours ouvrés. Tic tac. 72h dans les limbes, à tout imaginer, à tout relire, à tout chercher. Google : faux positif VIH. Google : faux négatif VIH. Google : test combo vih anticorps CDAG. Google : comment bien dormir. 08h30, ce matin, j’attends l’ouverture des portes, le médecin prend mon petit carton, je m’installe dans un box. J’ai chaud. J’ai froid. Je tremble. Calme toi putain. Il a ouvert mes résultats dans le couloir, il n’a pas encore tout à fait fermé la porte qu’il m’annonce déjà que tout va bien, est ce que j’ai des questions ? Non ? Alors merci, au revoir.  Je crois que j’oublie de le saluer, je tiens mes résultats dans mes mains, je relis. Ok. Tout va bien. Et je passe, à mon tour, sautillante, devant ceux qui attendent. Bonne journée !

Carte Postale de Bretagne

La mer, amas cellulite vague dune sable, le sel, serviette élimée crême périmée cendrier canette, un rocher, les autres, leur odeur, l’impossibilité de fuir les corps, si présents dans l’espace, si couverts d’habitude, si dénudés à présent. De la rue au sable, quelques mètres, no man’s land, mélange de ceux qui enlèvent leurs chaussures et de ceux qui les remettent, on range son sein, on réajuste son sexe, on se gratte la raie, on laisse nus les enfants. Ils peuvent eux courir sur le parking tout torse dehors, sauf les petites filles passées trop vite trop grandes, celles là sont couvertes ou se couvrent d’elles mêmes, la pudeur, la modestie, l’habitude peut-être. Les tétons sont vite sexués, à trois ans Virginie porte déja un erzats de bikini, les balconnets de mousse gorgés d’eau remontent sous son menton et ne couvrent rien de ce qu’il faudrait déja cacher, sa chair est tendre et griffée à force de rabaisser l’étoffe détrempée sur sa chair, elle mime déja l’adolescence et traite de bébé ceux qui osent jouer dans l’eau en slip, sans s’en soucier. Grandir c’est couvrir les morceaux qui dépassent ou qui pourraient faire envie, prendre conscience de sa chair comme une arme de séduction ou comme un fardeau à porter, se faire proie ou chasseresse dans un labyrinthe biaisé.  Chez les enfants pourtant, chez les petites filles d’abord, les copies conformes de nos vêtements d’adultes me paraissent grotesques et dangereux, les empêtrant dans des noeuds et dans des tissus collants qui gênent leurs mouvement et les catapultent sans explications dans les obligations à s’asseoir les jambes croisées ou à veiller à ne rien montrer. Cacher leur sexe, pour des raisons d’hygiène, de propreté enfantine, de sable ou d’apprentissage de son corps, certes. Déguiser les petites baigneuses en poupées à volants, les alourdir de vêtements à soigner, leur enseigner qu’il est plus important de ne pas se tâcher plutôt que de bien jouer, non merci. Le genre viendra leur pourrir la vie, demain à l’école, au sport, à la cantine. Ne sexons pas nos enfants comme des poussins d’élevage, laissons leur le temps de trouver les travers de notre monde, entre le rose pailleté à outrance des jouets genrés et les sports de garçons qu’elles regarderont du bord du terrain, supportrices du dimanche et faiseuses de sandwichs attitrées.

Les soirs de week-ends, on ouvre ici la boîte de nuit, sorte de cave recouverte de skaï pour adolescent-es gominés et attifés, on s’y rend comme en pélérinage, on met les plus beaux habits, on tremble devant la porte sur le rythme des basses qui écrasent les méches ourlées des filles brushées. Ils n’ont pas 18 ans, mais tout le monde s’en fout, elles ont 16 ans et ca suffit, peut-être moins, les traits se distinguent moins bien sous les couches de fond de teint, une cigarette à la main, l’air de jouer sa vie sur un signe du videur, tout se joue entre le fumoir et la sortie, on vérifie une dernière fois son gloss, on suce une sucette pour se donner un genre, on paie 6 euros, c’est parti. Je me sens centenaire à les regarder, vieille et cynique, je pourrai être la mère de ce petit dur au crâne rasé qui s’enquille des tequila pour avoir l’air moins bête, j’ai fait pareil,  il vomira tout à l’heure, et ca fera des souvenirs pour la rentrée, la soirée sera re-écrite, racontée cent fois dans le car de rammassage vers le lycée de la grande ville. Ici on trouve de l’héroïne, de la cocaïne, on se drogue à la campagne plus tôt et plus dur qu’à la ville il me semble, pour tromper l’ennui, pour se sentir vivre, pour faire son expérience, on fume du mauvais cannabis sur la plage en se pensant hippie. Internet n’a rien changé aux adolescences chiantes, aux dimanches sans rien à faire d’autre qu’à traîner, à l’envie d’avoir une mob pour rejoindre sans contrainte la ville d’à côté, aux parents qui ne comprennent rien et à l’envie d’hurler. En ville comme ici, les cliques de ceux qui ont, de ceux qui n’ont pas, de ceux qui paraissent, et de ceux qui voudraient bien avoir l’air, les beaux et les moches, les gros et les drôles, la même attitude flasque et bavarde, la même posture dans l’attente. Que la vie commence, que les parents partent en vacances, que les résultats tombent, que le permis soit passé, que les boutons disparaissent, attendre d’être soi, de découvrir ce qu’on voudrait et ce qu’on ne pourra pas avoir, se prendre sa vie rêvée en pleine face, abandonner, recommencer, refaire, partir d’ici puis revenir, s’asseoir sur la plage et regarder la mer.

