Chère Marlène

Tu m’excuseras la familiarité de cette interpellation. On vient du même endroit il paraît, de la blogosphère. De la même ville, mais pas de la même rive, tu entreprends, tu réseautes, tu start-up, je gueule et je m’essouffle à être la grosse féministe de service. Et puis je ne peux pas te donner du Madame la Ministre, ton patron n’a pas voulu. Alors ça sera Marlène.

La dernière fois que j’ai parlé de toi ici, c’était pour ton livre à la Musardine. En 2011, tu mettais ton nom sur la couverture d’un opus particulièrement grossophobe et sexiste. Tu as lu mon article, tu m’as envoyé plusieurs messages où tu m’accusais de l’écrire uniquement pour faire le buzz sur ton dos. J’ai l’habitude. Tu ne t’es pas excusée, tu n’as pas décidé de revoir ta copie. Sans doute étais tu déjà occupée à bâtir le reste de ta carrière, et tu estimes sans doute avoir réussi, puisque te voilà aujourd’hui au gouvernement  secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, placée auprès du Premier ministre.

Quand j’ai appris ta nomination, je n’ai pas été surprise. Tu corresponds j’imagine au modèle de femme que notre président aime. Tu es dynamique, tu aimes la valeur travail, tu pourrais faire la couverture d’un magazine pour cadres supérieurs avec une banderole « ces femmes qui gagnent ». C’est chouette pour toi. Pas étonnée donc, mais tout de même un peu déçue. On ne vas pas se mentir, tu n’incarnes pas tout à fait mon féminisme, celui que j’ai envie de voir grandir. Je me réjouis néanmoins de lire que tu n’es pas abolitionniste, j’espère donc te voir à l’oeuvre pour les droits des travailleur-ses du sexe. Je suis aussi heureuse que tu défendes le droit des femmes à porter un foulard si elles le désirent, dans l’espace public comme à l’école. J’espère donc te voir te battre pour l’abrogation de la loi sur le foulard à l’école. Et puis tu connais bien la double journée des femmes qui travaillent, l’effort constant que demande la gestion d’une carrière avec des grossesses, je me dis donc que tu vas mettre ton expérience au service des femmes. Tu vois, je ne te diabolise pas. J’espère que tu feras honneur à ton poste, même si j’ai peu confiance dans le gouvernement et l’état en général.

Depuis ta nomination, on me demande de réagir, de dire ce que je pense de toi, moi la grosse énervée derrière mon ordinateur. Je me demande bien à quoi je peux servir. Mais comme on me donne l’opportunité de l’ouvrir un peu publiquement sur des sujets qui me tiennent à coeur, j’en profite.  Tu vois, je fais le (petit) buzz, comme tu me le reprochais. Je parle de grossophobie et de sexisme, ces deux oppressions que j’ai reconnu si fort dans ton livre. Je dis que j’ai peur que tu ne sois pas la secrétaire générale chargée de l’égalité de toutes les femmes. J’ai peur que tu ne travailles que pour les femmes comme toi, que tu oublies que tu es aussi là pour ouvrir les droits à d’autres femmes, à celles qui cumulent d’autres oppressions en plus de celle du sexisme, à celles qui ne se reconnaissent pas dans ton modèle de réussite. J’ai peur que tu n’identifies même pas les oppressions subies par les femmes, puisque tu refuses d’admettre à quel point ton livre est insultant pour les personnes grosses directement concernées.

Je ne me sens pas très à l’aise avec l’idée de te taper dessus, de fournir aux journalistes des billes contre toi. Tu es une femme, et même si elle est illusoire, j’aime l’idée d’une certaine sororité. Et je me rends bien compte que les articles contre toi alimentent aussi les réseaux de la fachosphère. Je suis désolée. Tu n’as sans doute pas besoin d’autres ennemis. Mais tu comprends que je ne peux pas me taire alors que ta position te confère le pouvoir certain d’initier un changement dans la vie des femmes oppressées. Que tu as le pouvoir de mettre en place les éléments systémiques d’un mieux vivre. Il faut que tu saches, il faut qu’on te rappelle, c’est trop important.

Il n’est faudrait pas beaucoup pour que j’arrête d’avoir peur. Que tu reconnaisses que ton livre était une erreur par exemple. Des excuses, ouais. Ca serait bien. Parce qu’en 2011, moi aussi, j’ai du dire et écrire un paquet de conneries. Et à chaque fois qu’on me le fait remarquer, j’essaie de comprendre ce qu’on me reproche, et de faire des excuses sincères. Ca m’a appris ça aussi, le féminisme. Qu’on devait laisser la parole aux concerné-es. Que fermer sa gueule, c’était souvent opportun quand on ne savait pas. Que tu assures que tu seras la porte parole des droits de tousTes les femmes (oui, même celles qui ne sont pas né-es avec un utérus), de celles qui se font refuser l’accès à la PMA à cause de leur poids ou de leur orientation sexuelle. Que tu n’imposeras pas à tousTes ton rêve d’entrepreneuse au détriment de nos vies. Que tu sauras t’entourer des collaborateurs – trices qui sauront t’orienter vers un féminisme plus offensif, plus intersectionnel si j’ose le mot.

Je lis qu’une de tes premières mesures sera de permettre la verbalisation des insultes sexistes par les forces de l’ordre. Je grince des dents. Et je te laisse lire l’article de Joao, qui articule bien le problème de ta proposition.

5 réflexions sur « Chère Marlène »

  1. Merci c’est beau. Comme d’habitude.

    Juste une coquille dans l’avant dernier paragraphe : « Il n’est faudrait pas beaucoup »

  2. Merci Daria.
    Tu as trouvé des mots justes et tu pointes exactement ce que je ressens envers cette ministre.

    Encore merci.

  3. Merci pour ce billet.
    Féministe, ronde (qui s’assume mais qui a mis du temps à le faire et quelques fois encore heurtée quand je lis des clichés insupportables), je te remercie de penser à toutes.

  4. Très bon article. Je vous trouve claire, polie, précise dans vos propos. Vous ne me semblez pas tellement être une « grosse énervée derrière [s]on ordinateur » à vous lire, quoique l’on soit tous/toutes un peu énervé.es quand le sujet des stéréotypes, préjugés et discriminations pointe le bout de son nez (avec raison !).
    Vous faites bien, je pense, d’interpeler notre secrétaire d’état une nouvelle fois. Son livre, d’après votre description, mérite les critiques que vous lui avez adressées, et la réponse qu’elle vous avait faite à l’époque n’était vraiment pas à la hauteur. J’en attends beaucoup d’elle, pour ma part, moi qui veut tellement croire qu’il va y avoir du changement dans le bon sens (vous soulevez d’ailleurs les points positifs : sur le voile à l’école, sur les idées pro-sexe, etc.). Espérons qu’elle se soit remise en question depuis 2011 et qu’elle soit prête à entendre toutes les voix, à écouter, à comprendre autant qu’elle pourra. C’est ce que l’on peut tous/toutes essayer de faire d’ailleurs, parce que comme vous le rappelez « fermer sa gueule, c’était souvent opportun quand on ne savait pas. ». J’espère donc que vous message sera entendu.
    Encore bravo pour ce que vous faites, et à une prochaine fois.

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