Je suis toujours très étonnée des stratégies employées par les hommes cis pour pénétrer un vagin. Ma condition nouvelle de célibataire me donne la joie de subir ces tactiques ancestrales, sans doute venues de nos aïeux préhistoriques, puisqu’on y retrouve un certain vocabulaire très-chasse-très-pêche. L’homme, brandissant son gourdin de chair, se poste dans l’ombre et attend de voir passer la vulve fraîchement tondue afin de l’assommer et de le traîner à sa grotte. J’exagère, mais c’est finalement l’image que me renvoient les tentatives cocasses de chasseurs de vagins patentés, diplômés de leurs permis de séduire selon les règles patriarcales, avec option Tinder langue renforcée. Je ne me souvenais pas, ou je ne voulais pas voir, à quel point la séduction est un enjeu de l’égalité hommes-femmes. Les hommes cis hétéros perpétuent volontiers les stéréotypes irrespectueux et genrés hérités d’une imagerie oppressive (ca coûte cher de se sortir une petite, le resto le ciné, il faut au moins que je la nique), n’hésitant pas à recourir aux mensonges, à la dissimulation, à la manipulation pour accéder au coït, et restent coincés dans un délire moyenâgeux laissant penser qu’une femme qui dirait son désir de copuler serait une salope, une salie, une fille de moindre valeur, et qu’il serait donc plus chevaleresque, et plus ambitieux d’arracher un consentement sous quelques manières possibles à une femme qui se refuse ou qui fait semblant de se refuser pour entretenir le désir de conquête de son assaillant. Triste monde tragique, puisque cette mécanique fort peu lubrifiée cantonne les femmes dans des petites cases bien fermées, les habitue à chier allègrement sur leur envie et leur consentement, et les conforte dans l’idée que leur sexualité, la manière, la fréquence, le choix des partenaires, tout cela influe sur leur valeur au grand marché de l’accouplement traditionnel. Ainsi, alors que je présentais mon deuxième petit ami à ma grand-mère, elle me servit cette sortie mythique « Y’a tout le train qui va donc te passer dessus, fais attention personne veut d’un produit abîmé. ». Si mon honorable aïeule n’est pas une force vive du changement vers un monde meilleur, elle représente le sens commun, cette petite voix bien bien ancrée dans nos inconscients féminins par des centaines d’années d’oppression. Nous sommes un produit à conserver au frais, ne briser l’opercule qu’en cas de force majeure pour obtenir le mariage et la protection de la bite majestueuse et pourvoyeuse de sécurité. Être une femme désirante, libre de prendre du plaisir avec Paul ou Brahim sans en attendre le partage d’une feuille d’imposition est donc doublement difficile : cela suppose d’être venue à bout de l’éducation à la préservation du joyau virginal de nos cavités, et de rencontrer des partenaires qui n’attachent pas leur numéro de passage dans la file vers ton clitoris à ta valeur en tant qu’individu. Compliqué.
Avoir du désir et le dire ouvre aujourd’hui une conversation hallucinante avec la plupart des hommes cis héteros. Il faut ensuite être prête à détailler la moindre pratique, dire si on suce après la sodomie ou non merci, les diverses façons dont on accepte d’accueillir la divine semence, si on a testé l’uro et si on est bi. Il n’est alors plus question de rencontres entre deux adultes consentants qui souhaitent passer un moment d’exploration sensuelle, mais d’un menu grande frite coca light mc flurry à la cyprine, l’addition merci. Si les travailleur-ses du sexe mettent en avant leurs pratiques sexuelles dans le cadre d’un échange marchand entre deux parties, il me semble que la recherche systématique du menu érotique préféré de l’autre appauvrit forcément l’échange. Est ce qu’on peut prendre un café avant que tu me pisses dessus ou est ce que tu es pressé ? Je ne dis pas qu’il ne faut pas parler de sexe, au contraire, dire son envie, ses limites, ce que l’on attend, me semble très positif. Mais le désir féminin n’est pas un détail d’une personnalité, quelque chose qui complète le portrait d’un individu tout entier, il devient l’unique point de focalisation du mâle, salivant déja devant le menu des festivités. Une pratique annoncée est une pratique vendue, et plus la pratique est rare, plus elle devient désirable. Une femme annonçant qu’elle aime pratiquer la sodomie se verra sodomisée avec plus ou moins de douceur et/ou de consentement à la première occasion, la pratique ne faisant plus l’objet de discussion ou de découverte ludique, elle est acquise et donc prenable, pilonnable sans questionnement préalable. La femme qui souhaite que son consentement soit respecté se verra reprocher d’avoir menti si elle refuse une pratique qu’elle avait annoncée comme possible, ou se verra confrontée à des efforts de négociation dignes de Camp David de la part d’un homme décidé à la besogner dans les termes énoncés. Il faut avoir confiance en soi, il faut avoir déconstruit son rapport aux hommes et au sexe, il faut être forte pour résister aux injonctions performatives de nos partenaires. De guerre lasse, disons le, les femmes se font enculer. Et pensent à autre chose.
Je ne crois pas aux hormones qui expliqueraient le manque d’éducation, de respect et d’intelligence relationnelle des hommes cis. Je ne crois pas aux règles qui rendent sales, aux petites filles qui doivent être bavardes, aux femmes obligatoirement « michtoneuses ». Je crois à un long processus d’oppression de la liberté d’un groupe par un autre. A une éducation genrée qui enseigne aux uns à prendre et aux autres à accepter d’être prises. La drague, la séduction la vie intime, rien n’échappe aux injections subies depuis notre enfance. Je repère chez moi, à force de réflexion, les moments où ma volonté se courbe devant l’envie d’être une fille normale, une fille qui dit oui, une fille qui se tait, une fille qui se laisse baiser même quand elle n’en a pas envie. Je résiste parfois, je cède encore trop souvent, parfois même sans m’apercevoir de la violence que je me fais. Cela vient plus tard, quelques minutes ou quelques heures après, cette espèce de culpabilité de ne pas avoir su dire non, de ne pas avoir été assez forte ou alerte pour réagir. D’avoir laissé ce processus de lamination totale de ma volonté de femme gagner. Je m’en veux. J’en pleure, comme une fille. Et puis je me dis que je ne laisserai plus rien passer. Alors je retourne à la case 0, à ne plus rien supporter des hommes qui ne soit pas parfaitement dans le respect de mon individualité. Alors j’ai la tentation de me taire. Mais je me souviens, et je me mords, et je gueule. Et je ne me laisse plus faire. Et je ne veux plus entendre qu’il faudrait être plus souple, qu’il faut accepter les défauts de l’autre. Il ne s’agit pas ici des qualités d’un éventuel partenaire, de savoir s’il range ses chaussettes sales ou s’il sait faire les pâtes à l’ail, il s’agit de ce que je suis en droit d’attendre en temps qu’être humain, en tant que personne vivante. Il ne s’agit pas de qualités qu’on pourrait choisir sur catalogue, mais des caractéristiques essentielles de ce qui rend la découverte de qualités possibles. C’est le préambule à l’amour, celui du corps ou celui des têtes, que de savoir se regarder soi en tant qu’individu désirant et volontaire. C’est un joli préliminaire. Je ne sais pas si c’est tout à fait possible. Après la révolution sans doute, amours et révoltes. Mais je ne suis plus prête à transiger. My way, José.