Les cheveux bleux se promènent sur la digue après le déjeuner, scène d’une promenade digestive sur le port, ils marchent en couple, ceux qui survivent ensemble se tiennent le bras et marchent à petit pas, les veuves avec les veuves, les veufs avec leurs chiens. On se rappelle comment c’était avant, le nouveau port et le nom de ce café qui a fermé, on se raconte les étés qu’on passait, quand les enfants étaient là et quand ils venaient alors, quand les petits enfants se satisfaisaient encore d’étés passés dans la torpeur des confitures maisons et du club de plage, quand l’autre est mort et que sa femme a suivi juste après, on montera au cimetière demain, si le temps le permet. Les vieux vivent en vacances comme au travail, il y a des horaires et des itinéraires, on mange à 13h pile pendant le journal, on attend deux heures avant de se baigner, on mange des huitres les mois en R, et le poulet roti chaque lundi du marché. On se couche tôt, pour profiter le lendemain, mais demain c’est pareil qu’hier, les courses, le journal, la télé, la promenade sur la digue, les mots croisés. On vient en train quand on ne peut plus conduire, on pourrait mais on a peur, les gens roulent comme des fous, on laisse l’auto au petit fils, on fait avec la vue qui baisse et les jambes qui fléchissent dans la montée vers Shopi, c’est la vie. On espère que tout se passe bien dans l’appartement parisien, que la gardienne arrose les plantes, ca sentira le renfermé quand on rentrera pour la rentrée, puisqu’il faut rentrer même si on a plus rien à faire, même si tous les rendez-vous sont annulés. Ici c’est l’été, là bas l’hiver, parfois une croisière, on reste actif même si on a plus rien à faire.

La maison

J’ai toujours aimé compter mes pas. Avant les recommandations de l’OMS, avant l’appli Santé, j’aime compter quand je marche, les pas et les creux, les lignes et les traits. Les chiffres prennent des couleurs, des notes, j’aime mieux les multiples de trois qui donnent pairs que les multiples de deux trop évidents, il y a une hiérarchie des nombres dans ma tête, un podium des associations mathématiques magiques, une symphonie de 18 et de 48, tantôt roses, parfois bleus, je ne m’arrête pas orange ou violet, 215 ou 511 jamais. Quand j’étais petite, mes jambes plus courtes comptaient plus vite, les mêmes trajets aujourd’hui me demandent moins de chiffres, je mesure les années au nombre de pas que je gagne à ma foulée, ma forme et mon envie à la vitesse des additions, quand il faudra ralentir et compter plus doucement, la vieillesse arrivera, je reprendrai les mêmes pas qu’à 7 ans avec des jambes plus grandes, j’aurai mathématiquement régressé. Dans la station balnéaire de mes étés d’enfant, les trajets sont les mêmes, mes jambes ont poussé, je compte à peine, je connais par coeur, les virages et les montées. Ma chambre de jeune fille du deuxième est vide, j’habite la chambre rose du premier depuis que je suis grande, depuis qu’un garçon a été présenté aux pierres et au granit, à ma mère et à ma grand mère, à mon enfance et au matelas en laine des chambres vides toute l’année.

J’aime l’odeur de cette maison, celle du papier peint humide et de l’eau salée, celle du parquet et des draps propres rincés par la pluie au moment de sécher. J’entends le tic-tac de la grosse horloge bourgeoise du salon, même si elle a arrêté de toquer il y a des années, le bruit est dans ma tête, elle sonne encore les heures et les quarts d’heures, on la remonte avec une grosse clé rouillée, au coeur de la vieille dame, perché sur un tabouret. Le vieux fauteuil défoncé, toujours monopolisé par les adultes, que je peux maintenant réclamer de manière légitime, je suis grande moi aussi, tu vois, j’ai droit, on s’y asseoit par ordre d’âge, sauf quand on est trop vieux pour en sortir, la terre est basse, les os craquent, on préfère une chaise, comme les enfants, naufrage ordinaire des corps qui ne peuvent plus s’abandonner à la mollesse. L’odeur du gaz sous les casseroles et les allumettes qu’on cherche toujours, la manie de mon père de remettre celles qu’il craque dans la boîte, les oeufs brouillés à la tomate de ma grand mère, ses jupes culottes clownesques et ses Mephistos increvables, la boîte à couture dépliable, la crème anti ride L’Oréal, la liqueur de fraise et la brioche au beurre salé, les hortensias crevés du jardin et les chats du quartier, ma mère assise sur le perron, cigarette à la main, je mélange les meubles, les murs et les habitants, les histoires, les anecdotes, les odeurs, cette maison c’est chez moi, comme ceux qui passent dedans un moment. Cette maison est à moi, je le sais maintenant.

Je ne crois pas avoir été jamais malheureuse ici. Ou alors pas beaucoup, ou pas assez pour que je m’en souvienne. Tout coule, tout est toujours pareil ou presque. Le moindre changement fait grand bruit, refaire un pièce, faire construire une bibliothèque, se séparer de la cuisinière au charbon vieille de 30 ans, tout est négocié avec nos mémoire, de quoi pourra t on se passer, de quoi peut on priver nos habitudes, comment remplacer quelque chose sans ne rien changer de la saveur particulière de nos étés. Cette maison me protège, elle veille, elle conserve au frais les mémoires de ma famille, elle renferme les objets qui ouvrent les vannes des souvenirs cachés, elle provoque les discussions nocturnes, les arbres généalogiques sur un coin de nappe, les aveux et les larmes des drames vite oubliés. La table modulable de la cuisine a vu passer les hordes d’adolescents affamés, les vieux couples, les disputes, les cartes qu’on tire pour se faire peur, les séances de spiritisme, le trivial pursuit sacré, des milliers de petits-déjeuners, des kilos de haricots verts équeutés. Tout me rappelle à moi dans cette maison, ce que j’étais, ce que je suis. Sans juger, sans me faire de procès, me faire remarquer que j’ai pris du cul ou que j’ai tout raté. Cette maison m’attend, elle est contente quand je viens, croyez ce que vous voudrez. Et elle a hâte de me voir l’année prochaine, pour voir si j’ai changé.

Pro sexe pro rien

Cet article parle principalement de relations hétérosexuelles.

Je me questionne beaucoup ces jours ci (comme c’est pédant de dire ca ahah) sur le féminisme pro-sexe, sur les films pornos « féministes etc. Ma réflexion est évidemment déclenchée par le documentaire d’Ovidie « A quoi rêvent les jeunes filles », qui a le mérite d’interroger la norme hetero patriarcale qui vient infiltrer nos initiatives les plus militantes. Je ne peux pas le regarder sans penser à cet article du photographe et modèle Dwam sur les Suicide Girls, qui explique clairement en quoi une entreprise qui se voulait féministe se transforme peu à peu en entreprise tout court, créant une nouvelle norme du queer ou du alternatif politiquement correct. Un peu comme les cheveux pastels sur les jolies filles cet été, ces teintures n’ont rien de transgressives, les crêtes des punks sont bien loin, on reprend les codes d’une contre culture militante pour l’édulcorer et la dissoudre dans la norme. Pas d’handicapé-es moteurs ou mentaux, pas de gros-ses, pas trop de racisé-es, dans les productions « féministes », les personnages identifiés comme féminins sont queer, tatoués et piercés, minces blancs et valides. Toustes présentent une sexualité débordante, baiser sans entraves, jouir partout, cupcakes vulves et ateliers de création de sextoys « féministes », l’injonction à baiser pour exister toujours présente, il faut que le corps exulte, c’est comme ca qu’on se libère, voilà le message. C’est difficile de s’exprimer contre ce message, car il ravit tout le monde. Les féministes pro sexe se sentent validées par l’idée de la libération des femmes par le corps dénudés et l’activité sexuelle, et le patriarcat profite largement des productions photographiques ou vidéos comme outil masturbatoire, et  la libération des corps multiplie l’offre des partenaires et les sexualités ludiques à découvrir. Les femmes, elles, restent pourtant seules à assumer les conséquences de cette « liberté » à jouir et à se montrer : contraception, grossesse, avortement, « réputation », répression policière et systémique des travailleur-ses du sexe, etc. Et les autres, les femmes non belles, non normées, les gros-ses, les racisé-es, les moches, celles qui jouissent pourtant hors du champ de la caméra, dans la vraie vie, celle ci se retrouvent hors du féminisme une nouvelle fois. Et celles qui choisissent de ne pas jouir, de ne pas avoir de sexualité, celles qui lient sexualité et mariage, celles qui choisissent la modestie vestimentaire, celles qui portent le foulard, quelle place ont elles dans ce féminisme ?

Je ne crois pas en une révolution qui flatte la bite du dominant, j’ai donc du mal à comprendre ce qu’apportent les productions érotiques ou pornographiques féministes à notre libération. On m’oppose la réappropriation du corps, du sexe, l’exploration de territoires intimes jusqu’alors contrôlés par les hommes. Certes. On peut se rouler à poil dans la cyprine devant le Sénat autant qu’on le souhaitera, ca ne fera pas avancer la choucroute du droit des Femmes. Rappelons que nous n’avons même pas droit à un ministère propre. Ahem. Que les femmes qui le décident, avec un consentement éclairé, posent, se filment, jouent, travaillent à l’invention d’un porno éthique, plus représentatif des genres, des sexualités, oui, très bien. Prétendre que cela est féministe et que cela participe à l’accès aux droits des travailleur-ses du sexe, les Roses d’Acier par exemple, non. Penser que la jouissance est une donnée importante du bonheur, ok, mais pas pour tout le monde, pas toujours, et surtout, pas sur le même modèle, et les ateliers de découverte du clitoris n’ont pas empêché la fermeture de centaines de centres d’orthogénie et d’IVG en France. Le sexe n’est pas un levier de négociation féministe, on se doute qu’on obtiendra pas l’égalité salariale en acceptant (en se taisant) une promotion canapé (un viol donc), on imagine donc qu’on ne convaincra pas les dominants de lâcher leurs jouets en les invitant à un spectacle de pole dance (qui est un sport, pas du tout un exercice de séduction, les saviez vous). Faut il pour autant décréter que le pole dance, la production de matériel pornographique mettant en scène des femmes, et tout activité permettant l’accès à la sexualité des femmes ou à sa représentation par les dominants est anti-féministe ? Je pense qu’il faut y penser. Et envisager que le seul levier d’action dans la sphère du cul contre la domination masculine en milieu hétérosexuel soit la privation totale d’accès à la vulve, l’arrêt de toute production à visée masturbatoire. Extrémiste vous disiez ? Hystérique ?

Le sexe, l’acte ou sa mise en scène, ont dans notre société des conséquences trop graves pour les femmes, et pour les individus, pour que nous, les militant-es, nous laissions aller à penser qu’il est suffisant d’en parler très fort, de le montrer sur grand écran ou d’y penser sous un angle féministe, pour déclencher le changement profond que nous attendons. Tout n’est pas sexe, on revient de Freud comme on revient de tout. Ce n’est pas le sexe, et la mise en scène d’une nouvelle norme, qui nous donnera l’égalité. Ce n’est pas en oubliant que les femmes peuvent choisir de ne pas montrer leurs corps, de ne pas avoir de sexualité ou de la réserver à un partenaire qu’on avance. Ce n’est pas en laissant des femmes sur le côté que nous arriverons à une révolution féministe. Et ce sexe, que nous mettons partout à la sauce samouraï-feministe, ne se sépare jamais de ses influences patriarcales.  Certaines pratiques, comme le BDSM, montrent vite leurs limites quand elles sont pratiquées dans un environnement non déconstruit : les femmes sont soumises, et les hommes qui sont excitées par l’idée de la soumission à une femme sont considérés comme des traîtres à leur camp, des  »pédés », des sous hommes. On ne s’étonne pas qu’une femme dans un rapport hétérosexuel soit excitée par la violence, les mots crus, on se revendique volontiers salope. Il ne s’agit pas d’interdire à nos partenaires de nous traiter comme des petites chiennes lubriques dans un jeu érotique consenti, mais de se permettre de penser que la facilité avec laquelle les femmes acceptent des conditions de rapports sexuels violents ou dégradants, ou les réflexes de conditionnement qui les poussent à mouiller quand on les insulte ne sont pas innocents, mais s’ancrent bien dans une tradition misogyne et patriarcale de soumission aux hommes. En fait, le souci consiste à pouvoir continuer à baiser avec des hommes cis après une épiphanie féministe : il devient impossible de ne pas déceler domination, misogynie et sexisme dans sa vie publique comme dans sa vie privée, continuer à coucher avec l’ennemi est difficile, en tant que féministe hétérosexuelle c’est un paradoxe lourd.

Re, Rémy

Salut Rémy,

C’est Daria, tu sais, enfin non tu sais pas, Disons que je suis une personne avec des seins et un vagin, que je me déplace dans l’espace public et que j’ai le droit à la parole, un peu mais pas trop. Y’avait ton pote Guillaume PLEY qui s’amusait à rouler des pelles de force à des nanas dans la rue, par la force ou par la surprise, y’avait tout plein de Youtoubeurs américains qui s’improvisaient guides en séduction et qui mettaient en branle toute une rhétorique de la manipulation pour niquer. Ok. Et puis y’a toi, le mec qui se déguise en chien pour mimer des positions sexuelles. T’as gagné. Tu peux monter sur ton petit podium en forme de teub, t’as la place numéro 3, juste sur la couille droite, on va te poser une couronnes de cols de l’utérus séchés sur les oreilles, t’es le César de la misogynie, l’empereur de la culture du viol. T’aime pas hein, cette expression. Culture du viol. Ca te fait bien chier qu’on puisse parler de viol, de violeurs, d’agressions sexuelles, alors que toi, pauvre mec, tu fais ca pour rigoler. Tu fais ca pour faire rigoler. Tu fais rigoler avec l’idée qu’on saute sur une personne en public pour lui imposer un acte sexuel. Tu peux bien te déguiser en chien ou en licorne tu sais. Tu fais rigoler avec l’idée du viol. Ca te dérange pas. C’est pas la première fois que tu te sers de ce ressort comique. Se frotter à des inconnu-es, par surprise, se filmer en train de pénétrer leur intimité, c’est facile, ca marche bien, des dizaines de milliers de vues pour le courageux Rémy, le Flash Gordon des roupettes, pas vu pas pris, qu’est ce qu’on se marre putain.

Moi j’ai perdu espoir. Je sais que tu ne changeras pas. Pas d’épiphanie glorieuse et féministe pour Rémy Gaillard. Pas d’auréole de repentance. Non, tu vas rester un connard, je suis à l’aise avec ce concept. Parce que tu n’as aucun intérêt à changer. Ce que tu fais, ce que tu mets en scène, ça fonctionne. Tu gagnes même ta vie avec l’idée qu’il est drôle d’agresser sexuellement des individus dans l’espace public. La société dans la quelle nous vivons, toi le connard misogyne, moi la féministe, cet espace que nous partageons, va dans ton sens. Les personnes socialement reconnues comme des femmes sont des objets. Tu la connais l’histoire. Je vais pas te refaire le coup de l’inégalité des salaires, de l’éducation genrée, du nombre de décès de femmes battues, de la contraception masculine, du plafond de verre… Je vais faire taire mes belles velléités de pédagogie, je vais arrêter de prêcher dans le désert. Tu t’en fous. Tu fais toi, comme disent les ricains. Ta gueule, ta tune, ton succès. Et tant pis s’il faut enfoncer les portes de stéréotypes meurtriers pour y arriver. Tant pis si tu perpétues l’idée qu’un vagin est objet pénétrable sans autorisation préalable. Tant pis pour les adolescents, les adultes mêmes, qui trouveront fort à propos de faire une Rémy GAILLARD en se frottant contre leurs amies, leurs sœurs, leurs collègues. Tant pis pour toutes celles qui ont senti un jour un pénis dur et étranger venir se frotter puis éclabousser le tissu de leurs pantalons, de leurs jupes dans les transports en communs et qui ressentent de la honte, de la colère, de la peur. Tant pis pour celles qui ont été pénétrées par un sexe masculin alors qu’elles n’étaient pas consentantes, par surprise, par emprise, par manipulation, par peur panique de crever. Tant pis pour les victimes des tournantes de Fontenay, tant pis pour mon amie au périnée déchiré par son violeur. Tu t’en fous Rémy. Et tu veux pas qu’on t’explique. Tu veux pas entendre. Tu veux juste faire des vues sur Youtube. Ok.

Je vais juste te dire ceci, Rémy. Si un de tes petits cons, si un de te disciples vient à se frotter, vient à agresser, vient à reproduire ton comportement demain, déguisé en nain de jardin ou en cosmonaute, ne t’étonne pas des conséquences. Ne t’étonne pas des lames, des objets de défense, des gazeuses, des poings, des dents, des claques, des larmes, de la stupéfaction, des plaintes. Nous n’avons plus le sens de l’humour. Nous ne l’avons jamais eu. Nous nous laissions faire, nous rions car nous n’avons pas d’autre choix. Le temps est venu de poser les masques. Le temps est venu de se défendre. Chacune avec ses moyens, chacune avec son arme, nous nous préparons. Nous devenons plus fortes chaque jour, nous apprenons à dire non, à crier NON, à hurler NON. Notre consentement n’est pas à prendre. Notre consentement n’est pas facultatif. Notre envie de répondre grandit. Nos moyens de réponses aussi. Le temps des discussions, des négociations, des jeux de rôles, tout cela cesse, tout cela s’arrête. Nous exigeons le respect. C’est pathétique. Nous en sommes réduites à exiger le respect de nos intégrités physiques dans l’espace public. C’est dramatique. Nous devons, en 2015, réclamer l’égalité de traitement entre hommes et femmes, encore. Nous devons en 2015, répéter, rabâcher, décortiquer les idées brunes des ennemis du genre. Encore. Nous devons, aujourd’hui, dire que nous ne laisserons plus faire. Qu’une par une, nous dirons NON. Aujourd’hui ou demain, chacune selon son rythme. Nous ne voulons plus faire rire de nos trous ouverts à la consommation publique. Nous ne voulons plus que nos organes sexuels soient des fétiches guerriers à afficher. Nous voulons rendre les coups. Nous voulons faire taire. Nous voulons vous obliger à nous respecter, puisqu’il est impossible de vous arracher la moindre évolution volontaire. Alors Rémy continue.

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Le non malheur

Je me demande à quel moment exactement les choses arrêtent d’être précieuses. A quel moment exactement l’extraordinaire devient ordinaire. Quel est le mécanisme de nos désamours, de ma flemme, du petit mur de béton qu’on se colle juste derrière les paupières pour s’éviter de se faire mal ? Parce qu’au bout des choses, rien ne sera parfait. Rien ne sera comme on avait prévu. Tu fais des plans, D.ieu se marre. C’est l’ATD sur ton compte qui t’empêche de partir en week-end, c’est le cancer qui te fait crever avant la retraite, c’est le caillou dans ta chaussure, c’est ton conjoint qui te trompe, c’est des tas de milliers de toutes petites ou énormes raisons qui font tout foirer en permanence. Parfois tu ne contrôles plus rien et tout va mieux pourtant. Jesus take the wheel. Tu rencontres des gens qui semblent sincérement s’intéresser à toi, tu passes une bonne soirée au détour d’un bar de merde, c’était pas écrit, c’est le mektoub ou le soleil qui rend les gens plus tendres, prêts à te sourire plutôt qu’à t’ignorer, peut-être que c’est moi qui change aussi. Jusqu’à quand ? Est ce qu’il faut décider que tout ira mal, et choisir en conscience de prendre le meilleur, d’être prêt à en chier pour les parenthéses enchantées, quand tout s’emboite et se coordonne sans efforts, sans lubrification articielle aux rictus forcés.

Ou alors on décide que tout ira bien toujours. Et que rien n’est trop grand, trop indestructible, contre la volonté et le système D. Qu’il va falloir se battre, sans cesse, pour tout. Mais que ca vaut le coup. Pour son amour propre, pour se dire qu’on arrive quelque part à la fin du chemin, qu’on ne gesticule pas en vain. Il faut du courage pour s’investir dans cette quête là. Il faut se lever chaque matin en attendant le meilleur.. C’est une posture qui ne me vient pas naturellement. J’attends le pire, toujours. Je suis heureuse quand personne ne meurt. Encore une belle journée. Encore une victoire pour Super Blasée. Je pensais que c’était une caractèristique de mon trouble anxieux. C’est en fait un trait de personnalité. Je me réjouis du non-malheur bien plus que du bonheur. Ca me fait plein de petites occasions d’être contente. C’est le plaisir ironique cheap de la meuf enclavée dans la certitude qu’il va se passer quelque chose de terrible, tout le temps. Ca me permet de grands sourires quand ma grand-mère répond au téléphone, chouette, elle n’est pas étendue seule dans sa cuisine en train d’agoniser. Parce que c’est comme ca que je me la représente, quand je compose son numéro. Etendue raide et suffocante sur le lino beige, regadant le téléphone sonner, incapable de se relever. Le pire, toujours. Et le soulagement, parfois.

Je ne sais pas ce qui est le plus facile à vivre. Mon pessimisme m’autorise une posture snob. Mais décréter que tout ira mal, toujours, c’est aussi une technique de froussarde. Je me prépare au pire parce que je le crains. Les baffes énormes que je me suis prises dans la gueule ces derniers mois de me donnent pas envie de m’exposer sans armures à mes semblables. Si tout est merde, si tout est nul, se laisser surprendre par le bon ou le joli n’est qu’un bonus génial. Plus une nécéssité, plus une raison de vivre. Je n’ai objectivement pas besoin d’être heureuse pour respirer, pour aller travailler, pour remplir à mes obligations d’humaine sociabilisée. C’est mieux bien sur. Ca met quelque chose de plus léger dans le plomb de mes baskets quand le réveil sonne. Mais ce n’est pas vital. Je ne cours pas après. J’attends qu’il me tombe tout cuit. Entre paresse et fatalité, entre le pot et le couvercle, entre la pierre et l’enclume, je ne sais pas choisir, je ne sais pas renoncer. J’espere qu’il viendra, en me cachant les yeux derrière mes doigts. Je ne le dis pas trop fort, de peur de les faire fuir, de peur de dire mon voeu tout haut et qu’il ne se réalise pas. Je prévois, je fais des listes, je regarde les issues de secours, mon siège est éjectable, mais pour aller où ? On verra.

2 semaines

Ma chérie, aujourd’hui je te serre dans mes bras, il y a quelques jours encore, je te croyais partie, vers le grand voyage des gentils qui partent trop tôt, de celui dont on ne revient pas. Alors tu pouvais dire ce que tu voulais, que tu regarderais toujours derrière mon épaule pour me surveiller, même de là haut, que tu serais toujours là, que tu m’aimais, moi je m’en foutais pas mal. Moi ce que je voulais c’était t’attraper et te retenir, te contenir de mes bras trop petits et te serrer tout fort, te retrouver pour t’étouffer de mon amour, tu voulais mourir, d’accord, mais pas comme ca, pas toute seule, pas sans moi. Et moi je ne veux pas mourir, pas du tout, même pas un petit peu les soirs de pluie, plus du tout, alors t’es obligée de rester, c’est comme ca, pas le choix. C’était difficile de te priver de la liberté de t’en aller. C’était difficile de savoir que tu allais être prise en charge par des étrangers, qui ne connaissent pas tes manies et tes envies, qui te traiteraient comme quelqu’un de plus dans un service, qui ne comprendraient pas la chance qu’ils avaient de s’occupe de toi, de pouvoir te voir, te parler, te chérir. C’était difficile de m’avouer que je ne savais plus t’aider. Que tout ce que je pouvais faire ne suffisait pas. Je suis désolée. Je me refais le film de cette journée, je me demande ce qu’il faudrait faire, ce que j’aurai du dire. Je ne peux plus relire nos échanges, je voudrais les effacer, ca viendra. Il faut que je passe à autre chose. Il faut que j’arrête d’avoir peur pour toi.

Ma chérie, ma soeur, mon sang, mes yeux. Tu as pris le temps pour m’apprivoiser. Tu m’as acceptée. Toute entière. Quand j’allais mal. Quand je ne sortais pas de chez moi. Quand le moindre pas dehors m’était impossible. Tu as pris ma main dans la tienne et tu ne l’as pas lâchée. A toi je peux tout dire. A toi, je n’ai presque plus besoin de parler. Tu sais mes angoisses, mes douleurs. Tu sais quand je me cache et quand j’en fais trop. Tu me décodes, tu me protéges, tu m’enveloppes. Tu as su voir en moi ce que je croyais mort. Tu m’as aidé à revivre. Ma confiance en toi est immense, ma loyauté presque stupide. Ni toi ni moi ne sommes parfaites, mais nous nous complétons, tu es liée à moi du dedans, les racines sont profondes, juste sous le coeur, elles passent entre les côtes pour appuyer dans le tendre. J’apprends à vivre sans toi. Sans tout te raconter de la moindre minute. Je n’ai plus personne à prévenir quand je vais chier. C’est un drame. Non. C’est juste triste sans toi. C’est juste nul. C’est juste moins drôle. Je sais que je te manque aussi. Tout ca je ne te le dis pas. Parce que c’est déja assez égoïste comme ca de le penser. Parce que tu as autre chose à foutre que de m’entendre me plaindre de ton absence. Pardonne moi de penser à moi. C’est juste que je ne sais pas quoi faire de plus pour toi. Alors j’occupe la place, en attendant. Je t’attends fort. Tout le temps. Je pense à toi.

Tu sais, si tu étais partie, j’aurai continué à t’aimer. Ca aurait été un drame. Vraiment. Je ne sais pas comment j’aurai fait. Pour gérer. Faire le deuil. Avancer. Mais j’aurai continué à t’aimer. Je ne t’en aurai pas voulu. Bien sur j’aurai été en colère, un peu. Quand même. Pour faire bien. Je t’aime de manière inconditionelle. Je te préfère juste vivante. Ca te va mieux. C’est plus gai. Je te préfère surtout heureuse. Pas masquée dans ton sourire d’à peu près. Vraiment bien, sereine, pleine de fougue, de conneries, de projets. Et je sens que t’es là, je sens ta force derrière tes yeux, je sens l’envie qui revient, même avec tes béquilles et tes doutes, avec les mauvais jours. T’es pas partie. T’es pas morte. T’es vivante là derrière. Juste secouée, déracinée. Prends le temps qu’il faudra, arme toi contre la vie dégueulasse et les gens toujours méchants, cale toi bien dans tes pompes, dors, rêve, fais le tri, oublie. Fais attention à toi, c’est ton rôle maintenant, laisse tomber les soucis des autres, arrête de nous porter. Y’a que toi qui compte là. On est tous tournés vers toi, on t’envoie nos bonnes ondes, notre amour, notre foi, on t’offre nos sourires, nos rires, tout ce qu’on fait, tout ce qu’on voit pendant que t’es pas là. On grattera longtemps derrière la porte en attendant qu’elle s’ouvre en grand, ne t’inquiète pas. On est ta famille, recomposée, déglinguée, bizarre, et t’es la notre, pas de pièce rapportée, la vraie. Reviens quand tu voudras.

Mitose animal triste

Je vais me faire une maison dans ton ventre, un deux pièces douillet pour les jours de pluie, avec du parquet qui craque et un vieux canapé déglingué, je vais rien changer, rien repeindre, juste m’installer. J’emménage petit à petit, pas sûre que tu réalises, une brosse à dent, un tapis à poils durs, du café pas trop fort, je pousse les murs, ça résiste, je pousse plus fort, ca passe. T’as pas l’air de souffrir, ca te fait pas peur, tu te laisses envahir. Une fois lovée dans ton dedans, une fois collée à toi, aux boyaux, au foie, faudra le vouloir pour m’éjecter, faudra opérer, des bistouris et des pansements, je te laisse du vide quand je claque la porte, je te laisse du rien et tu soupires. Alors peut-être que cette fois je ne partirai pas. Peut-être qu’on sera liés par les cordons dégueulasses des chairs, des morceaux microscopiques de ta peau morte sur mes doigts, nos microbes, nos miasmes, le magma biologique chaud et sale de l’amour vivant, qui fermente et qui pourrit, qui se décompose et qui refleurit.

Je sais pas pourquoi j’ai toujours l’impression que les choses doivent être sales, organiques, salies par l’usure, par le vent ou par la boue, par les pleurs ou par la pluie, pour être jolies. J’ai l’impression que je ne vois la beauté que dans l’organique, dans l’instant où j’oublie de respirer, entre deux souffles, quand on ne sait pas ce qui va arriver. J’ai pas le goût des dîners aux chandelles, sauf si on renverse, des balades en bateau, sauf s’il pleut, de l’amour propre sans tâches, sauf si tu veux essayer. J’aime bien le rose, le poudré, deux minutes, pour rigoler, ce que je préfère c’est le gris, le métal, le bois, l’odeur de l’encens des églises, celle du cuir dans ton cou, tes ongles presque carrés. J’aime faire le grand écart entre l’amour parfait, celui que j’imagine, et la réalité. Je crée quelque chose dans cet espace qui n’existe pas, que tu occupes pleinement sans jamais y rentrer, tu peux me regarder rêver si tu veux, la bouche ouverte quand je dors, les cheveux emmêlés.

Je ne suis pas une grande communicante. Il faudra deviner, souvent. Il faudra demander, tout le temps. Il faudra me sortir de ton ventre pour me faire exister, il faudra que je devienne vraie, même si j’ai peur. J’ai peur tu sais. Dehors c’est jamais vraiment bien, les silences sont moins jolis, les attentes plus cruelles, le temps ne nous rend pas meilleur, dehors je ne suis plus dedans, nous sommes deux, mitose. Je me roule dans l’avant, dans l’anticipation, je me couvre d’histoires, de possibles, de scenarii, je réfléchis. Je pense à toi. Surtout. Je pense à toi, toujours. Et toi.